lundi 20 décembre 2010





Aujourd'hui je me suis levée & Porcelaine était déjà partie pour Montréal avec son copain américain. J'avais un dernier cours d'anglais à donner dans un dernier parc industriel en attendant pour la dernière fois un autobus sur le parcours le moins fiable du Réseau de transport de la capitale, mais sinon j'ai eu une journée comme un dimanche douillet de février -- trop de café le matin & du jus de pamplemousse en après-midi & une bière en parlant au téléphone, lentement, en espaçant mes phrases pour y glisser des gorgées. Une sieste sur le divan du salon avec René-Chat & tous ses ronronnements, dans les débuts de noirceur qui descendent sur quatre heures & quart. Du tricot devant de vieux épisodes de séries policières, exactement comme la petite grand-mère que je serai un jour, la laine verte un peu revêche qui laisse des filaments duveteux sur mes cuisses & les aiguilles de plastique qui s'accrochent aux doigts. & puis les livres, toujours les livres, qui font oublier les mauvaises journées & les doutes les plus laids, les peurs toutes croches qui me tiraillent parfois le coeur.

J'ai hâte à Noël, & j'ai hâte d'aller chercher un quelqu'un à l'aéroport le 26 décembre, le 26 décembre qui est dans six jours!, mais je suis bien dans la douceur de ce soir, dans la tranquillité si parfaitement immobile de ce soir, pas un bruit dans l'appartement d'au-dessus & pas un bruit dans le mien, seulement René qui ronfle le museau pressé contre les pattes de devant, seulement moi qui ai envie d'être sereine, & de lire de bons livres, & d'aimer de bonnes personnes, & de dire les choses exactement comme elles méritent d'être dites.

Je suis heureuse.



vendredi 17 décembre 2010





Depuis que le copain américain de Porcelaine est arrivé, il y a chaque jour un peu plus de bouteilles de vin aux trois-quarts vides qui s'étalent dans la cuisine. Ça a quelque chose de particulièrement réjouissant -- l'alcool en bonne compagnie, toujours, mais aussi le désordre joyeux, festif, bouillonnant! qui me remue le ventre.




J'ai vu une de mes classes de débutants pour la dernière fois hier midi, & comme les Russes ils m'ont donnée du chocolat, toute une tonne de chocolat, & comme les Russes ils ont écrit dans une grande carte de souhait, laborieusement, la syntaxe hésitante, que it is hard to learn us things, but you succeed all the same because you are a wonderful and joyful teacher.




Je lis deux livres en même temps & ils sont parfaits chacun à leur façon, parce que quand je suis tannée des histoires du coming-of-age d'une fille de dix-sept ans dans un château délabré de l'Angleterre des années trente, je peux lire Génome, & quand j'ai la tête surchargée d'ARN & d'ADN & de gènes égoïstes & de chromosomes, je peux lire I Capture the Castle. J'alterne entre les deux dans mes trop longs trajets en autobus, en gardant mes écouteurs sur mes oreilles même si je n'écoute pas de musique, & ça me donne l'impression de réussir, une bonne fois pour toutes, à créer entre le monde & moi un écran duveteux qui assourdit la vraie vie.



mercredi 15 décembre 2010





Souvent pour me calmer j'énumère les choses qui méritent d'être décrites correctement, posément : les avant-midis de décembre où le soleil faible est bas dans le ciel, la chaleur du premier café qui s'échappe de la tasse en volutes légères, l'odeur rassérénante de Porcelaine, un mélange de cigarettes & de shampoing à la menthe, qui s'attarde dans les coussins du divan. Ça aide.




J'ai commencé à écrire parce que j'aimais lire, parce que j'aimais tellement lire que je voulais m'incruster dans les livres & leur coquille friable de mots & de papier & de silences gonflés, pleins à craquer d'histoires. Aussi parce que je voulais, que je veux encore vivre dans un monde où, à défaut d'être intelligibles, les choses sont bien dites. Bien écrites. Je sais pas si c'est seulement moi, je sais pas si je suis toute seule là-dedans, mais moi c'est pas vrai que j'ai commencé à écrire parce que j'avais des choses à raconter, trompettes pompeuses & roulement de tambours. Les choses que j'ai racontées & que je raconte sont entièrement ordinaires. Personne n'en a besoin. Alors écrire pour moi c'est très égoïste, ça m'a toujours paru très égoïste, presque honteux, certainement présomptueux -- un espèce de t'es qui toi, tu te prends pour qui? qui lâche jamais. Je pense qu'il me manque l'arrogance de croire que j'ai quelque chose à ajouter. Je pense que je peux pas être (ark que j'aime pas le mot qui s'en vient) une artiste sans le mélange d'insolence & d'audace & de suffisance, juste un petit peu, la suffisance, qui me chamboule chez certaines personnes & que je pourrai jamais, jamais avoir. Je pense que c'est une des raisons pour lesquelles j'ai un peu de misère, ces temps-ci.

J'ai un peu de misère parce que j'ai renvoyé le manuscrit corrigé au monsieur qui est mon directeur littéraire, & j'ai angoissé à l'idée qu'entre mes trois emplois à temps partiel j'avais sûrement réussi à botcher la job solide, & j'ai reçu les maquettes pour la couverture du livre, & j'ai trouvé ça extraordinairement, incroyablement joli, & je me suis demandée quand est-ce que mes affaires arrêteraient de marcher, quand est-ce que tout se déconcrisserait en même temps. C'est une chose que je veux depuis très longtemps & je suis encore convaincue que je vais réussir à bloquer le processus par la force de, je sais pas, ma propre insignifiance.

& je dis ça, mais. Je fais crissement pas pitié.




Aussi : je pars en France à la mi-janvier, à Toulouse, parce que j'ai un contrat comme chargée de projet là-bas pour trois mois & demi. J'ai hâte. & j'ai pas dit à personne, dans les huit cent cinquante deux entrevues que j'ai eu à passer pour avoir le poste, que dans dix jours il y a quelqu'un qui arrive, de Toulouse, & que c'est quelqu'un que j'aime beaucoup, & que mi-janvier nous repartirons tous les deux pour la même ville, presque en même temps.



mardi 30 novembre 2010


Aujourd'hui, en attendant la 18 au coin de Frank-Carrel & Charest Ouest, les yeux gobés par le parc industriel dans lequel je m'empêtre dès sept heures & quart le mardi & jeudi, je me suis dit que ça fait depuis que j'ai 19 ans que je veux une histoire d'amour comme une chanson de Belle & Sebastian, préférablement Piazza, New York Catcher (I will be your Ferdinand & you my wayward girl), quelque chose d'enveloppant sur lequel je pourrais aligner des milliers & des milliers de phrases obscures mais jolies qui raconteraient des histoires de douceurs & d'indéchiffrables, d'inextricables fous rires.

Maintenant ça m'est arrivé, & il y a pas de mots à mettre dessus.







Kyoto & Kazan, novembre.





Porcelaine a adopté un chaton, même pas deux mois & demi, & elle l'a appelé René-Chat pour honorer conjointement René-Charles, René Simard & René Lévesque. Ça fait trois jours qu'il est à l'appartement & ça fait trois jours que j'ai seulement envie d'écouter There Is a Light That Never Goes Out, The Smiths, à répétition, peut-être parce que trèstrès bientôt j'aurai vingt-cinq ans & que ces temps-ci j'aimerais encore avoir seize ans & demi, pas trop longtemps, juste un tout petit peu, juste parce qu'à seize ans & demi je passais des soirées entières à regarder Campbellton défiler tout doucement depuis le siège passager d'une auto, l'auto de n'importe qui, Jean-Robert Savoie ou quelqu'un d'autre, & que c'est une chose qui me manque -- le calme duveteux des fins de conversation, ma joue chaude contre la vitre froide, la radio locale anglophone en AM qui crachait de drôles de sons dans les innombrables petites poches de silence des chansons. Peut-être parce que j'ai lu A Complicated Kindness & que la narratrice passe tous ces longs moments dans un truck avec un garçon un peu complaisant mais un peu gentil quand même, qui donne l'impression d'attendre qu'elle se montre juste un tout petit plus extraordinaire pour se mettre à l'aimer au complet. (Bonjour, Jean-Robert Savoie.) Peut-être parce que la pluie de décembre appelle, je sais pas, des chansons résolument mélodramatiques des années quatre-vingt. Peut-être parce que que c'est un bon moment de l'année pour s'embrouiller dans de petites nostalgies passagères.



mardi 9 novembre 2010


























Moscou, grosse ville laide de mon coeur. Je m'ennuie.




mardi 2 novembre 2010





C'est l'automne alors j'écoute le troisième album de Malajube, celui avec Ursuline, j'écoute Willie Nelson, j'écoute du vieux Belle & Sebastian, Tigermilk, j'écoute Wilco parce que j'écoute toujours Wilco, j'écoute Mara Tremblay parce que j'ai toutes les chances d'échapper mon coeur, j'écoute Vissotski même si je comprends pas la moitié de ce qu'il dit. Je fais du potage aux légumes les dimanches après-midi & Porcelaine éparpille ses notes de cours en changeant de CD à toutes les vingt-deux minutes, Elliott Smith & l'identité politique canadienne & The Shins & l'histoire des médias au Québec & Arcade Fire & l'école au temps de la révolution industrielle britannique.

