jeudi 1 décembre 2011




La fille de Postes Canada qui travaille dans la pharmacie près de chez moi m'a confirmé que toute une trâlée d'employés prennent une joie particulière à lire les cartes postales que les touristes confiants (& les filles nouvellement montréalaises de presque vingt-six ans tout aussi crédules) leur remettent. J'envoie la mienne à A., qui enseigne l'anglais dans une petite ville près de Lyon, & la fille de Postes Canada me parle des British qui lui en confient une quinzaine d'un coup, quinze destinataires différents mais un seul message : c'est ben beau Montréal, mais il y a pas un seul vrai pub dans toute la ville. Horreur.




Deux histoires de transport en commun : 

 1. Je vais à Longueuil pour aller voir mon médecin, un homme très gentil qui ne me regarde jamais dans les yeux (ce qui fait que nous parlons tous les deux aux piles de documents sur son bureau durant les consultations), & je prends l'autobus. À l'aller c'est le début de l'heure de pointe & c'est pas encore plein mais ça s'en vient ; au retour il n'y a que moi & un homme qui, quelques sièges derrière moi, marmonne des choses inintelligibles mais voraces, agressives, d'une intensité atténuée par la pluie qui roucoule contre les vitres, par ces bruits qui rappellent le fond des mers & un silence qui n'en est pas tout à fait un. À Montréal je me glisse dans des wagons de métro, toujours bondés parce que je suis toujours là au mauvais moment, & le plus souvent je marche ; à Longueuil je lis sur Molotov qui aimait Chekhov & je suis heureuse d'être de retour dans un autobus presque vide, surtout le soir, surtout sous la pluie. Quand je suis arrivée à Québec c'est une des choses que j'aimais le plus au monde, prendre l'autobus dans le noir pour aller voir des amis que j'avais à Limoilou -- poser ma main contre la vitre froide, tracer des dessins autour des lumières de la ville. Tirer doucement sur le cordon jaune pour demander l'arrêt suivant. Même que c'est une des choses dont je m'ennuyais à Moscou : les autobus mais surtout le cordon jaune, lever le bras, tendre les doigts, le son de clochette. Mais quand je suis revenue à Québec, les autobus (ou peut-être pas tous, peut-être seulement ceux que je prenais) n'avaient plus de cordons jaunes, seulement des boutons rouges encastrés dans l'armature des véhicules. 

 Peut-être que c'est à ce moment-là que je me suis dit que je devrais déménager. 


 2. La semaine dernière j'ai pris le métro avec une garderie au complet, seize flots d'âge pré-scolaire qui se sont tous assis à même le plancher du wagon, déjà emmitouflés dans des tuques & des foulards & des pelures qui leur faisaient des joues très rouges & des j'ai chauuud très lancinants, & moi j'étais encore là à prendre des milliers de photos dans ma tête, à cadrer & recadrer, à noter les types de lainage & la qualité particulière des couleurs sous l'éclairage du wagon de métro, & je me suis demandée, pas pour la première fois mais quand même, pour qui, dans quel but précis j'emmagasine autant d'images.




C'est toujours mieux d'avoir vécu que d'avoir écrit, je crois, sauf qu'écrire les choses vécues me les rend plus vivantes. C'est une drôle de contradiction.


lundi 3 octobre 2011




Ces temps-ci ça ne va pas très bien, & quand ça ne va pas très bien il y a pas grand-chose à dire.




Depuis que je suis à Montréal que j'écris des histoires sur le Pays basque, des bouts d'histoires éparses qui mènent nulle part ; c'est tellement plus difficile de raconter les endroits qui nous appartiennent pas tout à fait. Mais même après quatre ans je traîne pour Gasteiz une nostalgie dont je vois pas le bout, surtout en ce moment je vois pas le bout, je vois pas quand ça fera comme toutes les autres histoires d'amour avortées, quand ça arrêtera d'élancer le coeur pour devenir autre chose, un souvenir, un chapelet d'anecdotes, la matière peut-être un peu douloureuse mais tout de même malléable avec laquelle on se tresse des fictions. Sur le Pays basque j'écris des histoires qui ne réussissent pas encore à être des histoires, parce que j'arrive pas à faire la différence entre ce qui vaut la peine d'être raconté & ce que je dois garder pour moi, la masse incroyable de détails qui grouille dans mon ventre.

(En général je crois que je m'ennuie plus des pays où j'ai habité que des garçons que j'ai aimés, je sais pas ce que ça dit sur moi.)




Sinon je lis de longs livres & je regarde de longs films (hier The Deer Hunter, est-ce que quelqu'un savait que Christopher Walken a déjà été beau?), comme pour me donner le temps de voir les choses venir. Comme dans : tant que j'ai pas fini The Golden Notebook j'ai pas besoin d'aller mieux, tant que je l'ai pas fini c'est pas grave d'être triste, c'est correct c'est correct c'est correct.


lundi 12 septembre 2011




& ce matin c'est l'heure du tag des boules à mites de Clarence, où il faut ressortir un vieux texte à prétention littéraire et le recopier avec un minimum d'explications contextuelles, pour le plus grand plaisir de tous et toutes.

& évidemment je vais tricher, & donner des explications contextuelles.

J'avais seize ans, c'était l'été 2002, & je passais mes journées à travailler dans un driving range de golf (je suis pas certaine de la traduction -- un terrain de pratique? un champ où taper des balles?). C'était dans le fin fond de McLeods, c'est-à-dire dans le fin fond du Nord du Nouveau-Brunswick, c'est-à-dire l'endroit où j'ai passé quinze ans de ma vie, c'est-à-dire un bout de territoire même pas assez densément peuplé pour obtenir le statut de village, alors j'avais à peu près quatre clients par jour & une petite télé en noir & blanc où je me souviens avoir suivi avec attention la Coupe du monde de soccer (tsé, l'année où la Corée du Sud a surpris tout le monde?) même si j'ai jamais aimé le soccer. Après avoir lu quarante-cinq livres en deux mois & demi, j'ai commencé une espèce de roman, que j'écrivais à l'encre violette (très importante, l'encre violette) sur des feuilles mobiles pour ensuite tout recopier très lentement à l'ordinateur durant mes jours de congé. J'ai réussi à étirer ça sur soixante-deux pages avant de l'abandonner à la mi-septembre. C'est en général très très ennuyant (je pense que je comprenais pas encore tout à fait le principe de l'intrigue) & pas mal abusivement mélodramatique, comme ici :

Peu importe la cause réelle de son état, ce n’est pas la première fois qu’elle exige mon support moral. Ma mère a un tempérament artistique, après tout, et elle lutte contre la mélancolie, les frivolités, les excès. C’est connu: une fois l’an, elle déprime, elle sombre jusqu’au fond de l’abîme et elle refuse de remonter. Si je suis chanceuse, ça se passe durant l’hiver, tandis que les premières neiges de décembre m’aveuglent et m’engloutissent au fond de ma semi-campagne. Malheureusement, à tous les deux ou trois étés, elle se décide au mois de juin et s’empresse ensuite de m’entraîner au fond du trou noir qui lui sert de repaire. Subitement, nous sommes deux à nous débattre contre les pluies torrentielles de l’angoisse et du désespoir, et ma mère s’arrange habituellement pour se recroqueviller sous le seul parapluie que nous possédons.

