mercredi 23 septembre 2009






Moscou c'est tellement contradictoire -- parfois j'ai l'impression que c'est une grosse tumeur polluée sur la surface de la planète, & puis tout d'un coup je vois quelque chose, un édifice grandiose ou un visage heureux dans la rue, & je me dis que c'est la plus belle chose au monde. Chaque matin il y a : le ciel très bleu que je vois depuis ma fenêtre, les foules qui se pressent & s'agglutinent devant les escaliers roulants du métro, les mendiants qui sur l'avenue Tverskaïa serrent contre eux leurs chiots trop maigres, les jolies volutes de l'alphabet cyrillique qui s'enroulent sur les enseignes des magasins. Comment on concilie tout ça? Le trèstrès beau & le trèstrès laid? Je réussis pas toujours à comprendre, je pense.

Mais j'aurai encore beaucoup de temps pour m'y habituer.




Deux choses:

1) Les Russes font une obsession de la petite monnaie. À l'épicerie, les caissières pètent littéralement leur coche si on se montre incapable de les payer en monnaie exacte, ou si on leur refile un billet de 500 roubles pour un achat de 432 roubles & 18 kopecks. (Une rouble vaut environ 27 sous canadiens. & un kopeck vaut environ... absolument rien.) Très agréable d'essayer de leur faire comprendre, en russe, tandis qu'une file grandissante de petites grands-mères s'agglutinent derrière avec leurs paniers d'épicerie surchargés, qu'on vient tout juste de débarquer & que le guichet automatique ne refile pas de coupures plus petites que les billets de 500 roubles. Très inutile, aussi, parce qu'elles resteront fâchées de toute façon & refuseront de vous donner l'entièreté de votre monnaie. (...ce qui est un peu une bénédiction, cependant, parce que depuis que je suis ici j'ai déjà amassé assez de kopecks pour remplir toute une tire-lire. Ça pèse deux kilos & demi & ça vaut à peu près huit cennes.)

2) Les Russettes portent toutes des talons hauts de cinq pouces & des jupes de quatre pouces & demi. (J'en ai donc conclu que je ne pourrai jamais passer pour une Russe.) & pour les talons c'est incroyable, c'est comme si elles défiaient quotidiennement la gravité. & c'est hypnotisant, aussi, parce que moi je peux pas m'empêcher de regarder leurs pieds chaque fois que je sors dans la rue -- les chevilles qui tanguent mais qui tombent jamais, les talons aiguilles qui s'enfoncent dans les crevasses du trottoir mais qui n'y restent jamais coincés... ça relève quand même un peu du miracle, je trouve.




J'ai une grosse grippe que je soigne avec de la vodka, sur recommandation expresse de ma grand-mère.

Chaque fois que je reviens chez moi après avoir donné un cours, j'aurais envie de traîner dans le métro & de m'arrêter à toutes les stations pour observer leurs plafonds ornés & leurs drôles de couleurs passées, jaune rose vert très pâle.

Ce matin il y avait un courriel d'Unai qui attendait dans ma boîte de réception, & dedans il disait, avec ces maladresses syntaxiques que j'aime tellement, il fait très longtemps que je veux t'écrire quelques petites lignes, mais j'ai voulu attendre à pouvoir te dire quelque chose de beau. & c'est vrai que tout ce qu'il me dit est beau, mais jamais assez pour me faire oublier que lui & moi on n'a jamais été de vrais amoureux. Beaucoup de douceur & beaucoup de tendresse, c'est tout. (C'est pas rien.)

J'ai déjà hâte à la première neige.

Juillet m'écrit de très jolies choses, des vrais de vrais romans d'amour juste pour moi -- tout plein de choses que je garde nichées sous mes côtes, bien à l'abri des nuits déjà trop froides de l'automne & des doutes qui, pas maintenant mais on sait jamais, pourraient s'accrocher à la distance.

& depuis hier, j'ai un peu l'impression de vraiment commencer à vivre ici. En Russie.



jeudi 17 septembre 2009






À Moscou il y a dix millions de personnes (seize avec les banlieues, je crois), il y en a huit millions qui prennent chaque jour le métro &, quand je me retrouve dans une station à l'heure de pointe, j'ai l'impression qu'ils essaient tous d'entrer dans le même wagon que moi.

C'est à la fois épuisant & étrangement vivifiant, la proximité forcée avec tellement & tellement & tellement de gens.




J'écoute Mara Tremblay & aussi Ginette, tu serais au bout du monde au fin fond de la brousse que le vent te soufflerait vers moi, bientôt il pleuvra pour la première fois depuis que je suis ici & ça me donnera envie d'aller à la cuisine me faire un thé très noir.

Je vis des choses qui sont belles comme des chagrins d'amour, je trouve.



mercredi 16 septembre 2009






La dernière fois, à l'aéroport, je l'ai regardé & je me suis dit, toi tu t'appelles Juillet parce que t'as le visage comme un matin ensoleillé.