C'est l'automne & je me lève à six heures du matin pour donner des cours d'anglais dans tous les esties de parcs industriels de la ville de Québec, ça me rappelle la Russie mais sans le métro, ça me rappelle la Russie mais c'est pas trop dur, pas encore. Je prends l'autobus avec des monsieurs qui portent tous des bottes à cap d'acier & je me faufile dans leurs usines moroses pour enseigner le past simple des verbes irréguliers à leurs chefs de ligne. Je leur fais scander des ring, rang, rung! & je réussis à coincer mes jupes dans toutes les portes.

C'est l'automne & j'ai pas envie de lire de fiction parce que je suis trop occupée à rafistoler la mienne, alors à la bibliothèque j'emprunte des biographies de Youri Gagarine & des essais de deux cent trente pages qui demandent, le plus sérieusement du monde, à quoi servent les astronautes. Moi j'aurais envie d'être Julie Payette & de parler d'apesanteur & d'ingénierie aérospatiale, d'avoir toute une masse de cheveux à enfouir sous le casque de mon scaphandre, mais je me contente de mes boucles frisottantes & des émissions de vulgarisation scientifique de CKRL, que j'écoute à la boulangerie où je passe deux ou trois après-midis semaine à faire des galettes, à côté d'un Français beau comme un coeur qui s'échine à modeler les plus jolies viennoiseries de la rue St-Jean.




C'est à peu près sûr que je retourne à l'école l'année prochaine ; c'est à peu près sûr que je serai publiée d'ici l'automne prochain ; c'est à peu près sûr que j'ai le coeur amoureux, encore, & des fourmis dans les jambes, toujours, & l'envie immense d'embrasser le ciel chaque fois que le soleil se frotte contre mes paupières mi-closes. Comme quoi il y a des choses qui changent pas, pas vraiment.



mercredi 1 septembre 2010





J'ai fait mes bagages en écoutant The Cat Empire, parce que ça me fait toujours penser à Juillet & parce qu'il est temps que je pense à Juillet sans ressentiment, j'ai lavé la vaisselle, j'ai nourri la seule plante mourante de Porcelaine, je me suis brossée les dents & j'ai passé la soie dentaire, j'ai même passé la soie dentaire parce que hier le dentiste a pris quatre minutes & demie de son temps précieux & facturable pour me convaincre que parmi le demi-million de personnes qui habitent la grande région de Québec j'étais la seule, la seule!, à ne pas passer la soie dentaire deux fois par jour, j'ai terminé cette histoire très jolie d'une femme qui se rend à Hong Kong & qui y adopte le plus merveilleux des poissons, j'ai écouté Gerry Boulet en balayant la cuisine avec beaucoup trop d'enthousiasme, je suis tombée sur le message que Porcelaine m'avait laissé près de la porte, un message surchargé de points d'exclamation & de pâtés d'encre, j'ai ramené une caisse de bières vides au dépanneur, j'ai bu un grand verre d'eau, j'ai laissé le ventilateur pousser son air chaud contre mes genoux, je me suis dit que j'étais prête à partir.

Ce soir je serai à Montréal pour voir Chuck, ses robes de hippie & les plantes qui encombrent ses deux fenêtres & demie ; demain soir je serai dans l'avion. Dans mon sac j'ai mis The Master & Margarita, parce que ça fait longtemps que je veux le relire & parce que ça me donne encore plus l'impression de tomber en vacances, redécouvrir tranquillement un livre que je sais déjà que j'aimerai. Je pars un mois au grand complet & je crois qu'il fera chaud, & que ce sera beau, & que je serai bien.



lundi 30 août 2010





Je relis les choses que je passe mon temps à écrire dans mes cahiers, mes innombrables & encombrants cahiers, les cahiers que j'ai eu envie de brûler quand je me suis rendue compte qu'il me faudrait deux boîtes rien que pour les déménager.



25 avril 2010

Mais il me reste de bonnes choses.

Il me reste Kyoto, la meilleure de toutes les meilleures colocataires du monde, Kyoto qui se blottit avec moi dans mon lit quand les ronflements de son frère en visite réquisitionnent le sien, Kyoto avec qui boire des gin tonic en décortiquant le détail de nos toutes petites vies, Kyoto avec qui aller jouer au billard au Клуб-бар sous les regards étonnés & inquisiteurs des habitués peu ragoûtants de l'endroit, Kyoto à qui tout tout raconter, Kyoto avec qui tout rire & tout vivre & tout comprendre, Kyoto que je vais pleurer comme un amour impossible à mon départ.



1er juillet 2010

Je replonge dans toutes sortes d'incertitudes: financières, amoureuses, avenir-iennes, tout tout tout. Je pense aller en France en septembre. Je pense m'inscrire à la maîtrise l'année prochaine. Je pense que j'ai un don particulier pour les remises en question perpétuelles. Je pense que j'ai un emploi qui finira par me donner de l'urticaire.



30 août 2010

J'habite dans l'appartement de Porcelaine qui est aussi le mien, maintenant, je bois mon café devant les grandes fenêtres du salon & j'écoute des chansons tristes en déballant mes affaires, Patsy Cline & Leonard Cohen, des chansons tristes même si j'ai le coeur heureux. Dès que je sors de chez moi il y a la rue Saint-Jean qui bourdonne dans la toute nouvelle canicule & moi je me coule dans le soleil, la peau tiède, les yeux bridés par la lumière. J'essaie de marcher lentement mais je ne réussis jamais.

Il y a Kyoto qui est venue puis qui est repartie, il y a mes cheveux que j'ai coupés, courts parce que j'y ai pensé tout l'été, mercredi il y a Montréal, jeudi l'avion, vendredi...!, il y a les plus belles choses qui sont toujours les plus beaux pétages de fiole en puissance, mais crisse, est-ce que ça vaut vraiment la peine si on n'y risque pas au moins un peu sa dignité, sa sérénité, sa vie bien en équilibre, ses esties de bonnes nuits de sommeil?

Quand les soirées sont lourdes de fatigue, Porcelaine me propose un thé. Puis se reprend, presque immédiatement, cibole, qu'est-ce que je dis là, c'est sûr que t'as besoin d'une bière, & c'est sûr, c'est sûr que j'ai rien besoin d'autre.



vendredi 6 août 2010





Quand je suis arrivée chez moi hier soir il y avait une carte postale dans ma boîte aux lettres. Au début j’ai pensé qu’elle arrivait d’Équateur, que c’était l’amie à qui je sous-loue l’appartement qui donnait des nouvelles, une image de son bout de jungle amazonienne, des souhaits d’été chaud & de fruits mûrs, de pêches tellement juteuses qu’elles en barbouillent les mentons. Mais la carte venait de Chine. Une tête de dragon, très grande, dorée, et un pont. À l’endos il n’y avait pas de signature parce que les signatures ont quelque chose de redondant, parfois, quand les boucles si caractéristiques des J traînent leurs pattes hors des marges pour s’accrocher à la poitrine & venir serrer le coeur, délicatement, du poids de toutes les tendresses inattendues du monde.

De temps à autre je pense à Juillet, qui n’écrit pas de cartes postales & qui ne va pas en Chine, & je suis triste de ne pas avoir vu toutes les choses que j’aurais pu voir avant. Mais le plus souvent je pense à Banana Yoshimoto, qui fait dire à un de ses personnages que mais qui voudrait d’un amour qui ne donne pas l’impression d’être le dernier?, & ça me console de tout ce qu’il pourrait rester à consoler.