Avec les années, j’ai appris à m’éloigner, comme on évite le noyé pris de panique qui agrippe tout ce qui passe. Ce n’est pas la plus belle des images illustrant l’amour qui unit une fille à sa mère, mais c’est celle que les chagrins de la mienne m’inspirent. Si j’ai le malheur de m’approcher, de caresser sa joue du bout des doigts ou de lui murmurer quelques paroles de réconfort, je sais qu’elle m’enlèvera tout ce qui m’empêche de m’effondrer, tout simplement parce qu’elle ne peut pas faire autrement. Ce n’est pas qu’elle veule m’étouffer, non; c’est seulement qu’elle n’a pas assez d’énergie pour penser aux autres. Et quand on sait combien elle s’intéresse à ma vie et à mes rêves en temps normal, c’est facile d’imaginer à quel point elle devient égoïste lorsque sa vision s’assombrit. Malgré tous ses défauts, j’aime bien ma mère, mais c’est impossible d’aider quelqu’un qui veut vous écraser. Il n’y a qu’une fragilité apparente, dans ces cas-là, et aucune considération pour le sauveteur.

On voit que j'avais une belle appréciation des figures de style.


lundi 5 septembre 2011




Ce matin je faisais du ménage & j'ai eu comme une illumination. C'est pas quelque chose qui m'arrive souvent -- avoir une illumination, & puis faire du ménage. Dans le sens de : faire du ménage, je le fais pas assez souvent, je pense que personne le fait assez souvent, mais en entrant dans un nouvel appartement j'ai toujours les meilleures des meilleures intentions du monde, avec la plus longue liste possible de choses saines & bonnes & vraies à implanter immédiatement dans mon quotidien, alors c'est ça, une semaine que je suis ici & je fais déjà du ménage, du vrai de vrai ménage, le haut des fenêtres & l'aspirateur entre les lattes de bois du plancher & le spray le plus incroyablement chimique de la planète pour désencrasser le four & le balais jusque dans le fin fond du garde-robe de l'entrée. Aussi dans le sens de : c'est la première fois que j'ai une illumination en faisant du ménage. (Je crois pas que le ménage soit habituellement propice aux illuminations? Mais faudrait creuser le sujet.) C'est peut-être aussi une des premières fois où j'ai une illumination (commencez-vous à être tannés de ce mot? parce que moi oui), parce que dans la vie je fais les choses petit à petit, & les pense petit à petit, & arrive à de grandes décisions après les avoir mûries durant à peu près trois mois & demi. Donc pas beaucoup de spontanéité, c'est triste mais faut le dire, & pas d'illuminations non plus.

Bref. Ce qui est arrivé ce matin, c'est que je faisais du ménage après avoir passé deux heures à me dire que je devrais commencer, & une demi-heure à construire soigneusement une playlist propice au ménage (l'adverbe que j'aimerais utiliser ici c'est painstakingly, dans le sens de lentement & avec juste assez de concentration pour que ça commence à donner un peu mal à la tête, mais j'arrive pas à trouver une traduction qui dise exactement toutes ces choses-là), & je me suis rendu compte qu'en général je faisais pas assez souvent le ménage parce que je sais que si je commence je vais y être plongée au moins une demi-journée, parce que je veux toujours que ce soit le ménage qui surpasse tous les autres ménages, qu'après mon passage les planchers brillent à en écorcher les yeux, que l'appartement au complet embaume le propre & l'aéré & le sain & le douillet & que je puisse m'asseoir deux minutes sur une chaise & me dire ça y est, c'est fait, tout est juste parfait. & je me suis aperçue que (voici l'illumination qui arrive, on l'attendait depuis un paragraphe & demi) je vois l'écriture un peu comme ça, beaucoup comme ça, même ici où c'est supposé être informel & toujours au moins un peu broche à foin, & j'écris pas assez souvent parce que quand j'écris je voudrais dire tout ce que j'ai à dire en même temps, en même temps mais subtilement, doucement, de la façon la plus agréablement détournée mais la plus claire possible, je voudrais dire tout ce que j'ai à dire exactement & comme, je sais pas, incomparablement -- je voudrais dire les choses de façon précise & belle & parfaite tout en sachant que c'est impossible, alors je me retrouve avec comme une montagne de choses sur lesquelles je voudrais écrire & sur lesquelles j'écris jamais, parce que c'est compliqué & que j'arrive pas à les formuler comme je voudrais.

Comme : il y a quelques semaines ma petite soeur a revu une fille avec qui je suis allée à l'école, & la fille lui a dit de me dire qu'elle me félicitait pour le livre, & aussi qu'elle avait toujours été certaine que moi je ferais des grandes choses dans la vie, & ça m'a fâché parce c'est une fille qui m'a rendu la vie misérable à treize ans & demi & que j'aurais mieux aimé avoir une once de sympathie de sa part à cet âge-là que des esties de j'ai toujours su que enthousiastes maintenant.

Comme : parce qu'à la petite école & après à la polyvalente j'ai toujours toujours toujours eu de très bonnes notes, j'ai passé une très grande partie de ma vie à entendre tout le monde rassurer les autres que l'école c'était pas la vraie vie & que eux seraient bons dans la vraie vie & que c'est ce qui comptait, la vraie de vraie vie & les talents qui s'apprennent pas à l'école, & c'est pas dramatique mais j'ai quand même essayé jusqu'à quatorze ou quinze ans d'être moi aussi bonne dans la vraie vie, peu importe ce que ça peut vouloir dire, être débrouillarde & pleine à ras bord de gros bons sens & avoir des projets d'avenir concrets & pas une once d'imagination (mon dieu, un peu plus & c'est la plateforme politique de l'ADQ), & j'ai eu pendant trois ans un prof de physique horrible qui imposait des exercices de laboratoire que personne pouvait compléter juste pour avoir la satisfaction de me voir rater quelque chose, & ça me rend triste de pas avoir réalisé plus tôt que ce que j'étais c'était assez, ç'a toujours été assez, & que c'est pas grave si je serai jamais capable de faire des travaux de rénovation d'envergure, ou sauver des vies, ou identifier toutes les forces qui entrent en jeu dans le plan incliné le plus stupidement conçu du monde.

Comme : tout le monde a des histoires d'adolescence crève-coeur parce que l'adolescence c'est crève-coeur, mais. Ça rend pas les choses moins laides quand j'y repense.

