vendredi 29 janvier 2010





Hier je suis arrivée chez Juillet à une heure & demie avec un appareil-photo jetable & les cheveux ébouriffés par l'hiver, viens dehors que je lui ai dit, on a vingt-sept photos & juste un après-midi.

À six heures & des poussières je suis allée rejoindre Marlie au Sacrilège, pour la première fois à vie j'étais en retard & elle pas, on devait rester une heure mais finalement c'est trois heures qu'on a passées à parler de toutes ces choses qu'on a jamais le temps de se dire -- ses chansons colorées, belles comme des bijoux ; tous nos grands élans d'indignation devant l'injustice, toutes les injustices sociales ; l'Afrique ; la Russie ; la bière que son copain ira bientôt brasser en campagne ; les histoires qui me chicotent ; le futur qui est là , maintenant. Marlie attablée en face de moi, immensément grande & immensément blonde, la plus belle personne que je connaisse.

Je suis revenue chez Juillet avec quatre bières dans le ventre & une grande chaleur dans les joues, alors il m'a donné de la crème glacée au chocolat & des tonnes de sourires indulgents. J'ai fouillé dans sa bibliothèque & je me suis endormie en lisant les premiers chapitres de Chercher le vent, j'avais oublié qu'il y avait une Catalane dans ce livre-là ; quand je me suis éveillée il me regardait dormir. Il m'a dit toi tu m'habites & c'était d'une douceur cotonneuse, un nuage de ouate contre ma peau.

& ce matin le téléphone a sonné à neuf heure quarante-six minutes, cinq coups avant qu'il ne réponde, & c'était quelqu'un qui lui disait que son père était mort.

Il y a des choses, comme ça.



mercredi 27 janvier 2010





Ces temps-ci je lis des livres que j'aurais envie de ne jamais terminer.

À l'aéroport d'Heathrow j'avais quatre heures d'attente & War & Peace déjà terminé dans le fond de mon sac à dos, alors j'ai acheté Kafka on the Shore & c'était le meilleur de tous les livres que j'aurais pu lire à ce moment-là, à exactement ce moment-là de ma vie. D'Haruki Murakami j'avais seulement lu Chroniques de l'oiseau à ressort, dans une traduction vraiment horrible qui m'avait profondément frustrée, on a pas idée de massacrer un livre à ce point, cibole!, mais Kafka c'était encore plus de toutes ces choses qui n'arrivent qu'en littérature -- les personnages qui parlent de mythes grecs & de grandes choses profondes, le temps qui se troue & s'étire & s'embrouille, une histoire éclatée de brume & de rêves. & puis en même temps il y a tout un cadre supra-réaliste, de très petits détails du quotidien, l'auteur qui passe son temps à expliquer très exactement ce que les personnages ont décidé de manger pour le repas du soir, quels légumes sur quel type de riz avec quelle marque de café instantané. C'en est tellement déroutant que ça en devient beau.

& aujourd'hui je termine Extremely Loud & Incredibly Close, qui lui est tout plein de personnages qui ne peuvent survivre qu'en littérature -- le petit garçon beaucoup trop prodige ; le grand-père qui perd la parole & entretient des dialogues via des tonnes de cahiers ; le vieil homme centenaire & sourd qui enfonce chaque matin un nouveau clou dans un lit construit à même un arbre volé où, je m'en rappelle plus tout à fait, peut-être à Central Park? Anyway. C'est un livre comme une explosion dans la poitrine.

& ça prend un certain courage, je crois, pour écrire de ces choses, de ces gens qui n'arrivent que dans les livres.




Ces temps-ci je vis des choses que j'aurais envie de ne jamais avoir fini de vivre.

Il y a des journées grises de pluie verglaçante & de trottoirs-patinoires où Juillet sent toujours la menthe & l'air du dehors & le savon & la cigarette, juste un peu, juste assez pour donner du relief à son odeur. Il a recommencé le jour de sa fête parce que crisse, t'étais pas là.

Il y a les meilleures soirées du monde avec Baloi, toutes les deux nostalgiques de téléromans espagnols horriblement invraisemblables, un ancien orphelinat devenu école privée devenue théâtre d'activités criminelles en tout genre, toutes les deux encore follement amoureuses du Pays Basque, à distance, trop craintives pour y retourner tout de suite, qu'est-ce que ce serait que d'aller à Gasteiz pour la retrouver vide de tous les gens qu'on y a aimés?