J’envie les gens qui savent parler de livres de façon, je sais pas, de façon à leur rendre justice. C’est une chose que je n’ai jamais apprise & qui me manque, surtout quand je termine un recueil d’Alice Munro ou que je commence The Good Terrorist & que je sens qu’il y aurait des milliers de trucs à en tirer mais que tout ce dont je suis capable c’est de poser le livre sur mes genoux et de revoir dans ma tête les mots dans lesquels s’enroule le récit, en savourer les petites cruautés et les sonorités particulières, le rythme des phrases et des malheurs, des pointes, de ces épiphanies discrètes qui se coulent entre les lignes & réchauffent les mains qui, du bout des doigts, effleurent les caractères imprimés.




Je travaille douze heures par jour, littéralement, à essayer de coordonner deux départements en même temps, dans un environnement de travail tellement bordélique que c’en est ridicule. Mon contrat se termine à la mi-août & j’avais pensé accepter l’offre de prolongation mais finalement non, non, je peux pas continuer à me faire ça, à la mi-août il y a Kyoto qui débarque à Québec pour deux semaines & début septembre j’emménage avec Porcelaine & tout de suite après je pars pour la France, parce que j’ai trop d’argent en banque pour demeurer immobile & parce que là-bas il y a un garçon fraîchement revenu de Chine qui toutes les nuits règle son cadran à trois heures & téléphone, téléphone juste au moment où je pousse la porte de l’appartement, délivrée du travail, enfin, et gourmande de mots qui auraient vogué sur l’Atlantique & atterri dans mon salon, bons & doux & chauds dans le creux de l’oreille.



mercredi 14 juillet 2010





Ça m’aura pris un peu moins de deux mois pour me refaire amie avec les préposés du comptoir des réservations de la bibliothèque Gabrielle-Roy, amie comme dans : aujourd’hui il y en a un qui est venu me voir à ma table pour me dire, le vouvoiement facile & le chuchotement étudié, Amélie, y’a le Pérec que vous vouliez qui est arrivé.

Le personnel de votre bibliothèque & vous : une relation à approfondir en trois étapes simples, un best-seller à paraître sous peu.




Je me suis foulée la cheville & je travaille sept jours semaine, pas de repos pour les coordonnatrices sous-payées, je manque de temps pour la musique du Festival d’été & les listes interminables de livres que je m’étais promis de lire durant les canicules, les canicules c’est fait pour la bière blanche, froide, & les romans dont on égrène tranquillement les mots, je manque de temps pour ma soeurette & les pique-nique de fin d’après-midi, les mauvais films d’action qui déboulent tous le même mois, les fenêtres grandes ouvertes face aux rares soirées fraîches, je manque de temps pour les amis qui se déploient sur le continent, traversent l’Atlantique, se perdent dans la brume, je manque de temps pour le futur qui s’approche à pas de loups, qui flotte au-dessus de ma tête, vaguement menaçant, je manque manque manque de temps mais souvent, le matin, tôt mais pas trop, il y a le téléphone qui sonne &, entre nos phrases ponctuées de silences cotonneux, il y a les plus doux de tous les mots ensommeillés, il y a toutes les choses qu’il faut taire juste encore un peu, pas beaucoup mais quand même, quand même. & il y a le temps qui file lentement, jusqu’à l’automne.




Je suis tombée sur Juillet dans l’autobus, il y a quelques jours. Il s’est approché de moi, il s’était rasé la tête à cause de la chaleur ; tout de suite lui a fait comme d’habitude & moi j’ai fait comme d’habitude, il a parlé parlé parlé de lui & moi j’ai beaucoup souri, je souris toujours de mon plus beau sourire quand j’ai l’impression que ça vaut pas la peine de gaspiller mes mots. Je me suis dit, c’est une très bonne personne. & j’ai été contente qu’il ne fasse plus partie de ma vie.



jeudi 8 juillet 2010


La nuit, en voyage, l’air est toujours limpide de silence, & le coeur, parfaitement clair.

- Banana Yoshimoto, Kitchen
(& c’est pour ça que je m’ennuie des trains de Russie.)




Je sais pas trop comment en parler, mais aujourd'hui j'ai rencontré le monsieur qui sera mon directeur littéraire & j'ai encore l'impression que c'est une chose qui arrive à quelqu'un d'autre qu'à moi.

Je sais que ça changera pas ma vie, pas beaucoup, mais déjà ça me donne comme une certitude, une espèce de force tranquille qui me réconforte chaque fois que mon patron essaie du mieux qu'il le peut de me faire sentir le plus petite possible.




Parfois je me sens comme quand Suze Rotolo parle de Bob Dylan, quand elle dit que it was as if we knew each other already ; we just needed time to get better acquainted. Sauf que c’est toujours, toujours le temps qui manque. Malgré le téléphone qui sonne à dix heures du matin & les grands rires clairs au bout du fil, il y a comme une urgence particulière qui finit par me gruger de tout petits bouts de coeur. Encore.




Le vent chaud & lourd qui caresse le cuir chevelu, les ambulances & leurs sirènes qui se multiplient dans les rues, la bibliothécaire qui me dit c'est les vieux, c'est eux qui tombent comme des mouches. & moi je monte la côte Salaberry à pied chaque jour pour aller travailler, parce que j'ai décidé que cet été je passerais mon temps à faire toutes les choses que j'ai la force de faire.



lundi 21 juin 2010





Ces temps-ci il m'arrive tout plein de choses heureuses que je suis encore trop superstitieuse pour mentionner, des choses belles & grandes & monumentales qui me donnent l'impression d'avoir tout fait comme il faut, même le pire des pires de tous mes chagrins dégueulasses. Bientôt bientôt j'en parlerai mais tout de suite je peux pas, j'ai l'impression que si j'y pense trop ça deviendra autre chose, une histoire que je me serais inventée, & non, cibole, non, c'est trop joli pour faire partie d'un avenir qui sera jamais à moi.



jeudi 10 juin 2010





Tomber amoureuse comme on creuse un trou de mémoire, la drille contre la tempe gauche, les lèvres gercées autour d'un sourire, ma vie entière qui colle au palais comme un sucre à la crème, tiède & doucereux jusque dans le creux de l'estomac, trop, trop tiède, trop doucereux, ça me donnerait mal au coeur si j'avais pas déjà le coeur blindé contre les douleurs, enveloppé de bonnes choses fraîches qui lui font un gilet pare-balles, une armure en acier inoxydable, le plus grand des paratonnerres, mon coeur est un kamikaze qui explose dans le métro & ramasse lui-même chacun de ses petits morceaux. Tomber amoureuse comme on creuse un trou de mémoire, profondément, jusqu'à la moelle épinière, pour geler les vieux chagrins à la source & libérer l'espace qu'occuperont les prochains.



mardi 25 mai 2010





Avec Juillet c'est ma première vraie rupture d'adulte, de grande personne raisonnable qui s'assoit sur le divan du salon & qui boit deux bières & qui explique ce qui a cloché, posément, ce qui a pas pu marché & ce qui s'est cassé, ce qui a arrêté d'être tout doucement, en catimini. Qui compose avec l'espèce de froideur qui flotte entre deux personnes qui se sont aimées, avec les toutes petites distances qui paraissent énormes, pleines à craquer de vide. Qui boit deux autres bières & qui discute d'autre chose, de voyages & de souveraineté, je sais même plus, de hockey sûrement, & qui est heureuse de lui parler sans se presser, en ponctuant nos phrases d'un rire doux qui me fait du bien.

Il me dit on va quand même au ciné-parc, crisse, au pire on fumera du hash au lieu de frencher, je t'appelle cette semaine & c'est triste mais seulement deux ou trois secondes, après ça passe.

Il y a beaucoup de chagrin là-dedans, mais aussi du soulagement. & aujourd'hui, particulièrement aujourd'hui, avec l'orage tout juste de l'autre côté de ma fenêtre & dix mille projets qui virevoltent dans ma tête, aujourd'hui j'ai l'impression que je porte pas trop d'erreurs. & que ce sera un bel été.




J'ai cinq livres qui m'attendent au comptoir des réservations de la bibliothèque Gabrielle-Roy. Lorsque je me présente pour les récupérer avec le plus grand sourire du monde, il y a la petite madame qui me dit toi tu sais que le salut passe par la littérature, hen? & à ce moment-là, juste à ce moment-là, je crois que je serais capable de fermer les yeux sur la couche épaisse de rouge à lèvres cerise qui coule jusque sur ses dents, vraiment je pourrais, je me pencherais au-dessus du comptoir & je l'embrasserais à pleine bouche.



dimanche 23 mai 2010





Finalement c'est Anna qui l'a retrouvé pour moi :

Abandonner n'est pas moins douloureux qu'être abandonnée. Seulement, l'abandon est un geste, un mouvement, une manière de voyager la douleur qui donne l'impression d'y échapper.

