mercredi 29 juillet 2009





Nous sommes revenus dimanche soir très tard, en traversant deux ou trois orages. En avant il y avait le Végétalien & Unai, & moi j'étais recroquevillée sur le siège arrière, avec la tente & mon sac à dos & le violon cheapette made in China de Sabrina, celui qu'elle traîne pour jouer malgré les intempéries & qui a des échos de fond de canne. J'ai fermé les yeux pour ne pas trop voir les éclairs. (J'ai peur de la foudre. Peur du feu, aussi. Je suis clairement la compagne de camping idéale.) J'avais dans la tête tout plein d'airs de bluegrass & de vieilles chansons de Robert Johnson, you better come on in my kitchen, it's going to be rainin' outdoors. J'avais aussi dix-huit piqûres de moustique sur les mollets, & comme l'impression de vivre la fin de quelque chose.




Unai prenait l'avion ce midi & il est parti de chez moi ce matin, un peu après neuf heures.

Hier il est entré sans cogner & il était triste, déjà. Il est allé se doucher parce que vraiment il faisait très chaud, il fallait tout un orage pour dépêtrer le ciel de son humidité lourde, & quand il est sorti j'étais sur le balcon, à regarder les premiers éclairs. Il s'est placé derrière moi, ses mains sur mon ventre son menton sur ma tête, & il a dit merci. Merci pour être belle, merci pour être pas compliquée, merci merci pour tous les moments jolis. C'est pas souvent que j'ai vu un garçon pleurer, mais ça me chamboule à chaque fois.

Avant d'aller dormir il était fragile, comme vulnérable ; moi je n'étais pas triste mais je sentais que ça se préparait, que ça grondait dans ma poitrine. Nous nous sommes dit des douceurs en nous regardant de très près, recroquevillés l'un contre l'autre. « T'es une belle personne, » que j'ai murmuré, « j'espère que t'auras une bonne vie. » Il m'a sourit, a fait oui, oui elle sera bonne. « Toi & moi, » qu'il a dit, « on mérite des bonnes vies. »

C'est quelqu'un qui m'aura fait beaucoup de bien, quand même.

Hier nous avons dormi à travers l'orage, avec les éclairs qui dessinaient des secousses de lumière dans la chambre. Une de ses mains sur ma cuisse, l'autre dans la mienne. Ses cheveux tout près de mon nez. Je me suis dit ce moment, juste ce moment, & je me suis sentie bien.

Ce matin il m'a dit rencontre quelqu'un d'extraordinaire en Russie & moi je lui ai souhaité plein de belles filles qui font tout plein de belle musique.

Unai, mon beau garçon, tu vas me manquer.



vendredi 24 juillet 2009





Dimanche il était tard & je remontais la côte Salaberry en fredonnant du Bette & Wallet. J'avais laissé Unai au coin de Saint-Vallier & L'Angelier & j'avais cette sérénité très douce sous les côtes, cette joie tranquille d'avoir passé une longue soirée à faire tout plein de choses que j'aime — me presser contre la foule devant le spectacle en plein air du Cirque du Soleil, boire une bière sur la terrasse de La Barberie, grimper sur le trottoir pour mieux embrasser Unai, esquisser des pas de danse (pieds nus parce que c'est plus agréable) dans une rue déserte de Saint-Roch, Saint-Roch de mon coeur pour qui je garde une drôle de tendresse émue. Tout ça, & c'était vraiment l'été.

Ce matin je pars en camping dans Lanaudière, région que j'aurais pas su situer sur une carte avant-hier tellement moi & la géographie du Québec égal zéro, il pleuvra toute la fin de semaine mais ce serait pareil à Québec. J'ai préparé des galettes à la mélasse & j'ai comprimé mes vêtements dans un tout petit sac à dos ; j'y ai aussi enfoui un jeu de cartes, au cas où. & puis j'irai à un festival de musique traditionnelle près de Joliette, en fait je sais même pas encore pourquoi j'aurai réussi à me ramasser là, mais au moins il y aura Bette & Wallet, en spectacle, & deux ou trois personnes que j'aime beaucoup.




