lundi 29 juin 2009





Raison numéro cent quarante-trois pourquoi je vais pleurer Saint-Roch après mon déménagement :

Pourrai plus jamais me faire cruiser par le petit gars du dépanneur, celui qui a toujours un espèce de bonnet de laine trop serré style pseudo-ghetto (& orange fluo), au comptoir des réservations de la bibliothèque Gabrielle-Roy.




Je crois que je viens de me tailler une place dans les annales comme la presque ex-voisine qui gueule du Johnny Cash en lavant ses armoires. Mais c'est qu'il y a une satisfaction toute particulière à chanter I'm so lonesome I could cry quand c'est pas du tout vrai.



vendredi 26 juin 2009





Petite succession de choses:

dimanche 24 mai
J’ai passé toute la journée du samedi avec Unaï & j’écris que « c’est une personne très critique avec tout & tout le monde, sans exception, mais qui remet en question sans essayer de faire croire que ses choix à lui sont dénués de contradictions. » C’est quelque chose que je trouve rafraîchissant & rassurant, d’une drôle de façon.

mercredi 27 mai
Comme je me suis fait mal à la cheville en essayant de devenir La Fille Qui Court Le Matin, Unaï me laisse un colis accroché à la grille de mon appartement : un bandage élastique, emballé dans une partition de musique & renforcé d’un petit mot écrit sur du carton orange, le tout ficelé avec un bout de corde. Son écriture est maladroite mais il ne fait presque pas de fautes d’orthographe.

dimanche 31 mai
En fin d’après-midi nous allons au Parc Victoria goûter à ce qu’il reste de soleil, boire une bière aux framboises à deux, croquer dans une pomme. Quand le froid nous rattrape, nous allons nous enfouir dans le grenier de son appartement, où nous buvons de la tisane dans de très petites tasses. Nous demeurons assis sur le sol, appuyés contre son lit, & j’oublie qu’il est tellement plus grand que moi. Parfois il dessine comme de drôles de volutes sur mon genou.

vendredi 5 juin
J’ai mal au dos & Unaï finit par s’en apercevoir & ses longs doigts se posent entre mes omoplates, remontent la colonne vertébrale jusqu’à la base de mon crâne ; il me demande où j’ai le plus mal & je peine à répondre parce que j’ai l’impression qu’il tient ma voix entre ses mains.

lundi 15 juin
Il est aux Îles-de-la-Madeleine & il laisse sur mon répondeur un drôle de message décousu, rendu encore plus incompréhensible par son accent qui, au téléphone, tombe dans l’indéchiffrable. Je l’écoute une fois, deux fois, & je ris toute seule dans ma chambre.

vendredi 19 juin
Je me dis : il faut faire attention avec les néo-hippies anarchistes, surtout les garçons, parce que j’ai de la difficulté à discerner si ce qu’ils aiment c’est toucher les gens en général, du genre on abolit même les frontières avec les autres, ou moi en particulier. C’est compliqué.

& le 24 juin au soir, dans un revirement de situation tout ce qu’il y a de plus inattendu, Unaï m’embrasse dans le grenier de son appartement. Je suis tellement surprise que j’en échappe presque ma bière.

Je suis pas très perspicace.



vendredi 19 juin 2009





Pour parfaire mon éducation scientifique, je lis La physique racontée aux poètes & aux enfants. C'était pas prévu, je l'ai vu à la bibliothèque & je l'ai feuilleté & je me suis aperçue que le prénom de l'auteur était Ulf & bon, j'ai tendance à accorder toute ma confiance aux scientifiques qui ont des noms très nordiques. (Sauf Igor. Ça fait pas sérieux, Igor.) Bref, c'est tellement passionnant & borderline incompréhensible-mais-pas-tout-à-fait que j'ai des palpitations chaque fois que je commence un nouveau chapitre. Au départ je pensais le garder en livre de chevet, passer au travers très lentement au rythme de six pages chaque soir avant de m'endormir, mais finalement je suis pas capable, je le traîne partout & je me découvre une passion dévorante pour les trous noirs. (En théorie, quoique peut-être pas tellement en pratique.) Saviez-vous que le temps s'arrête quand on s'approche trop d'un trou noir? Que quand la matière y est aspirée, c'est comme si elle n'avait jamais existé? Moi non plus. Les trous noirs sont fascinants. Je veux adopter un trou noir.