(Pas que ce mois de juillet-ci ait été très ensoleillé, mais quand même.)

Nous sommes partis de Québec en début d'après-midi, mes parents & Juillet & moi ; dans la voiture nous avons parlé en regardant distraitement le paysage &, après nous être arrêtés dans un dépanneur pour acheter le journal de la fin de semaine, nous l'avons ouvert sur nos genoux & nous avons complété le mots croisés ensemble, Juillet & moi, nos têtes se frôlant au-dessus des cases vides. Une fois à l'aéroport tout s'est fait très vite, tout se fait très vite maintenant, j'ai enregistré mes bagages en dix minutes & tout d'un coup ça y était, déjà une petite partie de moi en route vers Moscou. J'ai dit au revoir à tout le monde, trois fois plutôt qu'une, & c'était comme si je partais pour ne plus jamais revenir, une fin tragique & grandiose à souhait -- ma mère qui sanglotait, Juillet qui pleurait & pleurait & pleurait sans bruit, le nez dans mon cou. Mes larmes à moi qui s'attardaient en grandes rigoles sur mes joues.

Mes parents m'ont laissée une carte avec tout plein de jolis mots, Juillet un petit papier sur lequel il a griffonné un ya tibia lioubliou en crisse!, je t'aime en crisse!, & tout ça je le traîne dans mon ventre, je le garde au chaud.




Dans l'avion de Montréal à Londres j'avais tout prévu & j'avais commandé un repas végétarien, pour être servie avant tout le monde. J'étais assise à côté d'un vieux monsieur qui avait tendance à acaparer mon espace vital & j'ai passé trente minutes à décider quel film j'allais regarder dans la petite télé qui coiffait le dossier du siège en avant de moi. Finalement j'ai choisi Away We Go & c'était doux mais un peu long, peut-être parce que j'étais déjà fatiguée.

Au contrôle de sécurité de Heathrow la dame m'a appelée darling ; lorsque l'avion a atterri à Moscou des représentants de la santé publique sont venus prendre notre température pour s'assurer que la grippe porcine n'était pas parmi nous.

Je suis en Russie depuis trois jours. J'ai un emploi dans une école de langues privée & une colocataire belge qui s'appelle Kyoto, Kyoto comme la ville, & des cours de russe qui commencent mardi prochain. & c'est pas que je manque d'enthousiasme, mais je m'ennuie de Juillet comme c'est pas possible. C'est une douleur viscérale qui a quelque chose de tendre, quand même, quelque chose de délicat & de douillet, comme l'envie de se laisser engloutir par les meilleurs des souvenirs.



mercredi 9 septembre 2009





Disons qu'il s'appelle Juillet, disons que c'est comme ça que j'ai envie de l'appeler. Juillet.

Donc lundi soir Juillet me ramenait chez moi avec sa voiture & dans la boîte à gants il y avait une très vieille cassette, très mal identifiée. Je l'ai mise & c'était Bob Marley qui chantait comme depuis un fond de canne, three little birds pitch by my doorstep, & ça tombait bien parce que le soir d'avant nous avions étiré le trajet entre le Sacrilège & son appartement pour réussir à chanter du Louis Armstrong en version reggae. Flop monumental. Mais pas tout à fait -- sautiller de joie dans les rues étroites de Saint-Jean-Baptiste, fredonner des sons doux lorsqu'on ne connaît pas les paroles, se tenir par la taille & marcher tout croche & s'écrabouiller mutuellement les pieds -- & s'embrasser, toujours, partout, parce que les choses à dire sont trop grandes pour les mots.




& août 2009

La memoria, Louise Dupré
Coup de foudre, clichés & autres atrocités, Julie Gaudet-Beauregard ; illustré par Catherine Lepage
The History of Love, Nicole Krauss
La machine à broyer les petites filles, Tonino Benacquista
Tarmac, Nicolas Dickner
La deuxième vie de Clara Onyx, Sinclair Dumontais
L'anglais n'est pas une langue magique, Jacques Poulin




Je pense à tous ces projets que j'ai, & souvent je me demande si ce sont des choses que j'ai vraiment envie de faire ou juste que j'ai envie d'avoir faites. C'est compliqué pour moi de faire la différence.

Mais j'ai vu Élo il y a quelques jours, Élo avec qui j'ai voyagé au Portugal & en Andalousie & dans les Pyrénées catalanes, Élo qui m'a serrée dans ses bras en pleurant quand on s'est séparées à l'aéroport de Lisbonne, & elle m'a dit la Russie, c'est fou, ça fait tellement longtemps que t'en parles!. & c'est vrai. Ça fait tellement longtemps. & j'ai très envie d'y aller, même si c'est difficile de partir.