mercredi 27 janvier 2010





Ces temps-ci je lis des livres que j'aurais envie de ne jamais terminer.

À l'aéroport d'Heathrow j'avais quatre heures d'attente & War & Peace déjà terminé dans le fond de mon sac à dos, alors j'ai acheté Kafka on the Shore & c'était le meilleur de tous les livres que j'aurais pu lire à ce moment-là, à exactement ce moment-là de ma vie. D'Haruki Murakami j'avais seulement lu Chroniques de l'oiseau à ressort, dans une traduction vraiment horrible qui m'avait profondément frustrée, on a pas idée de massacrer un livre à ce point, cibole!, mais Kafka c'était encore plus de toutes ces choses qui n'arrivent qu'en littérature -- les personnages qui parlent de mythes grecs & de grandes choses profondes, le temps qui se troue & s'étire & s'embrouille, une histoire éclatée de brume & de rêves. & puis en même temps il y a tout un cadre supra-réaliste, de très petits détails du quotidien, l'auteur qui passe son temps à expliquer très exactement ce que les personnages ont décidé de manger pour le repas du soir, quels légumes sur quel type de riz avec quelle marque de café instantané. C'en est tellement déroutant que ça en devient beau.

& aujourd'hui je termine Extremely Loud & Incredibly Close, qui lui est tout plein de personnages qui ne peuvent survivre qu'en littérature -- le petit garçon beaucoup trop prodige ; le grand-père qui perd la parole & entretient des dialogues via des tonnes de cahiers ; le vieil homme centenaire & sourd qui enfonce chaque matin un nouveau clou dans un lit construit à même un arbre volé où, je m'en rappelle plus tout à fait, peut-être à Central Park? Anyway. C'est un livre comme une explosion dans la poitrine.

& ça prend un certain courage, je crois, pour écrire de ces choses, de ces gens qui n'arrivent que dans les livres.




Ces temps-ci je vis des choses que j'aurais envie de ne jamais avoir fini de vivre.

Il y a des journées grises de pluie verglaçante & de trottoirs-patinoires où Juillet sent toujours la menthe & l'air du dehors & le savon & la cigarette, juste un peu, juste assez pour donner du relief à son odeur. Il a recommencé le jour de sa fête parce que crisse, t'étais pas là.

Il y a les meilleures soirées du monde avec Baloi, toutes les deux nostalgiques de téléromans espagnols horriblement invraisemblables, un ancien orphelinat devenu école privée devenue théâtre d'activités criminelles en tout genre, toutes les deux encore follement amoureuses du Pays Basque, à distance, trop craintives pour y retourner tout de suite, qu'est-ce que ce serait que d'aller à Gasteiz pour la retrouver vide de tous les gens qu'on y a aimés?

Il y a des après-midis de soleil doux chez mon grand-père, à l'entendre me raconter un rêve rêvé la nuit précédente, un rêve fou qu'il me dit, un rêve tellement beau, qu'est-ce que c'est qu'un beau rêve pour mon grand-père? Y'avait un lac dans la cour en avant, j'y pêchais des dorés gros comme ça.

Il y a des virées express à Montréal, trois heures & demie en voiture avec un petit monsieur de soixante-quinze qui roule à peu près à ça, à soixante-quinze, pour aller voir Chuck qui tombe dans le mélodrame & jure jure jure! que sa vie de future infirmière est finie terminée déjà derrière elle, pourquoi je m'obstine à faire de quoi qui me ressemble pas?. Baloi qui lui dit va donc sage-femme, que j'aie pas besoin d'accoucher à l'hôpital. Moi qui lui dis l'école ça presse pas, mais tout le reste -- oui!

Il y a déjà toutes ces semaines douillettes chez mes parents, les crêpes aux fruits pour le souper, l'énorme machine à espresso qui tire les plus bruyants de tous les allongés du monde, les mauvais téléromans auxquels ma mère donne tous une chance, au moins trois épisodes, Trauma c'est pas bon mais qu'est-ce tu veux, c'est James Hyndman, mon père & son amour des bibliothèques qui s'étale dans toutes les pièces, ma soeurette qui vient dormir chaque fois que ça va pas avec son copain & qui me laisse de petites notes presque sans fautes d'orthographe, je t'aime vraiment beaucoup, des milliers & des milliers de points d'exclamation.

Il y a une fin de fin de journée où Juillet me dit je dors mieux depuis que je te connais & je pourrais rire en disant tu me trouves soporifique? mais je le fais pas parce que déjà sa respirations s'alourdit dans mon cou & aussi parce que je sais que ce qu'il essaierait d'expliquer c'est qu'il y a une angoisse, de ces angoisses sombres & gluantes comme les anguilles, qui existe juste un tout petit peu moins depuis que, depuis que.

(Juillet qui demande, pourquoi y'a pas encore personne qui a écrit de livre sur toi & moi & ça? ; moi qui réponds parce que dans les livres faut toujours que ce soit au moins un peu compliqué.)

Il y a des journées entières que je passerais à l'avoir tout près, assez pour pouvoir sentir son coeur battre dans ma poitrine.



1 commentaire:

  1. C'est drôle parce que quand j'ai lu Kafka on the Shore, je me suis dit que ce n'était vraiment qu'une pâle copie de ce qu'il avait déjà fait bien mieux dans Chroniques de l'oiseau à ressort, et que la traduction anglaise était exécrable. Je ne me souviens pas d'avoir ressenti une frustration par rapport à la traduction des Chroniques(celle de chez Point? On a la même j'imagine...), et ce livre a chahuté mon existence durant plusieurs jours.

    Comme quoi, les impressions...

    Je suis un peu en retard sur ce post, mais je te lis tranquillement en allant un peu n'importe où, n'importe comment. J'espère que tu vas lire ce commentaire un de ces quatres.

    Capcha: Maselful (Maseltov, Jacob, you ate too much and now you are maselful)

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