Il y a des après-midis de soleil doux chez mon grand-père, à l'entendre me raconter un rêve rêvé la nuit précédente, un rêve fou qu'il me dit, un rêve tellement beau, qu'est-ce que c'est qu'un beau rêve pour mon grand-père? Y'avait un lac dans la cour en avant, j'y pêchais des dorés gros comme ça.

Il y a des virées express à Montréal, trois heures & demie en voiture avec un petit monsieur de soixante-quinze qui roule à peu près à ça, à soixante-quinze, pour aller voir Chuck qui tombe dans le mélodrame & jure jure jure! que sa vie de future infirmière est finie terminée déjà derrière elle, pourquoi je m'obstine à faire de quoi qui me ressemble pas?. Baloi qui lui dit va donc sage-femme, que j'aie pas besoin d'accoucher à l'hôpital. Moi qui lui dis l'école ça presse pas, mais tout le reste -- oui!

Il y a déjà toutes ces semaines douillettes chez mes parents, les crêpes aux fruits pour le souper, l'énorme machine à espresso qui tire les plus bruyants de tous les allongés du monde, les mauvais téléromans auxquels ma mère donne tous une chance, au moins trois épisodes, Trauma c'est pas bon mais qu'est-ce tu veux, c'est James Hyndman, mon père & son amour des bibliothèques qui s'étale dans toutes les pièces, ma soeurette qui vient dormir chaque fois que ça va pas avec son copain & qui me laisse de petites notes presque sans fautes d'orthographe, je t'aime vraiment beaucoup, des milliers & des milliers de points d'exclamation.

Il y a une fin de fin de journée où Juillet me dit je dors mieux depuis que je te connais & je pourrais rire en disant tu me trouves soporifique? mais je le fais pas parce que déjà sa respirations s'alourdit dans mon cou & aussi parce que je sais que ce qu'il essaierait d'expliquer c'est qu'il y a une angoisse, de ces angoisses sombres & gluantes comme les anguilles, qui existe juste un tout petit peu moins depuis que, depuis que.

(Juillet qui demande, pourquoi y'a pas encore personne qui a écrit de livre sur toi & moi & ça? ; moi qui réponds parce que dans les livres faut toujours que ce soit au moins un peu compliqué.)

Il y a des journées entières que je passerais à l'avoir tout près, assez pour pouvoir sentir son coeur battre dans ma poitrine.



samedi 9 janvier 2010





En 2009 j'ai commencé cent onze livres ; j'en ai abandonné deux ; je suis tombée amoureuse des dizaines & des dizaines de fois.

Les meilleurs des meilleurs --
Tolstoï! (...personne l'avait vu venir.) War & Peace, & puis aussi The Death of Ivan Ilyich & Other Stories.
Suzanne Myre! J’ai de mauvaises nouvelles pour vous & Nouvelles d’autres mères & Humains aigres-doux. (Me reste deux recueils d'elle à lire. J'ai hâte hâte hâte.)
La ciudad y los perros, Mario Vargas Llosa
Je jette mes ongles par la fenêtre : nouvelles, Natalie Jean
La peau des doigts, Katia Belkhodja
La physique racontée aux poètes & aux enfants, Ulf Danielsson
Bourlinguer, Blaise Cendrars

Aussi beaucoup beaucoup aimé, pêle-mêle --
Trainspotting, Irvine Welsh
The View from Castle Rock : Stories, Alice Munro
Éloge du chiac : poésie, Gérald Leblanc
Chronicles : Volume One, Bob Dylan
Québec en mouvements : idées & pratiques militantes contemporaines, sous la direction de Francis Dupuis-Déri
Instruments des ténèbres, Nancy Huston
N.P, Banana Yoshimoto
Les justes : pièce en cinq actes, Albert Camus
La plus jolie fin du monde, Zviane
La memoria, Louise Dupré
Coup de foudre, clichés & autres atrocités, textes de Julie Gaudet-Beauregard & illustrations de Catherine Lepage
The History of Love, Nicole Krauss
Chambre avec baignoire, Hélène Rioux
Théâtre complet I : Ce fou de Platonov, Ivanov, La mouette, Les trois soeurs, Anton Tchekhov
A Hero of Our Time, Mikhail Lermontov

& meilleures relectures, parce que ça veut quand même dire quelque chose que d’aimer autant un livre pour la deuxième fois --
Sherlock Holmes : The Complete Novels & Stories, Volume I, Arthur Conan Doyle (pas eu le temps de relire le deuxième volume -- peut-être plus tard cette année.)
Les Malaussène de Pennac! (...sauf peut-être Des chrétiens & des maures.)
Je voudrais me déposer la tête, Jonathan Harnois

(Faire dans le concis, le voici mon top dix de l'année, je serai jamais capable. Il y a trop de livres qui méritent d'être aimés au grand jour, même dans des listes interminables!)