Jennifer Tremblay, Tout ce qui brille



Vu sur la rue St-Jean cet après-midi : de belles grandes filles qui marchent pieds nus sur le trottoir chaud, toujours les mêmes monsieurs bedonnants attablés près des fenêtres du Sacrilège, trois personnes que je connais en moins de quinze minutes parce que Québec, cibole, Québec, deux fillettes aux cheveux mouillés qui tanguent dangereusement du côté de la rue, une serveuse en pause qui fume sans enthousiasme une cigarette très mince, un couple qui s'embrasse goulûment dans l'entrée d'un dépanneur, un chien qui lèche avec application le poteau d'un lampadaire, dix mille fissures de trottoir dans lesquelles j'aurais envie de me couler, la vie qui continue.




J'ai le coeur engourdi & j'ai le coeur revêche & je respire par à-coups, jamais profondément, par peur de le réveiller & de le faire exploser, un coeur qui explose c'est un séisme un ouragan un raz-de-marée dans la cage thoracique. Moi j'ai besoin de vivre juste encore un peu léthargique, juste un peu en retard sur l'été, juste un peu en retard sur ma dégueulasserie de chagrin. C'est quand même pas beaucoup demander, je pense.







Je lis Douleur exquise comme je bois le premier café du matin, lentement, à petites gorgées, parce que c'est tellement brûlant que ça en décape la langue.

Je lis La découverte du monde tout le temps, partout, à grandes goulées, comme si j'avais peur que les mots disparaissent avant que j'aie le temps de tous les lire. Je lis dans mon lit, à trois heures du matin, quand je m'éveille avec une angoisse aussi grande que la chambre ; je lis dans le Parc Victoria, allongée sur une couverture verte que je tache de vin rouge, vin rouge préalablement transvidé dans une gourde aussi verte que la couverture ; je lis en gardant le combiné du téléphone coincé entre l'oreille & l'épaule, Vivaldi qui s'en échappe tandis que j'attends mon nom est Marie comment puis-je vous aider? ; je lis même quand j'aurais mieux à faire, même quand il faudrait que je lâche un peu les livres & que je rafistole ma vie.

Je lis Les nations obscures quand je suis fatiguée de toujours me replier dans ma tête & que j'ai besoin de me rappeler, une fois de temps en temps, que vraiment c'est pas la fin du monde.



mercredi 19 mai 2010





Depuis quelques jours j'essaie de retrouver un passage de Tout ce qui brille que j'avais recopié dans un cahier, ça parlait de quitter ou d'être quitté, comme quoi les deux sont difficiles mais qu'initier l'abandon c'est peut-être plus léger, je sais pas, une douleur moins massive parce que partir c'est un mouvement, ça déchire mais au moins ça ne donne pas l'impression de stagner.

Je suis pas certaine d'être d'accord.




J'habite dans l'appartement d'une amie qui est partie pour l'été, quatre mois en Équateur. Dans un coin du salon il y a un bébé aloès déjà géant que je vais sûrement assassiner par inadvertance d'ici fin juin ; juste en face il y a aussi une toute petite télé à oreilles de lapin, qui réussit de peine & de misère à capter un poste & demi. Le matin j'allume la radio & j'écoute la belle voix posée de Raymond Poirier à CKRL (Raymond! tu m'as manqué gros comme ça) en lavant la vaisselle du soir d'avant. Le carrelage est toujours froid sous mes pieds nus & je me traîne d'une pièce à l'autre en cherchant quoi lire, en cherchant exactement le livre qu'il me faudrait à ce moment-ci de ma vie. À l'aéroport de Francfort j'avais acheté un roman de Nick Hornby en me disant que peut-être ça me remonterait le moral, mais finalement c'est tellement fondamentalement réaliste que c'en est insoutenable, je suis pas capable de passer le cap des cinquante pages. J'ai une dégueulasserie de chagrin dans le fond de la gorge & je suis encore convaincue qu'il y a que les bons, que les très bons livres qui puissent me soulager ; j'arrive pas à décider si c'est incroyablement idéaliste ou horriblement pathétique.




Hier après-midi avec le copain américain de Porcelaine, à faire des dizaines & des dizaines de commerces pour lui trouver un travail au noir. Après quelques heures nous nous asseyons dans le Parc Victoria & il me dit avec son accent maladroit que tu sais Amélie, tout always turns out all right in the end. & moi je dis je sais, je sais mais the end just seems awfully far away.



dimanche 16 mai 2010





De retour à St-Roch avec le coeur en compote.
Je crois que j'ai jamais fait autant d'erreurs en aussi peu de temps.



mardi 13 avril 2010






Presque soûle avec Porcelaine au Proekt OGI, à se dire qu’on devrait ouvrir un bar à Québec. À côté il y a de très petits Mexicains qui nous regardent en souriant, en face il y a deux Russes qui essaient maladroitement de pousser des bières dans notre direction, des nol piats Baltika 7, cheapette mais c’est de la bière gratuite, probablement pleines de roofies parce que Proekt OGI c’est comme ça, faussement grunge, alterno-alternatif sur les bords, mais vraiment c’est le même monde partout, Moscou, Moscou! On se dit qu’on ferait des mardis Gerry Boulet, est-ce que ça existe les gens qui n’aiment pas Gerry Boulet, & le Français à côté fait c’est qui ça, Gerry qui?.

Dans le taxi pour revenir je fais la conversation avec le chauffeur, il est Iranien, ici depuis huit ans, il y a des quantités astronomiques d’Iraniens à Moscou, il me demande si je suis bien payée, faut pas te faire exploiter ma petite fille, c’est vraiment ce qu’il me dit, ma petite fille, devotchka, & à la fin de la course il me dit ça fera deux cents roubles, deux cents roubles & ton numéro de téléphone? C’est la seule chose que Porcelaine comprend & elle en rit longtemps, longtemps, jusqu’à ce qu’on dépasse les gardes de sécurité endormis & le bâtiment lourd de sommeil, lourd de notre sommeil à nous, les bières dans l’estomac, les jambes molles d’avoir trop sauté dansé chanté, les joues rouges de toute la vie qui réussit à s’entortiller dans nos mots.




J'ai trouvé un vieil exemplaire de Bonheur d'occasion dans un des endroits où je travaille, une édition de 1947 en deux tomes, au papier revêche, très jauni. Je le lis debout dans le métro, comme tout le monde ici lit à l'heure de pointe, une main contre la porte & l'autre sous le livre. Ça me fait drôle de relire un roman que j'ai lu pour la dernière fois à quatorze ans, ça me fait drôle de penser qu'entre cet exemplaire-ci & celui de la bibliothèque de mes parents il y a dix ans, dix très petites & très infiniment longues années, ça me donne le tournis mais ça m'apaise, d'une certaine façon. Saint-Henri des années quarante, la guerre, je pense à mon grand-père -- & ça a quelque chose de doux de penser à lui dans un wagon de métro, à Moscou, les membres comprimés entre un bout de siège & des tas de corps inconnus, ça a quelque chose d'incroyablement tendre de me rappeler ses histoires & ses souvenirs, même très loin, même tout croche, comme ça, à l'heure de pointe moscovite, vers les dix-huit heures trois minutes.




Hier c'était l'anniversaire de la mise en orbite de Youri Gagarine. Parades sur Tverskaïa, cadets russes à tous les coins de rue -- officiellement c'est les cosmonautes qu'on célèbre, mais vraiment il n'y a que Youri pour attirer les foules. L'année prochaine ça fera cinquante ans, sa promenade dans l'espace, & je l'ai inscrit sur mon calendrier, une belle grande étoile rouge, parce que si j'avais à tapisser les murs de ma chambre du visage d'un seul homme, c'est sûrement, indubitablement, magistralement! Youri qui gagnerait. (Désolée, Buzz. Je t'aime quand même.)



mercredi 31 mars 2010





Je vais bien! C'est seulement que j'ai pas eu accès à internet depuis dimanche.

Je suis vraiment très désolée pour ceux & celles qui se sont inquiétés.




