mardi 25 mai 2010





Avec Juillet c'est ma première vraie rupture d'adulte, de grande personne raisonnable qui s'assoit sur le divan du salon & qui boit deux bières & qui explique ce qui a cloché, posément, ce qui a pas pu marché & ce qui s'est cassé, ce qui a arrêté d'être tout doucement, en catimini. Qui compose avec l'espèce de froideur qui flotte entre deux personnes qui se sont aimées, avec les toutes petites distances qui paraissent énormes, pleines à craquer de vide. Qui boit deux autres bières & qui discute d'autre chose, de voyages & de souveraineté, je sais même plus, de hockey sûrement, & qui est heureuse de lui parler sans se presser, en ponctuant nos phrases d'un rire doux qui me fait du bien.

Il me dit on va quand même au ciné-parc, crisse, au pire on fumera du hash au lieu de frencher, je t'appelle cette semaine & c'est triste mais seulement deux ou trois secondes, après ça passe.

Il y a beaucoup de chagrin là-dedans, mais aussi du soulagement. & aujourd'hui, particulièrement aujourd'hui, avec l'orage tout juste de l'autre côté de ma fenêtre & dix mille projets qui virevoltent dans ma tête, aujourd'hui j'ai l'impression que je porte pas trop d'erreurs. & que ce sera un bel été.




J'ai cinq livres qui m'attendent au comptoir des réservations de la bibliothèque Gabrielle-Roy. Lorsque je me présente pour les récupérer avec le plus grand sourire du monde, il y a la petite madame qui me dit toi tu sais que le salut passe par la littérature, hen? & à ce moment-là, juste à ce moment-là, je crois que je serais capable de fermer les yeux sur la couche épaisse de rouge à lèvres cerise qui coule jusque sur ses dents, vraiment je pourrais, je me pencherais au-dessus du comptoir & je l'embrasserais à pleine bouche.



dimanche 23 mai 2010





Finalement c'est Anna qui l'a retrouvé pour moi :

Abandonner n'est pas moins douloureux qu'être abandonnée. Seulement, l'abandon est un geste, un mouvement, une manière de voyager la douleur qui donne l'impression d'y échapper.

Jennifer Tremblay, Tout ce qui brille



Vu sur la rue St-Jean cet après-midi : de belles grandes filles qui marchent pieds nus sur le trottoir chaud, toujours les mêmes monsieurs bedonnants attablés près des fenêtres du Sacrilège, trois personnes que je connais en moins de quinze minutes parce que Québec, cibole, Québec, deux fillettes aux cheveux mouillés qui tanguent dangereusement du côté de la rue, une serveuse en pause qui fume sans enthousiasme une cigarette très mince, un couple qui s'embrasse goulûment dans l'entrée d'un dépanneur, un chien qui lèche avec application le poteau d'un lampadaire, dix mille fissures de trottoir dans lesquelles j'aurais envie de me couler, la vie qui continue.




J'ai le coeur engourdi & j'ai le coeur revêche & je respire par à-coups, jamais profondément, par peur de le réveiller & de le faire exploser, un coeur qui explose c'est un séisme un ouragan un raz-de-marée dans la cage thoracique. Moi j'ai besoin de vivre juste encore un peu léthargique, juste un peu en retard sur l'été, juste un peu en retard sur ma dégueulasserie de chagrin. C'est quand même pas beaucoup demander, je pense.







Je lis Douleur exquise comme je bois le premier café du matin, lentement, à petites gorgées, parce que c'est tellement brûlant que ça en décape la langue.

Je lis La découverte du monde tout le temps, partout, à grandes goulées, comme si j'avais peur que les mots disparaissent avant que j'aie le temps de tous les lire. Je lis dans mon lit, à trois heures du matin, quand je m'éveille avec une angoisse aussi grande que la chambre ; je lis dans le Parc Victoria, allongée sur une couverture verte que je tache de vin rouge, vin rouge préalablement transvidé dans une gourde aussi verte que la couverture ; je lis en gardant le combiné du téléphone coincé entre l'oreille & l'épaule, Vivaldi qui s'en échappe tandis que j'attends mon nom est Marie comment puis-je vous aider? ; je lis même quand j'aurais mieux à faire, même quand il faudrait que je lâche un peu les livres & que je rafistole ma vie.

Je lis Les nations obscures quand je suis fatiguée de toujours me replier dans ma tête & que j'ai besoin de me rappeler, une fois de temps en temps, que vraiment c'est pas la fin du monde.



mercredi 19 mai 2010





Depuis quelques jours j'essaie de retrouver un passage de Tout ce qui brille que j'avais recopié dans un cahier, ça parlait de quitter ou d'être quitté, comme quoi les deux sont difficiles mais qu'initier l'abandon c'est peut-être plus léger, je sais pas, une douleur moins massive parce que partir c'est un mouvement, ça déchire mais au moins ça ne donne pas l'impression de stagner.

Je suis pas certaine d'être d'accord.




J'habite dans l'appartement d'une amie qui est partie pour l'été, quatre mois en Équateur. Dans un coin du salon il y a un bébé aloès déjà géant que je vais sûrement assassiner par inadvertance d'ici fin juin ; juste en face il y a aussi une toute petite télé à oreilles de lapin, qui réussit de peine & de misère à capter un poste & demi. Le matin j'allume la radio & j'écoute la belle voix posée de Raymond Poirier à CKRL (Raymond! tu m'as manqué gros comme ça) en lavant la vaisselle du soir d'avant. Le carrelage est toujours froid sous mes pieds nus & je me traîne d'une pièce à l'autre en cherchant quoi lire, en cherchant exactement le livre qu'il me faudrait à ce moment-ci de ma vie. À l'aéroport de Francfort j'avais acheté un roman de Nick Hornby en me disant que peut-être ça me remonterait le moral, mais finalement c'est tellement fondamentalement réaliste que c'en est insoutenable, je suis pas capable de passer le cap des cinquante pages. J'ai une dégueulasserie de chagrin dans le fond de la gorge & je suis encore convaincue qu'il y a que les bons, que les très bons livres qui puissent me soulager ; j'arrive pas à décider si c'est incroyablement idéaliste ou horriblement pathétique.




Hier après-midi avec le copain américain de Porcelaine, à faire des dizaines & des dizaines de commerces pour lui trouver un travail au noir. Après quelques heures nous nous asseyons dans le Parc Victoria & il me dit avec son accent maladroit que tu sais Amélie, tout always turns out all right in the end. & moi je dis je sais, je sais mais the end just seems awfully far away.



dimanche 16 mai 2010





De retour à St-Roch avec le coeur en compote.
Je crois que j'ai jamais fait autant d'erreurs en aussi peu de temps.