Comme : ça devient déprimant & c'est pas là où je voulais aller, mais pour une fois je vais laisser les choses où elles sont & juste ajouter que je sais pas trop ce que je fais ici, je sais pas trop à quoi sert cet espace-ci, mais j'ai envie que ce soit pas seulement doux ou joli ou serein ou douillet, j'ai envie que parfois ce soit pour moi, pour les choses que j'ai envie de dire, même mal, parce que sinon à quoi ça sert? & parce que ces temps-ci j'ai envie d'honnêteté, partout, dans la fiction & dans les gens que je rencontre, & la moindre des choses ce serait quand même de m'y mettre un peu moi aussi, je pense.



dimanche 4 septembre 2011




Il y a deux choses qui se rencontrent dans la cour intérieure bétonnée de mon nouvel immeuble, mais certainement pas beaucoup de soleil & pas beaucoup plus de gens : ce qu'il y a c'est de la musique, plutôt (en ce moment : le gars d'à côté qui fait des vocalises au piano, The Decemberists qui coulent du deuxième étage, & comme un fond de quelque chose qui ressemble à du Annie Villeneuve & qui vient de, je sais pas, cet endroit où vont agoniser les mauvaises power ballads avant de sortir de la mémoire collective), la musique, donc, & la dizaine de vélos qui s'entortillent dans le rack trop petit & s'accrochent aux poutres de l'escalier. Moi j'espionne la seule fille qui utilise le sien tous les jours & je lis du Asimov pour la première fois de ma vie & je laisse les fenêtres ouvertes même quand il pleut & je pense m'acheter un ukulélé pour accompagner le voisin dans ses gammes & je suis contente d'être ici, même toute seule, même sans toi, parce que c'est ça l'automne, le début & la mort de plein de choses en même temps.


mercredi 10 août 2011





Le mois d'août c'est toujours la même chose, c'est le moment de l'année où j'ai envie de me téléporter dans une nouvelle ville où je ne porterais que des couleurs que je ne porte presque jamais, des jaune moutarde & des verts très verts & des bleu marine dans lesquels je peux pas m'empêcher de m'empêtrer, toujours, & d'appeler bleu marin.

& ce qu'il y a bientôt c'est une nouvelle ville, en septembre, juste à temps pour ma première rentrée scolaire en quatre ans (SEIGNEUR), mais juste avant il y aura la fin de mon contrat (& c'est enthousiasmant, les fins de contrat m'enthousiasment toujours, elles me donnent l'impression de me voir offrir la chance de recommencer de grands pans de ma vie -- alors que non, seulement le chômage qui me dit qu'encore une fois cette année j'ai travaillé trop d'heures en dehors du pays pour pouvoir toucher quoi que ce soit) & il y aura aussi les États-Unis, ça fait longtemps que je suis pas allée aux États-Unis, & j'y ai jamais été avec autant de choses dans le coeur, des choses délicieusement douces & déjà merveilleusement nostalgiques, & ça donne tout une auréole de, je sais pas, quintessence américaine! aux endroits dans lesquels je me projette déjà, y compris l'estie d'auberge sketchy de Brooklyn & les coquerelles qui en ont ou n'en ont pas fait leur demeure.




Sinon, qu'est-ce que je lis en ce moment? Je me relis certainement pas, ça c'est sûr, j'ai des bouts d'histoires qui traînent partout & qui me donnent un peu mal au coeur chaque fois que j'y pense, dont une où j'ai très maladroitement essayé de faire un parallèle entre vie de quartier & ne pas faire de quartier, en plus ça parlait d'une bibliothèque, bref, le nombre de choses que j'essaie & que je rate, plus rien peut me tuer.

Mais! Pour ce qui est de mes lectures, cet été j'avais l'intention d'engloutir une ou deux (possiblement trois ou quatre) grosses briques indiennes, celles qui comme A Suitable Boy passent allègrement le cap des mille pages, dans un effort un peu plus constant de lire autre chose que des auteurs blancs/nord-américains/ouest-européens, & aussi parce que comme les bons trois quarts des gens qui voyagent j'aimerais un jour aller en Inde, idéalement après être retournée en Russie pour faire le Transsibérien (& après la Corée du Sud, & la Chine, & peut-être l'Indonésie & sûrement le Brésil, on s'entend que je mourrai pauvre & perdue en terre étrangère). Évidemment, les éléphantesques romans indiens, ça s'est pas fait. J'ai lu de façon éparpillée, une espèce d'histoire des Roms récemment & beaucoup de romans québécois, la brique de Vargas Llosa que la bibliothèque m'a forcé à acheter parce que j'en avais accidentellement gondolé les pages, plein de bonnes choses & quelques mauvaises aussi, forcément. Si je pense à mes lectures je pense à mon été, qui en a été un d'exubérance fébrile & d'angoisses légères (quoique plus lourdes chaque fois que j'ai eu à penser à mon cours de statistiques par correspondance), & probablement ça reflète ma façon de choisir les livres à lire, en renonçant à contenir l'hyperactivité qui me secoue les membres depuis la mi-juin, l'envie de tout faire en même temps, la tentation de s'enrouler avec ferveur dans les moments qui deviendront des souvenirs.




Je pense à la tasse bleue dans laquelle je bois du café tous les jours au travail, une seule minuscule petite tasse de café & c'est tout, en fait c'est la seule tasse que j'ose prendre dans l'armoire commune de la cuisinette parce que je traîne l'impression infondée que toutes les autres sont déjà secrètement revendiquées par des collègues d'une ancienneté respectable, je pense à cette tasse & je me dis qu'il est temps de partir. Il y a quelque chose d'insidieux dans la tendresse mal placée, la tendresse inutile qu'on peut avoir pour un objet.

Alors il est temps de partir, & de faire des boîtes, & surtout de faire le tri dans toutes les milliers de choses en trop dont j'ai envie de me départir. Cette fois-ci je pars parce que je redoute encore de m'appesantir, & parce que je veux rester légère juste encore un tout petit peu.



mercredi 13 juillet 2011





Je vais à Montréal pour essayer de me trouver un tout petit appartement & je réussis, entre deux stations de métro, à déverser une bouteille d'eau en entier dans mon sac. C'est surtout La guerra del fin del mundo qui écope, un livre de Mario Vargas Llosa que j'ai l'impression de traîner depuis à peu près un mois (quoique probablement plus une semaine & demie). Quand je l'ouvre aujourd'hui, assise sur une table à pique-nique, entourée de mouches & d'enfants de six ans à qui je viens de passer deux heures à essayer d'apprendre à distinguer circle de triangle, les pages en sont encore toutes humides & l'encre mouillé des mots s'accroche au bout de mes doigts.




Tout ces temps-ci est fou fou fou. Parfois je me demande ce que j'essaie encore de faire ici.



mardi 7 juin 2011





Lorsque tu te tends au-dessus de mon corps à demi endormi pour atteindre le livre qui somnole sur la table de chevet, toute la surface de ton bras me frôle & le lit tangue comme un bateau & moi, à ce moment exact où ma tête crève la surface du sommeil comme on se hisse hors de flots, moi j'aurais envie de partir en mer avec toi.