Quand j'habitais à Gasteiz, la trêve entre l'ETA & le gouvernement espagnol était brisée depuis un certain temps déjà & dans tout le Pays basque il y avait de ces petits attentats ponctuels, surtout des dommages matériels, ç'aurait presque été du vandalisme de haut niveau s'il y avait pas eu toute l'espèce de mystique terroriste en arrière-plan. Je me souviens d'explosions sur des sentiers de montagne déserts, en fin d'automne ; de commerces aux grandes vitrines fracassées ; d'histoires d'extorsion, beaucoup ; d'un meurtre, un seul, de l'autre côté de la frontière, un policier espagnol qui avait traversé en France & qui s'y était fait tiré par deux etarristes en fuite. Je me souviens qu'à l'aéroport de Madrid-Barajas il y avait des affiches partout, six visages très jeunes & très basques, les nez proéminents & les sourcils en accents circonflexes, toujours ces drôles de coupes de cheveux, je me souviens que j'avais eu des problèmes avec la sécurité, on avait presque manqué l'avion parce qu'un des gardes s'était convaincu que je ressemblais à une des deux filles de l'affiche. Deux heures à montrer mon passeport & à expliquer, dans un espagnol faussement laborieux, pourquoi j'avais décidé de m'installer à Gasteiz. Pourquoi pas quelque chose dans le Sud?, que le garde me demandait. Pouquoi pas la côte, pourquoi pas le soleil? Comme s'il m'en voulait de ne pas avoir décidé de finir ma vie sur la Costa del Sol avec les retraités britanniques.

Ce dont je me souviens le mieux, je crois, c'est le village où Shanti habitait, un village côtier de Guipuzkoa, quatre mille habitants & des troupeaux de moutons en banlieue. Je m'en souviens parce que Shanti y retournait presque toutes les fins de semaine & que souvent on l'accompagnait. Pour la mer, pour les montagnes, pour la famille incroyablement, involontairement pittoresque de Shanti. & puis un jour au bulletin de nouvelles régionales il y a le village qui est apparu, & une image d'explosion dans un petit commerce de la rue principale, & c'était l'ETA. Pas de blessés, seulement un trou dans la façade de l'édifice. & c'était un tout petit incident, même pas important, mais à ce moment-là je me suis dit, il y a une connaissance particulière de ces endroits brisés, même quand on ne les connaît que de vue. Comme une mémoire lourde. Comme un souvenir artificiel, aussi, parce que probable que je me rappellerais pas de ce commerce aujourd'hui si l'ETA l'avait pas fait sauter.

Loubianka c'est une des deux stations de métro de lundi, l'autre c'est Park Kultury mais Park Kultury j'y vais presque jamais. Loubianka c'est au centre des lignes, c'est au centre du centre de la ville. Près des quartiers généraux du FSB, près d'une très grande librairie, près d'un des endroits où je travaille. Quand on sort par la sortie que j'emprunte tout le temps, c'est gris & c'est laid & c'est bruyant & c'est la Moscou maussade qui déçoit tous les touristes. Maintenant ça deviendra, je sais pas, un endroit de recueillement. Un endroit tout plein de solennité craintive. Qui colore les mémoires, d'une certaine façon, & les alourdit.



samedi 27 mars 2010





Il y a Porcelaine qui cogne à ma porte les lendemains de veille, pour m'offrir un café Bailey's & des cernes encore plus impressionnants que les miens. Il y a tous mes vêtements imprégnés de fumée de cigarette, que j'étends chaque soir sur les radiateurs de la chambre pour essayer d'en extirper l'odeur. Il y a les patates au four, les meilleures patates du monde, fourrées au beurre & au fromage & au crabe, mangées très tard le soir, très tôt le matin, dans des kiosques à l'hygiène douteuse où les employées s'endorment sur leur petit banc dur entre deux clients. Il y a le premier métro de cinq heures & six minutes, à côté d'un Écossais de vingt ans qui me prête un écouteur pour que nous écoutions ensemble Don't Look Back In Anger, une seule fossette dans sa joue gauche, encore aussi ronde que celle d'un petit garçon. Il y a Kyoto & son enthousiasme débordant, irrépressible, pour La Lambada. Il y a trois bières & demie gratuites & le serveur qui s'appelle Aladdin, vraiment, & qui me dit toi aussi, toi aussi comme le film!. Il y a les journées passées à se recoucher, & à repasser dans ma tête toutes les choses que je veux pas oublier. Il y a Dickens, j'ai même pas encore terminé Dickens, il y a Dickens qui fait dire à Esther Summerson que I had never known before how short life really was, & into how small a space the mind could put it.

Cet été j'habiterai dans Saint-Roch, Saint-Roch de mon coeur, & en septembre je déménagerai chez Porcelaine, & dans notre appartement il y aura son horloge achetée au marché Novoslobodskaïa, cette horloge formidable où Medvedev & Poutine se regardent avec tout le sérieux présidentiel qu'ils possèdent, & nous l'accrocherons juste au-dessus du divan du salon, divan où Juillet viendra s'affaler contre moi, pour boire du café noir le matin & fumer des joints roulés serrés le soir, & dessiner des vagues de son doigt sur mes avant-bras, & écouter des chansons tristes sans s'attrister tout à fait, & construire des souvenirs, & s'embrasser quand on aura rien de mieux à faire, ce qui sera souvent, ce qui sera tout le temps, ce qui sera le plus près possible de toujours.




Parce que les tronçonneuses semblent être une constante dans ma vie, hier matin je me suis éveillée & tout de suite j'ai vu un homme qui en maniait une juste devant ma fenêtre. J'habite au cinquième étage, & c'était le réveil le plus horriblement désagréable & le plus ridiculement surprenant de toute ma vie.



lundi 22 mars 2010





Ce midi, tout juste en face de la sortie du métro Aéroport (près de où il n'y a jamais eu & n'y aura jamais d'aéroport), j'entends un bruit de tronçonneuse. Tellement fort que ça traverse tout le reste -- la musique trop forte dans mes oreilles, le bourdonnement de la foule de midi & quart qui fait claquer les grandes portes en bois de la station de métro, les voitures qui zigzaguent dans le trafic déjà agressif de fin de matinée. & c'est parce qu'il y a en effet un homme qui fait une démonstration de tronçonneuse, un homme installé sur un coin de trottoir & qui en vend, en fait, six ou sept tronçonneuses usagées reliées entre elles par de fragiles petits bouts de cordes, & un client potentiel qui s'attarde, l'air dubitatif. D'où la nécessaire démonstration de ladite tronçonneuse. Pour convaincre ledit client potentiel.

Juste quand je commence à me dire qu'il y a quelque chose à comprendre de Moscou, une certaine logique tronquée, bizarre & fantaisiste mais quand même existante, là, quelque part : bang! Des chain saws. En vente libre sur le trottoir.

(Des chain saws, cibole.)




Juillet me téléphone trop de bonne heure parce qu'il oublie qu'à Québec ils ont avancé l'heure & ici pas encore, ici seulement la semaine prochaine, Juillet me téléphone à six heures du matin pour me dire un jour là, on pourrait avoir comme un duplex à Limoilou, tsé, on habiterait au rez-de-chaussée & en haut on louerait, en arrière on pourrait avoir un jardin, on pourrait avoir un bac à compost!. & moi je dis oui Juillet, faudrait pas oublier le bac à compost.



lundi 15 mars 2010





Hier j’ai vu un film où une femme disait à un homme, you’re a parenthesis. Ça m’a rappelé que c’est une chose qu’on m’a déjà dite, un garçon que j’aimais beaucoup. Peut-être que je l’aimais aimais pas tout à fait, mais je l’aimais beaucoup.

Ces temps-ci je pense beaucoup aux gens que j'ai beaucoup aimés.

Ces temps-ci je lis du Anna Gavalda, aussi. Son recueil de nouvelles, celui avec le joli titre trop long. Je l'ai commencé parce que je cherchais quelque chose de pas trop compliqué à faire lire à mes étudiants de français, je me disais que je leur donnerais quelque chose de tellement français, de tellement exagérément français qu'il arrêteraient de se plaindre de mon accent, mais finalement non. Finalement j'ai rien trouvé, rien jusqu'ici. Mais je continue à lire. J'ai pas encore terminé Dickens & ça me donne l'impression, je sais pas, d'avancer ailleurs en même temps.

Ces temps-ci pas moyen d'y échapper, je sais pas pourquoi je passe mon temps à faire semblant que c'est rien, ces temps-ci je déprime déprime déprime. Je m'englue & je comprends pas pourquoi. Je veux dire, Anna Gavalda. Crisse.