Je crois que j'étais physicienne théoricienne dans une autre vie. Mais il y a trèstrès longtemps, du temps où la mécanique quantique & la relativité & la théorie des cordes n'avaient pas encore été découvertes. Peut-être que j'étais Lord Kelvin, qui au dix-neuvième siècle trouvait qu'on avait pas mal fait le tour de la question, côté science, & qu'il restait peut-être deux ou trois petits détails à régler. (Plus j'y pense & plus je me dis que ç'aurait vraiment été mon genre. Un mélange de naïveté désolante & de vanité crasse.)

En attendant de m'investir dans un changement de carrière & retourner faire mes sciences pures au cégep, je regarde la première saison de Rome. Encore une fois dans un but éducatif, officiellement, parce que je pensais pouvoir rafraîchir mes connaissances sur le sujet. (J'ai fait un cours sur l'histoire de la Rome antique, à l'université. Je l'ai joyeusement oublié pour faire la grève étudiante du printemps 2005, & j'ai jamais su ce qui se passait après l'assassinat de César.) C'est facile de voir que le gars en charge du scénario n'est pas Ulf, cependant, parce que jusqu'à maintenant c'est plus une succession d'intrigues familiales diaboliques & de ré-interprétations historiques, genre la guerre civile entre Pompée & César a éclaté à cause d'un légionnaire alcoolique & d'un malentendu. & le fils de César & Cléopâtre est euuuuh pas de César. Etcétéra. Pour la rigueur scientifique, on repassera. Mais c'est joli à regarder.

J'ai à peu près quatre mille changements d'adresse à faire & des boîtes à commencer, mais je procrastine avec la physique théorique & l'histoire antique. C'est quand même quelque chose.



dimanche 14 juin 2009





J’aime aller au cinéma toute seule. Y aller en fin d’après-midi, quand il n’y a dans la salle que quelques retraités regroupés en couples — couples de vieux époux, couples de vieux amis. Arriver tout juste avant le début du film, être déçue parce qu’au Clap il n’y a jamais de bandes-annonces alors que j’ai toujours trouvé que ça a quelque chose de fondamental, les bandes-annonces, ça vous fait oublier le film que vous êtes venus voir & ça sert de transition entre la vie & le cinéma, ça crée comme un pont où vous retrouvez toujours la même voix off masculine — mais peut-être que j'exagère, possiblement que j’ai un amour invétéré pour les previews. (Ça & le National Geographic. Ça pourrait être pire.)

Mais j’aime beaucoup aller au cinéma toute seule parce qu’après je peux prendre tout le temps que je veux. Passer de longues minutes à regarder défiler le générique, encore blottie dans la noirceur de la salle. Sortir sans avoir à me prononcer tout de suite — est-ce que j’ai aimé, est-ce que je n’ai pas aimé, est-ce que ce film est réellement le chef-d’oeuvre qu’annonçaient les extraits de critique placardés sur la pancarte? Mettre mes écouteurs & regarder par la fenêtre tout le long du trajet en autobus.

J’ai vu Hunger & c’est terriblement dur. Il y a des choses que je n’ai pas regardées parce que de toute façon il y avait les sons. & puis la déchéance d’un corps qui crève de faim, d’une faiblesse à en pleurer.

Je suis contente d’y être allée toute seule.