Dans le train de nuit de St-Pétersbourg à Moscou j'étais fatiguée à en avoir mal aux yeux mais j'étais incapable de dormir, alors j'ai écouté Murder Ballads, tout l'album trois fois de suite, & vraiment c'était apaisant, repasser toutes ces histoires en boucle, soupeser les mots, les entendre s'enrouler autour des notes. & très lugubre, aussi, parce qu'à la fin du voyage je voyais des envies de rages meurtrières chez tous mes voisins de wagon, mais bref.

& j'étais sur youtube aujourd'hui, après avoir terminé mes bagages, & je me suis souvenue à quel point j'aime le vidéoclip pour Henry Lee -- le contraste entre l'air particulièrement vampirique de Nick Cave & les traits délicats de PJ Harvey, la chanson si délicieusement morbide & leurs gestes si doucement enveloppants. & leurs mains, leurs mains qui dansent & happent & dessinent, quelque part dans l'espace qui les sépare, de grands sentiments crève-coeur.








Je prends l'avion demain matin.


vendredi 8 janvier 2010





Mon Noël à moi, tout doux:

Le vingt-quatre décembre, dans la petite épicerie tenue par les Kazakhs qui vendent des oranges bioniques grosses comme ma tête, Dalida qui chante paroles, paroles & la caissière qui bat la mesure, ses faux ongles s'écorchant sur le comptoir de métal.

Encore le vingt-quatre décembre, je reçois un colis par la poste & c'est de Juillet & c'est un tout petit livre en papier recyclé, les feuilles reliées tout croche & l'encre bleue qui s'étend en pâtés, les mots maladroits, les fautes d'orthographe, les photos de sourires. Mon coeur grand comme ça dans ma poitrine.

Le vingt-cinq décembre, je travaille mais seulement après avoir festoyé avec la patronne & la secrétaire & Porcelaine, à boire du Campari à deux heures de l'après-midi & manger des petits fours noyés dans la crème sûre, la patronne qui offre une boîte de chocolats & du champagne, pas du champagne russe sucré mais l'autre, l'étranger qu'elle dit, plus amer, c'est bien celui que vous préférez?. Je donne mon cours peut-être pompette, peut-être juste un tout petit peu, & quand je rentre chez moi il y a une boîte de truffes sur mon oreiller, & il y a un peu de neige qui se faufile par la fenêtre entrouverte, & je me dis que tout ça, Moscou toute blanche du chocolat en cadeau une bouteille de champagne dans mon sac, tout ça c'est joli comme un poème.




Ensuite il y a eu ma dernière journée de travail, mes étudiants qui m'offrent d'autres boîtes de chocolat, les meilleurs chocolats russes au monde, & qui prennent de toutes petites voix paniquées lorsqu'ils apprennent que je reviendrai seulement en février, but you're coming back, right?. Puis le trente & un décembre sur la Place Rouge, à regarder les feux d'artifices éclater au-dessus du Kremlin avec un Croate grincheux & deux Russes & Porcelaine, Porcelaine avec qui je partage ma bouteille de champagne & qui me dit en m'embrassant sur les deux joues que de tout le monde que j'ai connu ici, suis crissement contente d'être avec toi pour le Nouvel An!

Puis Novgorod où je suis arrivée à six heures du matin, où l'eau de la Volkhov était plus chaude que l'hiver, où il y avait de longs filaments de brume qui couraient au-dessus de la rivière & où, dans l'air doux & presque intolérablement froid du petit matin, c'était d'une beauté délicate, inattendue.

Puis Saint-Pétersbourg où j'ai appris que Lhasa était morte alors j'ai écouté son dernier album à répétition, partout sur les trottoirs enneigés de la ville. Je préfère son deuxième disque, The Living Road, mais dans Lhasa il y a une mélancolie dans laquelle j'ai toujours un peu envie de me lover. Comme le goût d'être triste, d'être juste assez triste pour comprendre les chagrins qu'elle chante.




Sinon il y a le petit chien de la famille qui est tombé gravement malade juste après Noël, & elle était vieille, & maintenant elle est morte. Ma soeurette qui m'écrit tsé, je sais même pas si le paradis existe mais j'espère tellement tellement fort que le paradis des chiens existe, parce que elle il faut qui lui arrive de quoi de bien. Oui.