Mais bien sûr je me rendors, bercée par les choses que je t'imagine lire tout bas, & lorsque je m'éveille à nouveau il est trop tard, la douche a raclé de sur ta peau toutes les odeurs du sommeil & il ne me reste, plutôt que de te parler d'expéditions maritimes & de voyages improvisés, qu'à lécher les gouttes d'eau qui s'accrochent encore à tes clavicules.




J'ai eu la brillante idée de m'inscrire à un cours de statistiques par correspondance & je passe donc le gros de mes temps libres à ré-apprivoiser ma vieille calculatrice scientifique & les esties de formules de probabilités. Mais hier en marchant vers la bibliothèque je me suis dit que ça sentait l'été, le gazon fraîchement coupé qui a séché au soleil, que dans l'air il y avait ces petits bruits frais, nouveaux, des milliers de sandales qui claquent contre l'asphalte brûlante & le périple presque silencieux des gouttelettes de sueur dans le décolleté, & je me suis dit qu'il me restait encore à acheter une boîte de popsicles, orange fraise raisin même si j'aime pas le raisin, & à les laisser s'égoutter tranquillement au-dessus de mon bloc de papier quadrillé.



vendredi 20 mai 2011





Je suis revenue à Québec pour voter dans un foyer de personnes âgées, pour boire du cidre & fumer une seule petite cigarette de désespoir politique avec Céline Galipeau & Porcelaine, pour laisser René-Chat venir ronronner contre mon ventre vers les quatre heures vingt-deux du matin. Pour revoir Juillet, aussi, aller prendre une bière avec lui & me rendre compte que ce dont je m'ennuie le plus chez lui, vraiment, c'est le chat de sa coloc. Pour passer des après-midi de temps maussade à lire près des fenêtres & me laisser embaumer par Porcelaine & sa guitare qui chantent les plus douces des chansons de PJ Harvey. Pour recevoir des tonnes & des tonnes de bonnes nouvelles, des admissions à la maîtrise & des bourses d'études & Montréal à l'automne ; pour les dix exemplaires de mon joli livre vert, reçus un jeudi par la poste ; pour les trois tasses de café noir chaque matin & les cahiers qui se remplissent de mots & le sourire des préposés au comptoir des réservations de la bibliothèque & les rues rutilantes d'humidité dans l'après-pluie & l'impression, encore la même, de glisser précautionneusement vers l'été qui vient, en ayant toujours un peu peur d'échapper toutes les bonnes choses qui m'encombrent les bras.

Lundi ma personne préférée au monde qui arrive à l'aéroport de Québec, dimanche Baloi que j'ai pas vue depuis janvier, & demain ma face dans Le Devoir, cibole.



dimanche 1 mai 2011





Dans l'avion je lis Roberto Bolaño en écoutant Boards of Canada. Sinon je fais de longues listes de choses à faire une fois revenue à Québec & je bois le plus lentement possible la demi-tasse de café noir qui refroidit sur ma tablette. J'ai huit taches d'encre sur les doigts, huit exactement, parce que j'ai oublié que les stylos que je préfère sont aussi ceux qui m'éclatent dans les mains en plein vol.




Mercredi matin je prenais le train pour Paris, alors je me suis levée très tôt & j'ai regardé Toulouse. J'y ai vu :

Des filles qui font du vélo en jupe courte & qui pédalent en serrant les genoux pour ne pas qu'on aperçoive leurs sous-vêtements. (Souvent ça ne marche pas.)

Des milliers & des milliers de crottes de chien sur les trottoirs.

Les façades orangées des édifices, de cet orange qui tire sur le saumon & que tout le monde s'obstine à appeler rose.

La petite Garonne, gorgée par les pluies de la dernière fin de semaine, où les bouteilles de bière vides des lycéens & les vélos endommagés vont mourir.

Tous les livres que je n'aurai pas lus à la Médiathèque.

Toute l'angoisse, légère mais dévorante, que j'ai traînée à mon bureau de travail, que j'ai dissimulée sous mes papiers, enfoncée dans mes poches, glissée sous ma langue, mais qui s'est tout de même accroché à la peau de mes doigts, aux touches de mon clavier.

Le matelas à demi défoncé de ma chambre, les grandes portes-fenêtres d'où j'ai bu toute la lumière possible & imaginable, le cadre de la porte où tu t'es penché vers moi, les mains enveloppantes & la voix chaude, pour effleurer mes joues de tes longs cils & rire contre mes lèvres.




Au travail j'ai dit que j'étais venue pour le travail, aux douanes la même chose, même à mon éditrice & à mon directeur littéraire j'ai marmonné ouin la France, Toulouse, c'est pour un contrat, mais toi & moi on sait que ça a toujours été pour toi, & pour moi, & pas particulièrement pour le travail ; & moi je sais déjà que dans ma vie, toujours, toutes les choses grandes ou difficiles ou terrifiantes que je ferai seront faites pour des raisons trop compliquées à expliquer, ou trop simples, trop mielleuses à avouer.




Maintenant je reviens à Québec vivre avec Porcelaine & René-Chat, & j'attendrai même pas la fin de Bolaño pour inonder le Réseau des bibliothèques de Québec des dix-huit réservations auxquelles je rêve depuis février.



jeudi 14 avril 2011





À Toulouse je marche tous les matins pour me rendre au travail. La plupart du temps, ça veut dire que je passe une demi-heure à sacrer contre les caves qui stationnent leur auto au beau milieu des trottoirs. J'emprunte tout un dédale de petites rues qui longent le chemin de fer, puis le canal, puis un grand bout de rien, & dehors il fait beau, des vingt degrés celsius qui enveloppent les journées de bonne chaleur insouciante, la chaleur encore un peu fraîche des meilleures journées de printemps.

En Russie je faisais des listes de chansons à ne pas écouter quand on s'ennuie de chez soi : Via Chicago de Wilco, Simon & Garfunkel & Homeward Bound, Woody Guthrie qui se plaint que I Ain't Got No Home.

Au Pérou je jouais toute la journée dans l'argile froide pour faire d'immenses têtes de marionnettes, & tout ce que j'écoutais c'était Buena Vista Social Club, toujours, parce que c'est la seule chose que je pouvais faire jouer dans l'atelier sans qu'il y ait des exclamations de puééé que esa gringita no sabe nada de música qui fusent de partout.

Au Pays Basque je pense que ça intéresse personne, parce que c’était du ska en euskera qui me rappelait mes quatorze ans & les livres que je dissimulais à moitié sous mon pupitre pour lire pendant les cours d’histoire & la première bière bue au complet dans le fin fond d’un camp de chasse.

Hier j’ai passé l’après-midi à écouter Leonard Cohen, surtout Sisters of Mercy parce que & they brought me their comfort & later they brought me this song.