C'est dimanche matin & je suis réveillée très tôt par une corneille qui joue les coqs sur le bord de ma fenêtre. Je n'ai plus rien à manger &, après avoir passé presque une heure à espérer un cas de génération spontanée dans le frigo, je m'habille & je descends jusqu'à l'Intermarché. Dans les allées vides je croise la fille aux cheveux bleus que je vois toujours partout, & dans les rues je pile soigneusement sur toutes les fissures du trottoir. En revenant chez moi je mets le premier album de Wilco, du temps où ils tiraient plus sur le country que sur le folk. J'ouvre la fenêtre qui donne sur la cour intérieure & je monte le son, peut-être pour punir les voisins d'en-dessous qui se sont mis au djembé entre trois heures & quatre heures & demie la nuit dernière. (J'achève par la même occasion de massacrer le peu de bon karma qui me reste.) Je mange mes rôties en me mettant de la confiture plein les doigts.

C'est la mi-juin ; dans trois mois je serai en Russie.



mercredi 10 juin 2009





La soirée est belle mais venteuse, & moi je vais à l’opéra avec ma mère.

J’ai de jolis souvenirs de dimanches après-midis où ma mère repassait des vêtements en écoutant ses disques d’opéra & en me racontant leurs longues histoires d’amours tristes — Madame Butterfly, Nabucco, Carmen. (C’est probablement pourquoi j’ai autant le sens du mélodrame dans mes histoires à moi.) J’aime les barytons, surtout, & je me suis tellement habituée aux envolées des sopranos que je ne comprends pas comment ça pourrait être criard. Mon père s’est déjà endormi lors d’une représentation, preuve que ça ne peut pas être si agressant que ça.

Je vais pour la première fois à l’opéra, avec ma mère, à Québec, à vingt-trois ans. Je fais à moi seule baisser la moyenne d’âge des spectateurs d’une bonne vingtaine d’années. Nous allons voir deux opéras courts, Pagliacci mais avant Cavalliera rusticana, celui de Godfather III, quand Sofia Coppola meurt dans l’escalier. Nous attendons un peu dans le hall, & ma mère me parle d’autres amours tristes — Maria Callas qui s’est laissée mourir de chagrin, Onassis qui n’a jamais aimé Jacky. Tout juste avant d’entrer dans la salle, elle me dit que c’est l’année passée qu’elle a commencé à se demander ce qu’elle faisait ici. Elle me le dit avec un grand sourire, comme si elle connaissait la réponse mais qu’elle ne pouvait pas me la dire, pas tout de suite.

L’opéra c’est mélodramatique mais grandiose, & le chant des choeurs fait résonner quelque chose dans ma poitrine.




& ces jours-ci, de jolies choses :

Une voiture passe sous ma fenêtre & on y écoute à plein volume ma chanson préférée de Robert Charlebois : Lindberg, que j’ai entendue pour la première fois au Pérou. (Of all places.)

Unaï a fait du pouce jusqu’aux Îles-de-la-Madeleine (sauf la partie en bateau, s’entend) & c’est de là qu’il me téléphone, un dimanche soir, pour me dire un bonjour au R très roulé.

Je plante des fleurs devant la maison des jeunes de Saint-Sauveur ; je fais tout à peu près mais c’est quand même moi qui me ramasse avec quatre flots dans les pattes, à leur expliquer comment on doit s’y prendre. Le Végétalien me dit que c’est parce que je fais une imposteure très convaincante.

Je lis Borges en espagnol, sûrement pour contenter mon fond masochiste, & quand il pleut j’ouvre grand la fenêtre pour que l’odeur de l’eau se glisse entre les pages trop sèches.



dimanche 7 juin 2009





Trois histoires sur la côte Salaberry :


1) C’est vendredi soir & je traîne Unaï & le Végétalien à Où vas-tu quand tu dors en marchant?. Il y a des ballons de lumière qui tracent un chemin dans Saint-Roch, qui montent jusqu’au parc Lucien-Borne, & moi je les suis avec de grands yeux avides. Le Végétalien est exactement de la même grandeur que moi & Unaï nous dépasse tous deux d’une tête parce qu’il fait dans, je sais pas, quelque chose comme six pieds six ; je me sens à la fois trop grande & toute petite. J’ai enroulé mon foulard autour de mon cou & j’y enfouie mon nez chaque fois que je ne trouve rien à dire.