Unai repart pour Grenade le 29 mais je ne compte pas les jours, ce serait trop triste.



dimanche 19 juillet 2009





Message d'intérêt public :

Je n'ai plus que trois prêts & (roulement de tambours) deux réservations auprès du Réseau des bibliothèques de Québec. Si vous avez des suggestions de lecture, je pourrais re-gonfler ma liste jusqu'à ce qu'elle atteigne des proportions plus respectables. (... la snoberie littéraire est un des seuls défauts que je cultive pas, alors vraiment ça peut être n'importe quoi.)




Ce matin j'ai fait un peu de jardinage sous la pluie avec le Végétalien ; il se lève très tôt & j'ai fait pareil, je me suis levée tôt, mais j'ai passé toute la matinée à fantasmer sur les litres de café noir que j'engloutirais plus tard. En revenant chez moi j'ai acheté un bon pain chaud aux trois noix & une amandine au chocolat, que j'ai mangée sur mon balcon. J'avais mes jeans & mon haut de bikini, il ne faisait pas chaud mais j'ai fait comme si. Maintenant j'ai le goût d'une sieste, & peut-être d'un orage de fin d'après-midi.

Hier j'ai bu de la bière dans un parc, le sac en papier fripé autour de la bouteille, & j'ai dit à Unai que ça va nulle part mais c'est crissement plaisant quand même. Je ne m'étais jamais rendue compte à quel point c'est facile d'aimer les gens qui s'en vont, & moi j'ai ce sourire niais qui m'envahit le visage chaque fois que ses longs doigts cherchent les miens tout juste avant d'entreprendre la traversée d'une rue.



samedi 18 juillet 2009


Samedi matin pluvieux & paresseux, à écouter du Beirut inlassablement, comme pour me punir de les avoir manqués à l'Impérial. J'ai une très grande tasse de café, j'ai une rôtie beurre d'arachides & confiture ; j'ai le coeur gros comme ça & une petite tristesse lancinante sous la peau, lancinante mais douce quand même. Pas malheureuse pour deux sous, seulement comme un trop-plein de mots dans la voix & toute une marée dans le ventre.

Hier j'écoutais des amis jouer de la musique en lisant Suzanne Myre (ah, Suzanne!) & je me disais, il y a des choses pires que de partir en laissant derrière des gens qu'on aime beaucoup. C'est difficile & c'est triste & ça arrive trop souvent, mais c'est pas tragique. Tragique ce serait n'avoir personne, tragique ce serait s'en aller sans avoir à se déraciner, sans sentir autre chose qu'un agacement qui frôle la lassitude. Alors que moi c'est autre chose, moi je partirai lourde de contradictions, de vérités que j'aurai dites tout croche & de grands sentiments maladroits. Avec dans la poitrine un orchestre de circonstance, une musique de vagabonds assoiffés de l'ailleurs & nostalgiques, déjà, de tout ce qu'on ne vivra jamais deux fois.

Je sais pas beaucoup de choses, pas beaucoup de choses par rapport à mon futur, je veux dire, mais je sais que dans ma vie j'ai envie d'aimer beaucoup de gens, & dans beaucoup d'endroits différents. Je crois que ce sera toujours un peu déchirant.




L'été jusqu'ici, en bref :

  • la chair mûre des avocats ;
  • le voisin d'en-dessous qui parle au téléphone en espagnol ;
  • porter sous mes vêtements un haut de maillot de bain vert à pois blancs ;
  • les tomates raisins qui éclatent sous les dents ;
  • la pluie qui tambourine sur le toit de tôle du grenier d'Unai ;
  • de grands verres d'eau sur le balcon ;
  • la bière à l'abricot, la bière aux bleuets ;
  • des taches de rousseur sur le haut de mes pommettes ;
  • du reggae & du ska & du folk & un million d'accordéons & toute la musique festive du monde.



dimanche 12 juillet 2009





Mes péripéties au travail cette semaine :