J’essaie d’apprendre, mais il y a des jours où c'est plus difficile.



mercredi 13 avril 2011





Hier je me suis rappelée de Luz, petite chose rachitique & autoritaire qui m’aura forcée, pendant deux semestres d’affilée, à décortiquer de longues phrases en espagnol, à les triturer jusqu’à les réduire à leurs plus simples éléments, sintagma nominal verbal ou je sais plus quoi d’autre. Estie. J’ai tout oublié de mes cours de grammaire espagnole, sauf Luz. & peut-être une coupelle de verbes irréguliers.

Hier je me suis rappelée de Luz qui entrait toujours dans la classe en faisant claquer ses talons sur les vieux planchers usés, de très belles bottes qu’elle préservait de la neige & du sel & de l’hiver mais j’ai aucune idée comment, moi je devais traîner à peu près deux pouces de calcaire incrusté dans le cuir des miennes, Luz entrait dans la classe & elle était toujours la même, le visage dur, le corps sec, rien chez elle qui puisse trahir même un tout petit morceau de chaleur. Elle avait un prénom de lumière, mais pas grand-chose d’autre de ce côté-là. Des taches de rousseur éparpillées sur son petit visage fermé, des cheveux noirs, des robes qui flottaient sur elle, s’accrochaient à ses clavicules, de très jolies mains aux longs doigts qui désignaient toujours subitement, irrévocablement, joven, le toca!, c’est votre tour, au tableau, qu’est-ce que vous attendez pour m’entretenir de syntagmes verbaux?

Luz avait trente-deux ans mais les méthodes pédagogiques des bonnes sœurs qui passaient leur temps à tirer les oreilles de ma mère.

Luz (que je n’ai jamais appelée Luz, que j’aurais jamais osé, devant qui je passais de trop longues secondes à hésiter entre señora & señorita), Luz c’est la première personne que j’ai rencontrée qui faisait aussi peu d’effort pour être agréable. L’apprécier demandait un effort de volonté extraordinaire & ça, juste ça, ça forçait une certaine admiration involontaire, un élan mal placé d’enthousiasme pour une personne qui, vraiment, honnêtement, s’en câlissait.

Alors hier j’ai repensé à Luz, petite chose rachitique & autoritaire qui m’a simultanément terrorisée & fascinée pendant huit mois, & je me suis dit que peut-être ça la fâcherait, savoir que je garde un bon souvenir d’elle.

Il y aurait une histoire à raconter sur Luz, mais je sais pas trop laquelle.




Ces temps-ci ma vie est déboussolante & décousue. Mon contrat se termine demain & je quitte Toulouse dans deux semaines & je retourne à Québec juste un tout petit peu après. Je traîne des chagrins insidieux auxquels j'ai pas envie d'accorder trop d'attention. J'écoute seulement des chansons qui ne disent rien.



mardi 22 mars 2011





La semaine dernière j'ai vu un film que je recommanderais à personne, un film lent & interminable qui m'a fait réaliser à quel point ça doit être une aventure incroyablement frustrante que d'apprendre le farsi. Bref. La seule bonne chose du film, la seule chose que j'ai aimée, celle qui m'a fait croire au tout début début que peut-être il y aurait, à défaut d'une intrigue palpitante ou de grandes émotions crève-coeur, quelque chose comme une poésie tranquille, délicate, posée dans ce film, la seule que j'ai aimée c'est une scène où une voiture passe entre les énormes rouleaux-éponges d'un lave-auto & que deux personnes, des silhouettes floues barricadées à l'intérieur de la voiture comme dans un cocon, écoutent une espèce de musique lancinante qui pourrait ressembler à du raï mais qui l'est probablement pas, je sais pas. Re-bref. Ça m'a rappelé mon père, qui m'amenait au lave-auto quand j'étais petite, toujours à la fin des longs dimanches d'été, & qui me faisait écouter du Cat Stevens par-dessus tous les grondements & les vrombissements des jets d'eau, & comment j'aimais tellement, tellement regarder les gouttes zigzaguer violemment sur la surface des fenêtres en chantant oh very young avec un accent maladroit.

Une autre chose que j'aime : me retrouver avec une quantité ridiculement petite de monnaie étrangère, genre cent vingt-sept roubles, genre sept livres & vingt-cinq, juste assez peu d'argent pour que ça vaille plus la peine de passer au bureau de change ; m'y résigner joyeusement & tout dépenser en bonbons trop chers dans les magasins de l'aéroport, juste après avoir passé la sécurité.



vendredi 18 mars 2011





...aaah, je dois être à l'aéroport dans pas très longtemps, mais! J'ai reçu tout plein de courriels cette nuit & vraiment je sais pas ce qui s'est passé pour que l'accès au blog soit restreint -- mais je crois que maintenant c'est réglé.

Je croise les doigts & je retourne squeezer mon shampooing dans un minuscule petit contenant de moins de 100 millilitres.



jeudi 17 mars 2011





Vendredi dernier, c'était la journée où je suis arrivée chez moi, très tôt le matin, pour me rendre compte que dans la cuisine ça sentait le poisson & que la moitié de la vaisselle était pas faite & que la moitié qui était faite était mal lavée.

C'était aussi la journée où j'avais trois heures pour repasser derrière les dernières corrections du manuscrit, pour essayer d'expliquer au réviseur linguistique pourquoi je veux pas de huit virgules pour encadrer quatre compléments circonstanciels.

J'avais seulement trois heures parce qu'à 10h30 je devais prendre le train pour Montpellier, un aller-retour en une journée pour une toute petite chose désagréable mais importante.

Dans le train j'ai fini un recueil de nouvelles de Banana Yoshimoto &, pendant une centaine de pages, je me suis sentie toute seule dans le wagon.

Ensuite j'ai vu qu'à côté il y avait des légionnaires, des vrais légionnaires de la Légion étrangère!, un Roumain & un Bosniaque & un Congolais à casquette blanche, carrée, très XIXe siècle, qui allaient à Nîmes & qui ne parlaient pas très bien français, qui mirent de longues minutes pénibles à négocier leurs billets de train au contrôleur. Devant il y avait des vieilles dames qui s'indignaient au-dessus d'un article de journal, quelque chose sur le fait que le FMI aurait approuvé l'essor du secteur privé en Lybie vers la mi-février. Je me suis dit comme si on avait besoin d'une autre preuve que le FMI c'est de la marde & j'ai passé le reste du trajet à espionner distraitement la conversation insipide mais joyeuse d'une mère & de sa fille qui, derrière moi, parlaient du coiffeur qu'elles verraient toutes les deux à Montpellier, une à la suite de l'autre, & de la couleur que leurs cheveux prendraient, & si ça ferait plutôt ressortir le vert ou le marron de leurs yeux.