Nous escaladons la côte Salaberry à petits pas lents. Il pluviote encore un peu & je me retourne un moment pour regarder les lumières de la ville briller dans l’air mouillé de la nuit. Le Végétalien me voit faire & s’indigne un peu contre toute l’urbanité qui gobe les forêts ; Unaï rit & dit que c’est beau & que c’est tout, rien d’autre pour ce soir s’il-te-plaît. Ils se chamaillent sans se prendre au sérieux & moi je traîne derrière en riant toute seule, les pieds mouillés dans mes sandales.


2) C’est un autre vendredi soir & j’ai dit au Végétalien que j’irais voir la projection de Home organisée par les Ami(e)s de la Terre. La côte Salaberry s’étire devant moi & je suis en retard, je suis toujours en retard quand je ne veux pas vraiment arriver quelque part. Je viens de me résoudre à faire irruption dans la salle après le début du film lorsqu’une voiture s’arrête à côté de moi. Un gars & une fille, tout un flot de musique reggae, on t’emmène en haut de la côte?. Je me glisse sur le siège arrière encombré. J’arrive à temps, tout juste.


3) Je travaille au Centre Frédéric-Back pour l’été & je me traîne le long de Salaberry tous les matins parce que je déteste à peu près tous les escaliers qui relient la Basse à la Haute-Ville. (S’ils sont en bois je récolte de longues échardes en faisant glisser ma main sur la rampe, s’ils sont en métal j’ai toujours cette image de moi les dégringolant parce que mon pied droit, seulement le droit, n’a pas su se cramponner à la marche.) Vers neuf heures & quart, je suis à cet endroit de la côte où on commence à pouvoir regarder le quartier en bas & je vois toujours la même fille — lunettes fumées, long toupette droit qui chatouille les sourcils, tasse à café isolante. Ses talons doivent claquer contre le trottoir, mais avec le trafic je ne les entends pas.




Puisque c’est le mois du show-offage : j’ai gagné un tout petit prix littéraire & je me suis fait chicanée par Marie Gignac parce que je ne me suis pas présentée à la cérémonie de remise. C’était un peu surréaliste.



mercredi 3 juin 2009





Les choses qu'on fait sous la pluie ont une texture particulière. Écouter de la musique. Prendre l'autobus. Tout devient comme une bulle qui camoufle & berce, berce, berce.




Aujourd'hui la Madame du comptoir de réservations de la bibliothèque m'a reconnue & m'a appelée par mon prénom.

Ma vie est complète, je peux mourir en paix.




& mai 2009

Québec en mouvements : idées & pratiques militantes contemporaines, sous la direction de Francis Dupuis-Déri
Les petits chevaux de Tarquinia, Marguerite Duras
Un rien dans l'oeil, sous la direction de France Cayouette
Nouvelles d'autres mères : nouvelles, Suzanne Myre
Suite française, Irène Némirovsky
Instruments des ténèbres, Nancy Huston
Développement local, économie sociale & démocratie, sous la direction de Marielle Tremblay (Je lis ce genre de chose par plaisir, c'est presque triste.)
Comme si tout se jouait ici : poésie, Marie-Pier Deschênes
Townships : récits d'origine, William S. Messier
Bourlinguer, Blaise Cendrars
Dictionnaire des clichés littéraires, Hervé Laroche
N . P : roman, Banana Yoshimoto
Rebelle sans frontières, Marc Vachon & François Bugingo (...quel titre horrible. Vraiment.)
Le liseur, Bernhard Schlink
Fleuve russe, Myriam Cliche
Vers l'est, Mathieu Handfield
La massothérapeute, Maia Loinaz

J'ai commencé à travailler. Je devrais être capable de lire un peu moins ce mois-ci.