& février 2010

Le peignoir, Suzanne Myre
The Social Economy, dirigé par Ash Amin
Coeur de chien, Mikhaïl Boulgakov
Almanach des exils, Stéphanie Filion & Isabelle Décarie




We're lost & everything is dirty, c'est le meilleur des titres au monde pour un blog de voyages. C'est aussi la description la plus incroyablement exacte des pires des désagréments ordinaires vécus à l'étranger -- pas l'artillerie lourde des kidnappings ou du vol, seulement l'hygiène douteuse des endroits où l'on dort & l'impression tenace d'être toujours un peu perdus, même avec une carte grande comme une mappemonde.

Le gars est photographe ou reporter, quelque chose comme ça, maintenant il est en Inde mais avant c'était l'Asie du Sud-Est, & avant la Colombie, & avant une pause chez lui, à Washington DC. Il prend toutes les photos que je voudrais savoir prendre & il déterre des histoires & il a un sens de l'humour que j'aime beaucoup, quelque part entre l'auto-dérision & l'oeil pour le détail, pour le ridicule, pour le bizarre. Faut voir ça. Faut vous occuper avec ça, juste pour me donner le temps de me sortir de ma déprime.



samedi 27 février 2010


Ça me fait du bien de lire Dickens en hiver, entre deux tempêtes de neige, alors que tout à l'extérieur s'immobilise & que dans ce roman-fleuve ça fourmille de partout, c'est une effervescence constante de personnages exagérément typés & de dialogues savoureux & de descriptions minutieuses, drôles à en être gluantes de sarcasme ; l'atmosphère sombre des villes pleines de suie mélangée à quelque chose de très comme il faut, de très victorien, de grands monsieurs qui discutent de politique étrangère en fumant des cigares, le feu dans la grande cheminée de marbre, les bibelots soigneusement époussetés par une bonne au tablier empesé. C'est interminable, ça part dans toutes les directions, c'est un véritable festin de détails -- c'est délicieux.




J'aime quand les courriels de Juillet commencent par en ce moment je suis saoul pas mal mais je me suis dit que c'est pas une raison pour pas t'écrire, parce que c'est toujours de bon augure.




Deux fois par semaine j'enseigne à un groupe d'adolescents, des longs cours de deux heures & quart auxquels ils assistent tout de suite après la fin de l'école, à quatre heures, les mardis & les jeudis, & qu'ils suivent parce que leurs parents, parce que leur avenir, parce que parce que parce que, mais jamais parce qu'ils en ont envie. Ils ont entre treize & seize ans, je les appelle mes p'tits crisses, affectueusement!, parce que cibole, ils sont quelque chose -- mais ils ont pas de malice. Ou pas beaucoup. & ils sont drôles comme c'est pas possible.

Alors jeudi, dépression généralisée pour cause de défaite hockey-ienne russe. En plus Plushenko a perdu son titre de champion du monde en patinage artistique un peu plus tôt dans la semaine. C'est le drame. La fierté nationale russe est en péril. Je leur dis pas grave, on fera pas de grammaire aujourd'hui, j'ai préparé des jeux pour la deuxième partie du cours, en attendant on va se parler. & on parle & on parle & on parle --

Du végétarianisme --
Vania, 13 ans : When I eat chicken, I feel sorry for the chicken. I think that if you feel sorry for the animals, you should not eat the animals. & if you do not feel sorry for the animals... then maybe the vegetarians come to kill you!!!
Moi : Thank you Vania, that's a... a good point you're making?

& de l'argent gagné à la loto --
Fyodor, 16 ans : If I won a million dollars, I would buy a big swimming pool & fill it with crocodiles.
Alissa, 15 ans & particulièrement perplexe : ...why don't you just buy a nice Lamborghini, like a normal Russian person?
Fyodor : Because I like crocodiles!

Je les aime.




& pourtant, je ne sais pas vivre autrement, je ne sais exister différemment sinon dans ce perpétuel décalage où j'aspire à être ailleurs. [Isabelle]

- Stéphanie Filion & Isabelle Décarie, Almanach des exils


Parfois on tombe sur des phrases, comme ça.




jeudi 18 février 2010





Ce midi j'ouvre l'avocat que j'ai acheté en début de semaine & la chair est de ce vert parfait, pâteux mais ferme, sur lequel je tombe presque jamais, sur lequel je suis jamais tombée depuis que je suis en Russie. J'écarte la pelure avec mes doigts & je tache toutes les feuilles sur lesquelles j'ai minutieusement recopié ma préparation de cours de tout à l'heure mais c'est pas grave, il n'y a jamais rien de trop grave, je mange un avocat à moi toute seule & ma vie, ma vie à moi, la seule que j'ai, est d'un vert délicieux.




Hier je m'éveille, c'est la fête de ma petite soeur, elle a vingt & un ans & je veux lui écrire quelque chose là, avant même le premier mauvais café instantané du matin. & dans ma boîte de réception, déjà un message --

Amélie, je t'aime & je m'ennuie vraiment de toi & je suis en ce moment l'homme le plus triste de la planète. Malgré ça, tout ira bien. Malgré ça, toi & moi ça ira bien.

Je crois qu'il y a quelque chose qui continue, tout doucement, malgré toutes les tristesses du monde.



mardi 16 février 2010





Avant de partir à la mi-décembre, le copain de Porcelaine m'avait donnée un billet de cinq cents roubles en prévision de la Saint-Valentin : achète-lui un paquet de cigarettes & un bouquet de fleurs qu'il m'avait dit, puis non, des cigarettes & un BigMac. Alors dimanche matin j'ai enfilé toutes mes pelures & je suis allée au kiosque de tabac, puis au McDo sur Novoslobodskaïa, puis chez Porcelaine, où je me suis présentée en dissimulant les cadeaux derrière moi. Le sourire grand comme ça.




Pour la Saint-Valentin il y a Sergi qui m'a écrit un courriel, à moitié en euskera & à moitié en espagnol, tout plein de fautes parce que c'est le catalan sa langue maternelle & qu'il a jamais su parler autre chose qu'un espagnol approximatif, il m'écrit ya hace tiempo que quería decirte algo, que te hecho de menos, il s'ennuie de moi. Sergi c'est le garçon qui m'avait dit, avec le plus grand manque de tact possible, que j'étais une parenthèse dans sa vie, une jolie parenthèse mais juste une parenthèse quand même, pas grand-chose de plus. Je lui en veux pas, même à ce moment-là je lui en avais pas voulu, il devait être quatre heures du matin & nous revenions des bars de Kutxi sous la petite pluie de fin mai, & moi je me souviens lui avoir dit j'espère que tu diras plus jamais ça à personne, jamais.




Avant-hier j'ai commencé une d'histoire dans un ficher que j'ai appelé triste, parce que parfois je crois que c'est vrai qu'il faut écrire là où ça fait mal.

Ça fait neuf jours que j'ai pas de nouvelles de Juillet & je me dis que peut-être il y a quelque chose qui se termine, doucement, sans que je puisse rien y faire. & ça me rend infiniment triste.



mardi 9 février 2010


Je retourne au café instantané, aux longues files d'attente pour peser les légumes au supermarché, aux mendiants agressifs dans les wagons du métro, à notre chambre toujours froide & à Sasha-le-radiateur qui surchauffe, aux trottoirs dangereusement glacés de la ville, aux caissières maussades, aux quatre kilos & demi de kopecks inutiles qui alourdissent mon porte-feuille, à Igor la plante qui frôle la mort sur le bord de ma fenêtre, aux cuisines communes où il y a toujours au moins un peu de vaisselle sale, aux conversations en flamand que Kyoto a avec sa mère via Skype, à l'odeur de cigarette qui traîne dans la cage d'escalier, à l'ascenseur brinquebalant de l'immeuble, au matelas dur de mon petit lit, au ciel bleu des journées très froides, à mon téléphone cellulaire russe crissement pas fonctionnel, à une certaine fatigue traînante, persistante, qui me rappelle mes grands accès de langueur en automne. Mais je retourne aussi à l'envie de tout faire en même temps, manger des légumes verts lire de bons livres tricoter des pantoufles courir dans les escaliers de secours écouter des tonnes de nouvelle musique dessiner gribouiller vivre!, & ça c'est pas rien, surtout en février.




Je vais travailler & je retrouve toutes les hésitations attendrissantes des adultes qui apprennent patiemment, parfois péniblement une nouvelle langue ; l'espèce de joie tranquille qu'ils ont quand ils saisissent vraiment, vraiment quelque chose, aussi, & la satisfaction que moi j'ai quand je réussis à les faire rire un peu, entre deux règles de grammaire.