Lundi : Un monsieur m'offre un cornet de crème glacée. Au chocolat! (Donc j'accepte. J'aurais dit non pour la vanille.) Puisqu'il a ainsi réussi à m'immobiliser devant sa porte d'entrée, il passe alors vingt minutes à m'expliquer en détail tout ce qui cloche avec le Parti Québécois.
Mardi : Je ne travaille presque pas parce qu'il commence à pleuvoir aussitôt que nous arrivons. C'est un déluge biblique! Nous sommes entassées dans la voiture & il y a tellement d'eau partout, le son de la pluie contre les portes & la buée dans les fenêtres, j'ai l'impression d'être dans un sous-marin.
Mercredi -- La voiture nous lâche à huit moins quart le soir, dans le fin fond de l'Ancienne-Lorette. (C'est le bras de vitesse qui a rendu l'âme.) Nous attendons la dépanneuse durant une heure, en jouant aux cartes sur le trottoir. (Je perds de façon assez spectaculaire.) Les quelques Lorettains qui passent nous prennent pour des sans-abris & tentent de nous refiler le petit change qui traîne dans leurs poches.
Jeudi : Nous sommes tout près de l'aéroport de Québec & de temps à autre nous voyons les avions passer au dessus de nos têtes, les roues sorties & prêtes pour l'atterrissage. Elles dessinent de grandes ombres dans les petites rues tranquilles.
Vendredi : La météo annonce beaucoup de chaleur mais le matin est encore frais, même que je me gèle les orteils en buvant du café sur le balcon. L'après-midi je m'enduis de crème solaire à répétition, tellement que j'en acquiers à peu près trois couches supplémentaires d'épiderme.




Je traîne une drôle d'angoisse, mais je crois que c'est parce que ma vie change & change & change. Bientôt je m'y habituerai.



mercredi 8 juillet 2009





Deux choses qui me trottent dans la tête :


1) Dans Borderline le film, visionné hier (& pas tellement apprécié, mais de toute façon j’avais pas beaucoup aimé les deux premiers livres de Marie-Sissi Labrèche) l’un des personnages se dit amoureux & téméraire. & moi je me dis, quelle description exacte de ce que c’est, le tout début de quelque chose avec quelqu’un qui nous plaît vraiment beaucoup. (Je me dis aussi que j'utilise pas assez le terme téméraire dans ma vie quotidienne. Quel mot incroyablement puissant, quand même.)


2) Dans Bourlinguer, Blaise Cendrars dit que la révolution & l’aviation ont été les deux plus grandes déceptions de sa vie. Je peux comprendre. On pense que voler ce sera une expérience transcendante qui nous rapprochera de, je sais pas, l’insouciance des oiseaux, la légèreté des nuages, la transparence de l'ozone, ce genre de choses ; en fait c’est une série de manoeuvres répétitives & de bruits mécaniques. On pense que les révolutions font table rase de l’avant & du mauvais, une grande effusion de violence nécessaire pour ensuite s'agripper à toute une nouvelle façon d’envisager le pouvoir ; après deux ans tout a déjà été récupéré, bureaucratisé ou étouffé, & puis en plus tout le monde sait que la violence nécessaire ne se termine jamais tout à fait. Être née à la fin du XIXe siècle, avoir connu la Première puis la Seconde Guerre mondiale, la révolution bolchevique puis Staline, moi aussi j’aurais été déçue.

(J'aime tellement Blaise Cendrars. J'ai commencé à le lire tellement jeune qu'aujourd'hui je suis même plus capable de déterminer si vraiment c'est très bon ce qu'il écrit, ou si c'est autre chose -- une familiarité qui réconforte, toutes les choses que j'ai envie qu'on me dise. J'ai l'impression qu'il a vécu sa vie avant de se mettre à l'écrire, & ça c'est tout ce que j'aimerais pouvoir faire.)



lundi 6 juillet 2009


Dans le nouvel appartement qui n'est pas vraiment à moi, qui en fait ne le sera seulement que pour un tout petit bout d'été :