À Montpellier il y a cinq flots de douze ans qui m'ont filée pendant quarante-cinq minutes dans les petites rues du centre jusqu'à ce que, excédée, je me retourne pour leur dire que okay, vous me gossez, décâlissez. Ça a marché, je sais pas pourquoi. Peut-être qu'ils pensaient que je parlais un argot plus avancé que le leur.

Dans le train du retour il y avait une fille qui fredonnait House of the Rising Sun. Elle était juste derrière moi & la première fois j'ai trouvé ça beau, la première fois je trouvais ça poétique & joli & parfait, mais après la quarante-sixième fois j'avais envie de la frapper.

Vendredi dernier je me suis traînée de la gare jusque chez moi en repensant à toutes les virgules du manuscrit qui ponctuaient mes phrases de travers, qui hachait le rythme en tout petits morceaux indigestes, mais qui valaient probablement pas toutes les angoisses que je tissais depuis le matin, de la gorge jusque dans le creux du ventre.

Mais ça c'était vendredi dernier & ce vendredi, vendredi qui est demain, ce vendredi je prends l'avion & je vais à Londres & je suis jamais allée à Londres. & j'ai hâte. & j'achèterai sûrement au moins un truc kitsch à l'effigie de Kate & William, parce que comme ma grand-mère m'a répété trois fois au téléphone la semaine dernière, une roturière dans la famille royale, it's quite the revolution.



lundi 7 mars 2011





Il fait quinze degrés celsius & j'ai une nouvelle chanson préférée.







Sinon j'ai eu une fin de semaine de cathédrales & d'amour, de mauvais films d'horreur à la télé, de la première crème glacée mangée dehors au soleil, de voyages en train & de livres dévorés en regardant distraitement le paysage couler par la fenêtre, de champagne le vendredi soir & de thé noir au citron le dimanche après-midi & de café instantané le reste du temps.

& il y aurait beaucoup de choses à en dire, mais pas aujourd'hui.



dimanche 27 février 2011





Le problème avec un site comme goodreads, c'est que ça fait naître en moi l'envie impossible d'établir une bonne fois pour toutes la liste de tous les livres que j'ai lus dans ma vie, une liste parfaite & exhaustive qui recenserait toutes les pensées & tous les sentiments que j'ai eus pendant ou avant ou après mes lectures, tout ce qui a pu me passer par la tête entre deux paragraphes, toutes les choses que j'aurais désespérément voulu avoir écrites, tout ce que tous les livres que j'ai lus m'ont jamais donné envie de devenir.

Bref. C'est obsédant, mais c'est quand même mieux que les cahiers à papier quadrillé que je passe mon temps à perdre, à malmener &/ou à imprégner de ronds de café tiède.




Ce matin il était sept heures & j'étais allongée sur le lit & je regardais le ciel & je me sentais, plutôt qu'heureuse ou paisible ou amoureuse ou toutes ces autres choses que j'ai l'habitude de décrire, je me sentais surtout isolée. C'est aussi ça, Toulouse : une ville où je n'ai pas d'amis.




Mes colocataires anglais boivent de la chicorée, préparent du boeuf stroganoff ou du canard à l'orange les soirs où ils n'ont rien de mieux à faire, rient à gorge déployée tous les matins dans la cuisine, s'aiment beaucoup & ne font jamais, jamais la vaisselle.

Il n'y a pas assez de rues à Toulouse pour les milliers & les milliers de héros de la Résistance que la ville, que la France au grand complet a vraisemblablement envie de célébrer. & quand c'est pas les rues qui commémorent leur nom, ce sont les documentaires à la télé le dimanche soir, ou l'ouverture d'un énième minuscule petit musée de la Résistance dans une ville de quatre mille trois cents habitants, ou un concours d'art oratoire pour jeunes lycéens à l'horaire surchargé. C'est l'obsession nationale. Je m'y habituerai jamais.

Chaque fois que je prends le métro à St-Agne, juste à côté de la plus petite gare de la ville, je sais qu'il y aura toujours un bout de musique ridiculement drôle pour me remonter le moral -- une chanson de reggaeton que j'ai pas entendue depuis les quatre mois au Pérou, un Time of My Life tellement remixé qu'il tire sur le trance, &, une très mémorable fois où je me suis pincée tellement j'y croyais pas, la version russe botchée de Belle.

Mais quand je suis loin de St-Agne & que la tranquillité des dimanches me serre les tempes, je m'allonge dans les carrés de soleil que la fenêtre dessine sur mon lit pour regarder la première saison de Six Feet Under huit ans après tout le monde, manger de la compote de pommes, écrire des cartes postales, retourner au café instantané & lire des briques arides de cinq cents pages sur le terrorisme international.



mercredi 16 février 2011





Chaque matin depuis que je suis à Toulouse je me lève & je fais du thé à la menthe & je pose la tasse sur le coin de mon très petit pupitre & j'écris de trop longues phrases à l'encre noire dans un cahier. Quand je le referme c'est pour aller au travail, où chaque fois en entrant dans le local je me dis, à go je suis une employée modèle! À deux heures & six de l'après-midi, j'ai toujours besoin de beaucoup de chocolat pour m'en rappeler.

Souvent je me demande si Chekhov était un bon médecin.




(Je me relis & j'ai l'impression d'être en train de me comparer à Chekhov. C'est pas ça. C'est juste que je me demande si j'aurai un jour une job qui me donne pas envie de toujours un peu botcher la job. Une job à laquelle je finirai pas toujours par voler de petits bouts de temps pour écrire des phrases croches dans des marges de documents qui parlent d'économie sociale & de pépinières d'entreprises en France.)



mardi 15 février 2011





Hier c'était un lundi gris & pluvieux & froid & morose, une journée pour sacrer en pleine rue contre les trous dans mes bottes (la seule constante dans ma vie : j'use toutes mes bottes jusqu'à la corde en moins de quatre mois sans jamais comprendre comment, c'en est presque un talent), une journée pour m'allonger à plat ventre sur mon lit & lire une grosse brique victorienne, Trollope ou Dickens ou Wilkie Collins, faire du thé en essayant de me convaincre que j'ai pas vraiment envie de café, hier c'était une journée pour faire semblant que c'est dimanche & que la vraie de vraie vie sérieuse peut attendre à demain.

Finalement ç'a été autre chose, une journée de fleurs rouges pour moi qui sait jamais quoi faire avec les fleurs, couper les tiges en biseau et les faire tenir en équilibre dans un récipient toujours trop trapu, regarder les fleurs partir dans toutes les directions, s'affaler en éventail, les retenir d'une main maladroite, sont ben belles! ; une journée de pizza sur la rue du Taur, à se rendre compte en payant que du plafond il y a des angelots dodus, dodus & horriblement laids, qui nous regardent compter notre petit change depuis leur grappe de nuages peints sur un coin de ciel trop bleu ; une journée à boire de la bière dans des bottes irrémédiablement trouées, il y a des choses qui s'arrangent pas, à te battre au pool & à regarder La peau douce en me disant que Truffaut, le nom Truffaut, ça me fait quand même toujours penser aux cochons qui reniflent le sol pour y trouver des champignons.