Je me présente à un seul endroit & il y a trois emplois qu'on m'offre comme ça, comme si ça devait toujours être aussi simple que ça.

Unaï m'envoie un courriel, quelque chose de doux, quelque chose qui fait du bien. Il y dit je t'imagine bien à Moscou en train d'apprendre sur la vie, petite à côté de tout ce qui se passe autour de toi, mais toujours heureuse.

Au marché il y a une babouchka au visage fripé qui me voit hésiter devant les espèces de mandarines à la pelure presque rouge qu'on y vend & elle me dit, c'est délicieux, tu verras que c'est délicieux!. & j'en achète quatre, & c'est vrai que oui, que c'est très délicieux.

Il y a de bonnes choses, quand même.




Je lis Boulgakov & je pense aux chiens moscovites qui prennent le métro, qui s’infiltrent au centre-ville, qui traînent autour des boucheries, qui se roulent en boule pour dormir sous des viaducs --


Il ne sert absolument à rien d’apprendre à lire, quand, de toute manière, la viande se sent à un kilomètre. Néanmoins, si vous habitez Moscou & si vous avez si peu que ce soit de cervelle dans la tête, vous apprendrez l’alphabet, que vous le vouliez ou non, & cela sans suivre aucun cours. Sur les quarante mille chiens moscovites, il ne s’en trouvera jamais qu’un seul, un idiot absolu, à ne pas savoir composer avec des lettres le mot saucisson.

- Mikhaïl Boulgakov, Coeur de chien


Je lis Boulgakov, & j’ai trèstrès envie de relire Le Maître & Marguerite.



dimanche 7 février 2010


J'ai terminé un autre recueil de Suzanne Myre tout juste avant de repartir pour Moscou, Le peignoir que ça s'appelait, & dans la nouvelle-titre il y avait une histoire de deuil & de père mort à l'étranger, en vacances. Je me suis dit ça me suit partout mais en fait c'est pas moi que ça suit, pas du tout.




I invented a book that listed every word in every language. It wouldn't be a very useful book, but you could hold it & know that everything you could possibly say was in your hands.

- Jonathan Safran Foer, Extremely Loud & Incredibly Close




Durant la dernière semaine à Québec, je me suis enroulée & enroulée & enroulée autour de Juillet & de son chagrin. J'ai jamais perdu de grands-parents j'ai jamais perdu de parents j'ai jamais perdu d'amis, dans ma famille il y a juste le chien qui est mort, de vieillesse, d'un petit corps trop usé, triste mais pas déchirant d'inattendu, une mort tranquille à en être douce. Alors quand j'avais toute l'impuissance du monde qui me montait à la gorge, je disais le moins de choses possible & je m'enroulais, je m'enroulais, mes mains chaudes sur sa nuque, mes jambes entortillées dans les siennes. Mon souffle contre sa joue, comme une caresse. De petites poches d'air pour remplacer les mots bloqués dans mon ventre.

Il m'a dit si tu pars pas je vais m'en vouloir, alors je suis partie comme prévu, je suis partie quand même. Lourde de choses que je sais pas dire.




& janvier 2010

Kafka on the Shore, Haruki Murakami
Cuentos sobrenaturales, Carlos Fuentes
Mes aventures d'apprenti chevalier presque entièrement raté, Marie Clark
Extremely Loud & Incredibly Close, Jonathan Safran Foer
Tout ce qui brille, Jennifer Tremblay
Le Vengeur masqué contre les hommes-perchaudes de la Lune, François Blais



vendredi 29 janvier 2010





Hier je suis arrivée chez Juillet à une heure & demie avec un appareil-photo jetable & les cheveux ébouriffés par l'hiver, viens dehors que je lui ai dit, on a vingt-sept photos & juste un après-midi.

À six heures & des poussières je suis allée rejoindre Marlie au Sacrilège, pour la première fois à vie j'étais en retard & elle pas, on devait rester une heure mais finalement c'est trois heures qu'on a passées à parler de toutes ces choses qu'on a jamais le temps de se dire -- ses chansons colorées, belles comme des bijoux ; tous nos grands élans d'indignation devant l'injustice, toutes les injustices sociales ; l'Afrique ; la Russie ; la bière que son copain ira bientôt brasser en campagne ; les histoires qui me chicotent ; le futur qui est là , maintenant. Marlie attablée en face de moi, immensément grande & immensément blonde, la plus belle personne que je connaisse.

Je suis revenue chez Juillet avec quatre bières dans le ventre & une grande chaleur dans les joues, alors il m'a donné de la crème glacée au chocolat & des tonnes de sourires indulgents. J'ai fouillé dans sa bibliothèque & je me suis endormie en lisant les premiers chapitres de Chercher le vent, j'avais oublié qu'il y avait une Catalane dans ce livre-là ; quand je me suis éveillée il me regardait dormir. Il m'a dit toi tu m'habites & c'était d'une douceur cotonneuse, un nuage de ouate contre ma peau.

& ce matin le téléphone a sonné à neuf heure quarante-six minutes, cinq coups avant qu'il ne réponde, & c'était quelqu'un qui lui disait que son père était mort.

Il y a des choses, comme ça.



mercredi 27 janvier 2010





Ces temps-ci je lis des livres que j'aurais envie de ne jamais terminer.

À l'aéroport d'Heathrow j'avais quatre heures d'attente & War & Peace déjà terminé dans le fond de mon sac à dos, alors j'ai acheté Kafka on the Shore & c'était le meilleur de tous les livres que j'aurais pu lire à ce moment-là, à exactement ce moment-là de ma vie. D'Haruki Murakami j'avais seulement lu Chroniques de l'oiseau à ressort, dans une traduction vraiment horrible qui m'avait profondément frustrée, on a pas idée de massacrer un livre à ce point, cibole!, mais Kafka c'était encore plus de toutes ces choses qui n'arrivent qu'en littérature -- les personnages qui parlent de mythes grecs & de grandes choses profondes, le temps qui se troue & s'étire & s'embrouille, une histoire éclatée de brume & de rêves. & puis en même temps il y a tout un cadre supra-réaliste, de très petits détails du quotidien, l'auteur qui passe son temps à expliquer très exactement ce que les personnages ont décidé de manger pour le repas du soir, quels légumes sur quel type de riz avec quelle marque de café instantané. C'en est tellement déroutant que ça en devient beau.

& aujourd'hui je termine Extremely Loud & Incredibly Close, qui lui est tout plein de personnages qui ne peuvent survivre qu'en littérature -- le petit garçon beaucoup trop prodige ; le grand-père qui perd la parole & entretient des dialogues via des tonnes de cahiers ; le vieil homme centenaire & sourd qui enfonce chaque matin un nouveau clou dans un lit construit à même un arbre volé où, je m'en rappelle plus tout à fait, peut-être à Central Park? Anyway. C'est un livre comme une explosion dans la poitrine.

& ça prend un certain courage, je crois, pour écrire de ces choses, de ces gens qui n'arrivent que dans les livres.




Ces temps-ci je vis des choses que j'aurais envie de ne jamais avoir fini de vivre.

Il y a des journées grises de pluie verglaçante & de trottoirs-patinoires où Juillet sent toujours la menthe & l'air du dehors & le savon & la cigarette, juste un peu, juste assez pour donner du relief à son odeur. Il a recommencé le jour de sa fête parce que crisse, t'étais pas là.

Il y a les meilleures soirées du monde avec Baloi, toutes les deux nostalgiques de téléromans espagnols horriblement invraisemblables, un ancien orphelinat devenu école privée devenue théâtre d'activités criminelles en tout genre, toutes les deux encore follement amoureuses du Pays Basque, à distance, trop craintives pour y retourner tout de suite, qu'est-ce que ce serait que d'aller à Gasteiz pour la retrouver vide de tous les gens qu'on y a aimés?

Il y a des après-midis de soleil doux chez mon grand-père, à l'entendre me raconter un rêve rêvé la nuit précédente, un rêve fou qu'il me dit, un rêve tellement beau, qu'est-ce que c'est qu'un beau rêve pour mon grand-père? Y'avait un lac dans la cour en avant, j'y pêchais des dorés gros comme ça.