  • Je bois du café dans une très grande tasse bleue en regardant la pluie dessiner des rigoles sur la fenêtre du salon ;
  • Je compte les bleus que deux déménagements successifs, un pour moi & un pour quelqu'un d'autre, ont laissé sur mes jambes ;
  • (... seize) ;
  • Je passe un après-midi à récurer la cuisine & tout ce qui s'y trouve -- le frigo, le four micro-ondes, le vrai gros four ;
  • Je redécouvre, après quatre ans de sevrage, les vertus à la fois thérapeutiques & abrutissantes de la télé ;
  • Je dors une nuit sur le divan du salon parce qu'il est plus confortable que le matelas du lit ; aussi parce que les draps gardent l'odeur d'Unai, parti hier pour la Gaspésie, & que je n'ai pas terriblement envie de m'ennuyer.




Avec Unai je glisse mes pieds sous ses genoux pour mieux les réchauffer -- mes pieds à moi, quoique pas tellement ses genoux à lui. Ensemble nous buvons toujours quelque chose, de la bonne bière ou ce drôle de thé blanc qui ne goûte pas grand-chose. Souvent je viens tout juste de prendre ma douche & mes cheveux humides ondulent à contre-coeur. Nous dénichons un jeu de société qui est censé mettre nos connaissances géographiques à l'épreuve & je gagne avec une avance tellement considérable que c'en est drôle -- ça tombe bien, que je lui dis, je pense que je suis très mauvaise perdante. Le matin il faut toujours se lever trop tôt, soit je travaille soit il a cinquante-six mille trucs à régler, & s'il ne pleut pas nous déjeunons sur la terrasse de l'appartement -- moi j'engloutis des quantités astronomiques de café & lui mange à peu près n'importe quoi, des épis de maïs enduits de beurre & des sandwichs au fromage fondu. J'avale mon bol de céréales à vitesse réduite & il me dit plein de cochonneries là-dedans. (Je remarque que le beurre c'est une cochonnerie qui finira par lui boucher les artères.)

De près ses cils sont très longs, & durant la nuit ils viennent me chatouiller les joues.




Samedi matin je suis retombée dans le vice, c'est-à-dire : j'ai sorti mes petits ciseaux jaunes du Corte Inglés & je me suis coupée les cheveux au-dessus de l'évier de la salle de bain.

Maintenant j'ai le toupette croche & le coeur heureux.



samedi 4 juillet 2009





& juin 2009
(Exceptionnellement ce mois-ci : par catégories!)

Pré-Russie :
Cheval noir, suivi de En prison, Boris Savinkov
Les Justes : pièce en cinq actes, Albert Camus
La vie d'un homme inconnu, Andreï Makine

Où j'essaie de lire autre chose que de la fiction :
La physique racontée aux poètes & aux enfants, Ulf Danielsson (... mais les enfants n'y comprendront probablement pas grand-chose.)
Garder le sens mais altérer la forme : essais, Susan Sontag
La fatigue politique du Québec français, Daniel D. Jacques (... qui m'a vraiment très fatiguée.)

Livres que j'ai gagnés & que je me sentais donc obligée de lire :
Le projet Andersen : théâtre, Robert Lepage (& j'ai beaucoup aimé!)
Être : nouvelles, Éric Simard (... & j'ai moins aimé.)

Livre qu'on m'a prêté & que je me sentais donc obligée de lire :
The Collected Stories, Éamon Kelly (& c'était bon!)

Livre que j'ai prêté & que j'avais donc envie de relire :
Stupeur & tremblements, Amélie Nothomb

Du bonbon :
La plus jolie fin du monde, Zviane
Le point B, Zviane

... & le reste :
Ficciones, Jorge Luis Borges (Parce que je suis trop orgueilleuse & masochiste pour lire une traduction.)
La vie devant soi, Romain Gary/Émile Ajar
The Turn of the Screw, Henry James (& j'en ai peut-être possiblement fait des cauchemars, juste un peu.)
Du bon usage des étoiles, Dominique Fortier




J'ai plein de petits deuils à faire, déjà.