Aujourd'hui je lis Doris Lessing & j'écoute PJ Harvey & j'y trouve la même chose, la même envie moi aussi de dire les choses comme elles méritent d'être dites, même quand c'est brusque, même quand c'est dur, même quand ça fait plaisir à personne.




La chose que je trouve difficile, parfois, c'est de vouloir être toute seule, avoir désespérément, incorrigiblement besoin d'être toute seule, isolée même des gens que j'aime le plus -- & puis me rendre compte, aussitôt que ça m'arrive, que peut-être pas tant que ça.



mardi 8 février 2011





Secret : quand on lit ensemble, j'ai pas vraiment envie de lire.

Ça fait des mois & des mois que je passerais des heures & des heures à rien faire avec toi. Ça me déconcerte. J'ai aimé des gens avant, j'ai aimé beaucoup de gens avant, je suis presque triste d'avoir aimé autant de gens avant toi, mais jamais j'en ai été aussi ralentie, aussi bouleversée & chamboulée & adoucie, apaisée, amadouée. J'ai juste de mauvaises métaphores pour en parler, des choses comme 'rentrer au port', des choses qui parlent de moi comme si j'étais un grand bateau à voile perdu en mer, c'est ridicule, un peu plus & je deviens quoi, une baleine échouée? C'est difficile de rendre justice aux jolies choses & c'est difficile de parler d'amour sans tomber dans le convenu, sans se perdre dans des mots tellement usés qu'ils restent figés sur le papier.

C'est difficile pour moi, & ça c'est à la fois grisant & horriblement terrifiant, de trouver ma vie intéressante si t'es pas là pour m'écouter te la raconter.




Dans un autre ordre d'idée : c'est sidérant le nombre de gens qui arrivent ici en tapant 'grosse laide' dans leur engin de recherche. (Merci, ça me fait plaisir.)

& aussi, juste pour pas finir sur une note aussi désolante pour mon estime de moi : plus il fait chaud dehors & plus je deviens frileuse. À Toulouse il fait dix-sept degrés aujourd'hui mais j'ai de grands frissons qui me caressent les avant-bras ; ma soeur me dit c'est un retour de balance, tsé, pour être pognée dans le sud de la France en plein mois de février. Elle me dit arrête de chialer, & moi je m'ennuie d'elle comme c'est pas possible.

& aussi aussi : aujourd'hui j'ai appris que dans trois mois & deux jours, dans juste un peu plus que trois petits mois, j'ai un livre qui sera disponible en librairie.







Je sais pas comment c'est arrivé mais je suis passée de hier soir, étendue dans mon lit à reconnaître dans le ciel la ceinture d'Orion, à ce matin, la tasse de thé à la menthe sur le coin du pupitre & le stylo & le carnet & la pénombre de ma chambre, la rue qui s'éveille tout doucement en bas, je suis passée de hier soir à ce matin à juste tout à l'heure, heureuse de prendre le métro & de grimper avec une énergie sûrement un peu inutile les marches de l'escalier roulant, avaler le trottoir avec l'envie de me rouler dans l'air ensoleillé, je sais pas comment mais je suis passée de tout ça à là, maintenant, à me rendre compte que ma propriétaire est complètement, parfaitement, fondamentalement folle. & que mes problèmes, ce à quoi je pense pour l'instant comme à des problèmes, sont seulement le tout début de quelque chose qui me fera une contrariété pénible dans la gorge.

J'imagine qu'on peut pas tout avoir.

En attendant je vais continuer à travailler, sur les choses qui me rapportent des sous & sur celles qui m'en donneront jamais, à lire Mémoires d'Hadrien & à me plonger la tête dans ses longues phrases lentes & contemplatives, à me dire que y'en aura pas de facile mais qu'au moins, au pire des pires, ça me fera de drôles d'anecdotes à raconter plus tard.

(C'est toujours la même consolation, non? Il t'arrive des dégueulasseries, mais au moins ça te fera quelque chose à décrire après, un quelque chose sur lequel broder des dizaines & des dizaines d'histoires.)



lundi 7 février 2011





Dans ma chambre il y a une grande porte-fenêtre qui donne sur un début de balcon, un demi ou un tiers ou un tout petit quart de balcon dans lequel tremper ses orteils. Quand je rentre du travail il fait quinze degrés & j'ouvre toutes grandes les portes malgré le bruit de l'heure de pointe & des klaxons six étages plus bas ; quand je me couche je me tortille sur le matelas pour voir un grand pan de ciel et trois étoiles pâles, très pâles dans la nuit éclairée de la ville ; quand je m'éveille il y a deux moineaux qui chantonnent sur la balustrade en fer forgé. Souvent mes deux colocs british sont déjà en train de parler trop fort au-dessus de leur Twinning's English Breakfast Tea, souvent j'aimerais me rendormir mais je peux pas, mais je me dis cibole, y'a des choses pires que ça dans la vie.




À Bordeaux la Garonne est plus large qu'à Toulouse, & avec la brume on pourrait presque dire qu'on commence à pas voir l'autre rive, qu'il me dit en riant. Le long du fleuve il y a les lignes pures des boulevards & des bâtiments, des milliers de lignes droites qui étourdissent un peu à force de ne jamais se terminer, & moi je pense à Pétersbourg & au Palais d'Hiver couleur menthe & à la rue Rossi, la rue aux dimensions parfaites.

Nous marchons lentement, mes doigts froids dans sa paume & la Garonne accrochée au coin de l'oeil, & il me dit l'année passée je devais aller à Malmö & finalement ç'a pas marché & finalement je suis allé à Moscou. & je me rappelle Malmö, Malmö qui se prononce Mal-meuh, & je me rappelle le hostel un peu excentré où j'avais dû entrer par effraction, un vingt-sept décembre noir & froid froid froid, parce que la porte était verrouillée & qu'on m'avait donné le mauvais code, je m'étais glissée par une fenêtre après avoir laissé mon gros sac à dos dans la neige mouillé & sur le coup ça m'avait même pas fâchée, j'avais surtout regretté de ne pas avoir personne avec qui partager tout de suite mon triomphe. J'essaie de l'imaginer dans Malmö, dans ce que je me souviens de la ville, une tuque de laine enfoncée sur la tête & toujours ses très longs cils qui caressent des dizaines de taches de rousseur, & je peux pas. Je pense, les choses tiennent à pas grand-chose ; je pense à Marie-Jo Thério qui chante j'me réveille j'pensais j'aurais pu être du plastique dans une dump au New Jersey. Je me dis que tout est précaire & précieux & ça me rend toutes sortes de choses, je sais pas, ça me rend reconnaissante & craintive & heureuse & téméraire & amoureuse.



mercredi 2 février 2011





Il m'arrive des choses grandes & dures & vraies. Mais comme chaque fois que j'ai mal à la tête de tant vouloir être honnête, la seule chose dont j'ai envie c'est de lire des livres & de parler de livres & de faire des listes de livres, des livres dans lesquels il fait bon se creuser une tanière où vivre un moment, un espace douillet où tout est déjà écrit.