Il y a des virées express à Montréal, trois heures & demie en voiture avec un petit monsieur de soixante-quinze qui roule à peu près à ça, à soixante-quinze, pour aller voir Chuck qui tombe dans le mélodrame & jure jure jure! que sa vie de future infirmière est finie terminée déjà derrière elle, pourquoi je m'obstine à faire de quoi qui me ressemble pas?. Baloi qui lui dit va donc sage-femme, que j'aie pas besoin d'accoucher à l'hôpital. Moi qui lui dis l'école ça presse pas, mais tout le reste -- oui!

Il y a déjà toutes ces semaines douillettes chez mes parents, les crêpes aux fruits pour le souper, l'énorme machine à espresso qui tire les plus bruyants de tous les allongés du monde, les mauvais téléromans auxquels ma mère donne tous une chance, au moins trois épisodes, Trauma c'est pas bon mais qu'est-ce tu veux, c'est James Hyndman, mon père & son amour des bibliothèques qui s'étale dans toutes les pièces, ma soeurette qui vient dormir chaque fois que ça va pas avec son copain & qui me laisse de petites notes presque sans fautes d'orthographe, je t'aime vraiment beaucoup, des milliers & des milliers de points d'exclamation.

Il y a une fin de fin de journée où Juillet me dit je dors mieux depuis que je te connais & je pourrais rire en disant tu me trouves soporifique? mais je le fais pas parce que déjà sa respirations s'alourdit dans mon cou & aussi parce que je sais que ce qu'il essaierait d'expliquer c'est qu'il y a une angoisse, de ces angoisses sombres & gluantes comme les anguilles, qui existe juste un tout petit peu moins depuis que, depuis que.

(Juillet qui demande, pourquoi y'a pas encore personne qui a écrit de livre sur toi & moi & ça? ; moi qui réponds parce que dans les livres faut toujours que ce soit au moins un peu compliqué.)

Il y a des journées entières que je passerais à l'avoir tout près, assez pour pouvoir sentir son coeur battre dans ma poitrine.



samedi 9 janvier 2010





En 2009 j'ai commencé cent onze livres ; j'en ai abandonné deux ; je suis tombée amoureuse des dizaines & des dizaines de fois.

Les meilleurs des meilleurs --
Tolstoï! (...personne l'avait vu venir.) War & Peace, & puis aussi The Death of Ivan Ilyich & Other Stories.
Suzanne Myre! J’ai de mauvaises nouvelles pour vous & Nouvelles d’autres mères & Humains aigres-doux. (Me reste deux recueils d'elle à lire. J'ai hâte hâte hâte.)
La ciudad y los perros, Mario Vargas Llosa
Je jette mes ongles par la fenêtre : nouvelles, Natalie Jean
La peau des doigts, Katia Belkhodja
La physique racontée aux poètes & aux enfants, Ulf Danielsson
Bourlinguer, Blaise Cendrars

Aussi beaucoup beaucoup aimé, pêle-mêle --
Trainspotting, Irvine Welsh
The View from Castle Rock : Stories, Alice Munro
Éloge du chiac : poésie, Gérald Leblanc
Chronicles : Volume One, Bob Dylan
Québec en mouvements : idées & pratiques militantes contemporaines, sous la direction de Francis Dupuis-Déri
Instruments des ténèbres, Nancy Huston
N.P, Banana Yoshimoto
Les justes : pièce en cinq actes, Albert Camus
La plus jolie fin du monde, Zviane
La memoria, Louise Dupré
Coup de foudre, clichés & autres atrocités, textes de Julie Gaudet-Beauregard & illustrations de Catherine Lepage
The History of Love, Nicole Krauss
Chambre avec baignoire, Hélène Rioux
Théâtre complet I : Ce fou de Platonov, Ivanov, La mouette, Les trois soeurs, Anton Tchekhov
A Hero of Our Time, Mikhail Lermontov

& meilleures relectures, parce que ça veut quand même dire quelque chose que d’aimer autant un livre pour la deuxième fois --
Sherlock Holmes : The Complete Novels & Stories, Volume I, Arthur Conan Doyle (pas eu le temps de relire le deuxième volume -- peut-être plus tard cette année.)
Les Malaussène de Pennac! (...sauf peut-être Des chrétiens & des maures.)
Je voudrais me déposer la tête, Jonathan Harnois

(Faire dans le concis, le voici mon top dix de l'année, je serai jamais capable. Il y a trop de livres qui méritent d'être aimés au grand jour, même dans des listes interminables!)




Dans le train de nuit de St-Pétersbourg à Moscou j'étais fatiguée à en avoir mal aux yeux mais j'étais incapable de dormir, alors j'ai écouté Murder Ballads, tout l'album trois fois de suite, & vraiment c'était apaisant, repasser toutes ces histoires en boucle, soupeser les mots, les entendre s'enrouler autour des notes. & très lugubre, aussi, parce qu'à la fin du voyage je voyais des envies de rages meurtrières chez tous mes voisins de wagon, mais bref.

& j'étais sur youtube aujourd'hui, après avoir terminé mes bagages, & je me suis souvenue à quel point j'aime le vidéoclip pour Henry Lee -- le contraste entre l'air particulièrement vampirique de Nick Cave & les traits délicats de PJ Harvey, la chanson si délicieusement morbide & leurs gestes si doucement enveloppants. & leurs mains, leurs mains qui dansent & happent & dessinent, quelque part dans l'espace qui les sépare, de grands sentiments crève-coeur.








Je prends l'avion demain matin.


vendredi 8 janvier 2010





Mon Noël à moi, tout doux:

Le vingt-quatre décembre, dans la petite épicerie tenue par les Kazakhs qui vendent des oranges bioniques grosses comme ma tête, Dalida qui chante paroles, paroles & la caissière qui bat la mesure, ses faux ongles s'écorchant sur le comptoir de métal.

Encore le vingt-quatre décembre, je reçois un colis par la poste & c'est de Juillet & c'est un tout petit livre en papier recyclé, les feuilles reliées tout croche & l'encre bleue qui s'étend en pâtés, les mots maladroits, les fautes d'orthographe, les photos de sourires. Mon coeur grand comme ça dans ma poitrine.

Le vingt-cinq décembre, je travaille mais seulement après avoir festoyé avec la patronne & la secrétaire & Porcelaine, à boire du Campari à deux heures de l'après-midi & manger des petits fours noyés dans la crème sûre, la patronne qui offre une boîte de chocolats & du champagne, pas du champagne russe sucré mais l'autre, l'étranger qu'elle dit, plus amer, c'est bien celui que vous préférez?. Je donne mon cours peut-être pompette, peut-être juste un tout petit peu, & quand je rentre chez moi il y a une boîte de truffes sur mon oreiller, & il y a un peu de neige qui se faufile par la fenêtre entrouverte, & je me dis que tout ça, Moscou toute blanche du chocolat en cadeau une bouteille de champagne dans mon sac, tout ça c'est joli comme un poème.




Ensuite il y a eu ma dernière journée de travail, mes étudiants qui m'offrent d'autres boîtes de chocolat, les meilleurs chocolats russes au monde, & qui prennent de toutes petites voix paniquées lorsqu'ils apprennent que je reviendrai seulement en février, but you're coming back, right?. Puis le trente & un décembre sur la Place Rouge, à regarder les feux d'artifices éclater au-dessus du Kremlin avec un Croate grincheux & deux Russes & Porcelaine, Porcelaine avec qui je partage ma bouteille de champagne & qui me dit en m'embrassant sur les deux joues que de tout le monde que j'ai connu ici, suis crissement contente d'être avec toi pour le Nouvel An!

Puis Novgorod où je suis arrivée à six heures du matin, où l'eau de la Volkhov était plus chaude que l'hiver, où il y avait de longs filaments de brume qui couraient au-dessus de la rivière & où, dans l'air doux & presque intolérablement froid du petit matin, c'était d'une beauté délicate, inattendue.

Puis Saint-Pétersbourg où j'ai appris que Lhasa était morte alors j'ai écouté son dernier album à répétition, partout sur les trottoirs enneigés de la ville. Je préfère son deuxième disque, The Living Road, mais dans Lhasa il y a une mélancolie dans laquelle j'ai toujours un peu envie de me lover. Comme le goût d'être triste, d'être juste assez triste pour comprendre les chagrins qu'elle chante.




Sinon il y a le petit chien de la famille qui est tombé gravement malade juste après Noël, & elle était vieille, & maintenant elle est morte. Ma soeurette qui m'écrit tsé, je sais même pas si le paradis existe mais j'espère tellement tellement fort que le paradis des chiens existe, parce que elle il faut qui lui arrive de quoi de bien. Oui.