Je lis mon premier Bolaño & quand je tourne la dernière page, quand j'arrive à la dernière phrase, quand je laisse rouler le dernier R dans ma tête, j'ai l'impression d'arriver à une époque charnière de ma vie. (Un peu plus & je m'exclame théâtralement, le dos de la main rejetée contre le front, Bob, Bob, where have you been all my life? Sauf que non.) Il y a le Chili & il y a des poètes qui ne font que lire lire lire & écrire écrire écrire & il y a des violences tordues dans les marges des pages & il y a toutes sortes de quêtes & de la poésie écrite dans le ciel & des mouvements littéraires inventés & des crimes que personne ne nomme. Bref. C'est bon à s'en pitcher dans les murs.

Je lis des choses moins transcendantes. Par exemple : une histoire de la géométrie où l'auteur passe plus de temps à faire des jokes plates sur ses fils (?) qu'à parler de la théorie des cordes. Mais le reste du temps je lis de bonnes choses. Je lis Anaïs Nin, aussi pour la première fois ; je lis un roman sur la guerre du Biafra qui s'étale, merveilleusement tentaculaire, dans tous les dédales possibles. Je vais à la Médiathèque & je m'accapare tout ce qu'il y a de bon dans les rayons, je m'accroupis pour mieux lire les titres sur les tablettes qui rasent le sol. Je lisse mes doigts contre le dos des livres. L'anticipation de ceux qui restent à lire, le plaisir difficile de choisir soigneusement, presque péniblement, ceux à emprunter. Il y a quelque chose de précieux là-dedans, quelque chose de cérémonial qui me rend heureuse.

Parfois j'ai l'impression qu'en lisant je vis plus immédiatement, que les choses me parviennent sans les espèces de décélérations du quotidien, les moments de vide & d'ennui, d'attente, les poches de rien du tout. Parfois c'est le contraire, parfois je me dis que je m'englue dans des moments qui ne seront jamais à moi. Ces jours-ci je suis surtout heureuse de pouvoir lire sur des gens à qui j'aurai jamais besoin d'expliquer qui je suis ou d'où je viens ou qu'est-ce que je viens faire, moi, à vingt-cinq ans, dans une ville & un bureau & un appartement où je fais juste passer en coup de vent.

& la plupart du temps je sais pas, mais je lis quand même.




L'humidité de l'hiver se glisse sous les semelles minces de mes bottes & passe la journée à me chatouiller les pieds.

À l'heure du midi mes collègues de travail parlent d'homéopathie avec tout le sérieux du monde & moi je pense à Porcelaine, qui alignerait des tabarnarque de granos dans sa tête en essayant de ne pas s'étouffer avec son sandwich. (Ils se servent aussi de Cent ans de solitude & 1984 pour s'attaquer à la sur-conceptualisation dont est affligé notre pauvre monde, aussi, mais ça c'est une autre histoire.)

Quand je vais à la petite épicerie froide en dessous de chez moi, la seule ouverte un dimanche, je vois que la minuscule caissière asiatique, emmitouflée derrière son comptoir, parle joyeusement sur skype.

Le soir je mange de grands bols de soupe chaude en regardant des films, toutes sortes de films -- La Belle & la Bête de Cocteau, les films de Kubrick que j'avais jamais vus, 2001 : A Space Odyssey & Barry Lyndon, The Name of the Rose pour me rendre compte que Sean Connery a arrêté de vieillir il y a vingt-cinq ans. Ou bien je fais toutes les choses que je prends jamais la peine de faire à Québec, je vais à tout ce à quoi je peux aller, le festival de films coréens, la projection de documentaires polonais, une pièce en russe d'une troupe de théâtre lettone qui me fait pleurer dans le noir de la salle, les journées gratuites des musées & les expositions photo à la Médiathèque, les conférences grand public sur l'histoire de la médecine chinoise. Avec toi.

Parfois je me demande quand je serai rassasiée, quand j'aurai la certitude tranquille d'en avoir vécu assez.

& parfois je reste assise devant la fenêtre de ma chambre, avec l'impression splendide que ma vie bouge & bouge & bouge.



mardi 18 janvier 2011





À Toulouse l'hiver est surtout humide. Le matin je m'éveille & depuis mon coin du lit je vois que la fenêtre est enduite d'une buée chaude dans laquelle j'aurais envie de tremper un doigt pour te dessiner des volées d'oiseaux, me raconter une histoire, éclaircir un bout de paysage. À travers la dentelle de condensation je peux voir le rouge des tuiles qui ondulent sur les toits en pente, aussi le bleu qui se déroule au-dessus ; ce sont des couleurs à réchauffer le coeur. & puis sinon, il y a toi.




Ça fait six jours que je bois pas plus qu'une seule minuscule petite tasse de café noir par jour. Je sais pas comment je fais.




À l'endroit où je travaille il y a une cuisinette avec seize saveurs différentes de thé, j'ai compté, & un poster géant qui recense les plantes médicinales de la région. La première journée je suis arrivée cinq minutes en retard, complètement paniquée, pour me rendre compte que j'étais là avant tout le monde & que le bâtiment était encore verrouillé. Pour m'y rendre je remonte toute une série de rues dont je ne connais pas encore les noms mais que j'identifie autrement -- celle où les Maghrébins sifflent gazelle gazelle gazelle!, celle où un gros chat noir obèse essaie désespérément de se faufiler entre les barreaux d'une clôture pour venir se frotter contre ma main tendue, celle où le clochard aux gros chiens m'offre une cigarette, toujours, chaque matin depuis que je suis ici, je les roule moi-même pour pas choper rien, je te jure, tu sais pas ce que tu peux choper avec une cigarette que t'as pas roulée toi-même. Je m'en souviendrai.

Le midi je m'assois au soleil, en face de la fontaine du Grand Rond, & je lis La constellation du lynx, les joues tièdes mais les doigts froids. Je vois de petites hipsters Françaises, les collants picotés, la jupe jaune moutarde, les épaules frêles & les lunettes, est-ce qu'il faut vraiment un qualificatif pour les lunettes? Elles sont assises dans l'herbe & se prennent mutuellement en photo avec une Holga bleu ciel, font des regards flous pour l'objectif. Je presse mes écouteurs contre mes oreilles, comme si je voulais que David Bowie s'infiltre dans mes tympans, glisse dans ma gorge, s'installe dans mon estomac. Je vois deux enfants, un frère & une soeur, qui s'amusent à sauter entre les crottes de chien qui parsèment le trottoir. Je retourne travailler en laissant fondre un carré de chocolat au lait sur ma langue.