mardi 28 avril 2009





J'ai finalement fait ce que je menace de faire depuis que j'ai trois ans & demi, c'est-à-dire : verser le lait dans le verre & le jus de pamplemousse dans le bol de céréales.



dimanche 26 avril 2009





Parfois j’aimerais avoir des amis qui me disent des choses comme, faut que tu lises Suzanne Myre!.

(J’ai emprunté son premier recueil de nouvelles à la bibliothèque, parce que j’aime les nouvelles & que je cherche toujours des auteurs qui les aimeraient aussi, pas comme prélude au roman, pas comme petit tour de pratique avant d’entreprendre la rédaction d’un grand récit épique mais comme genre en soi, une histoire qui tient en quelques pages. D’où Suzanne Myre. Suzanne Myre que je n’avais jamais lue avant & qui a quelque chose de tellement acéré, des mots très pointus & très précis, avec un sens de l’humour tellement décapant que c’en est bouleversant. Parce que décapant dans le sens de : qui liquéfie la surface, qui met à nu, qui révèle & déchire & chavire.)

Mais c’est pas trop grave. À la place j’ai des amis qui me donnent des surnoms impossibles, invraisemblables ; j’en ai qui m’écrivent de longs messages où s’entremêlent tout un quatuor de langues étrangères. D’autres qui me font écouter du gros country sale & certains qui ont avec moi de drôles de discussions enflammées dans des autobus bondés où tous les autres passagers semblent se délecter de notre indignation un peu maladroite. J’ai des amis qui croient à l’homéopathie, ou qui n’aiment pas la bière, ou qui veulent six enfants & une vieille maison dans le bas du fleuve, rien que ça pour être vraiment heureux. J’ai des amis qui me disent des choses comme, m’en vas soûler mon karma dans l’espoir qu’il devienne alcoolique & me câlisse enfin patience, & ça c’est plus bizarrement réconfortant que n’importe quoi d’autre au monde.




Vendredi je me suis éveillée en énumérant dans ma tête tout ce que je n’aime pas dans ma vie, & pour m’effacer ces choses-là du crâne j’ai passé quinze minutes à m’ébouillanter sous la douche. J’ai fait du café, bu du jus de pamplemousse debout dans la cuisine, goûté au soleil froid qui effleurait la galerie. J’ai eu envie de ne plus jamais avoir de peine pour rien.

Plus tard je suis allée me faire couper le toupette chez la coiffeuse qui, à défaut de se souvenir de mon nom, m’appelle belle fille. (Avant je le faisais toute seule comme une grande, me couper le toupette, au-dessus de l’évier de la salle de bain avec de petits ciseaux pour enfant achetés au Cortes Inglés de Gasteiz, mais depuis que j’ai recommencé à aller chez la coiffeuse, & ce après un an & demi d’absence, j’ose pas. Elle m’a un peu menacée, en fait, & pour me convaincre elle m’a dit que ce serait gratuit, le rafraîchissement de toupette. Mais parfois je regarde mes jolis ciseaux avec une pointe de nostalgie.) En remontant Saint-Joseph je suis entrée dans une boutique de trucs usagés & j’ai passé quarante-cinq minutes à m’empoussiérer le bout des doigts en farfouillant dans les disques compacts. Maintenant j’écoute en boucle le deuxième album de Ginette, celui avec la drôle de pochette rétro, pas nécessairement parce que c’est trèstrès bon mais bien parce que ça fait trèstrès été, de la musique comme des bulles de savon, & ça rafraîchit tout ce que j’ai dans la tête.

Pour la réalité & le cynisme, anyway, j’ai Suzanne Myre.



vendredi 24 avril 2009





Ça faisait longtemps que j'avais pas eu le coeur un peu écorché. Ça a quelque chose de doux, quand même. Avec l'hiver je me sentais sèche & dure ; maintenant j'ai perdu de grands lambeaux de dignité, mais il y a du vivant en-dedans. Comme un fruit mûr, gorgé d'eau & de saveur.



mardi 21 avril 2009





Ce matin, en me rendant à la bibliothèque:
De gros pigeons dodus qui se baignent dans les flaques d'eau que j'évite maladroitement. Mes pieds flottent dans mes souliers (devenus nappes phréatiques) & les oiseaux me regardent passer sans broncher, les ailes gorgées de pluie.




Les soirs de semaine, mes voisins d'en-dessous existent exclusivement entre dix heures & minuit & demi, quand je commence à avoir envie d'aller dormir & qu'ils commencent à avoir envie de faire de la musique. Les concertos au piano, tellement rapides qu'on imaginerait presque un vieux virtuose aux cheveux fous s'acharnant sur les touches ; les longues notes lancinantes du violon, toujours tristes comme les soirées vides ; les jams de tam-tam à deux, à trois, à quatre, les percussions inventant comme de grands battements de coeur à l'immeuble. Je sais que quand j'habiterai ailleurs je repenserai à mes voisins musiciens avec quelque chose comme de la nostalgie, mais en attendant j'enfonce des bouchons dans mes oreilles & je fais la gentille, pas même de coups dans le plancher avec le manche du balais. & puis je fais de drôles de rêves.




Je suis au chômage alors j'ai déjà lu onze livres ce mois-ci. Je bute un peu sur le douzième parce que c'est Hubert Aquin & que ça ne se laisse pas lire autrement que trèstrès lentement. C'est peut-être mieux comme ça. J'ai la tête pleine de mots qui ne sont pas à moi ; au début c'est agréablement dépaysant, mais maintenant j'ai plus assez d'espace pour réfléchir comme il faut.



dimanche 19 avril 2009





Encore levée à sept heures ce matin, en même temps que la mafia de corneilles qui a repris le contrôle des toits du quartier. J'ai englouti les dernières soixante-dix pages du livre de Bob Dylan avant le déjeuner, recroquevillée près de la fenêtre du salon. J'ai hâte d'avoir l'humeur plus ensoleillée.

Mais hier il faisait presque un soleil d'été, un vrai soleil à brûler le fond des yeux, et tout le monde sur la rue Saint-Jean marchait en plissant les paupières. Nous avons acheté des shish taouk au libanais coin Sainte-Marie, les avons mangés chez F avec de l'ananas & des allongés très forts. Nous avons parlé & parlé & parlé, ri des inepties involontaires de nos connaissances facebookiennes & écouté la musique de toute notre année à Gasteiz. Vers cinq heures nous sommes ressorties ; il faisait un peu plus froid mais F avait une envie de gelato alors nous sommes entrées au Tutto, là où toutes les saveurs sont en italien & où je sais jamais si ça fait show-off de prononcer les mots comme il faut, rouler les R & chuinter les C. Nous nous sentions touristes avec nos petits contenants & nos cuillères de plastique coloré, alors nous sommes montées jusqu'à la Terrasse Dufferin, s'asseoir sur un banc en faisant semblant d'admirer Lévis. Écouter les conversations des Ontariens. Compter le nombre de drapeaux sur les tourelles du Château Frontenac. Parler jusqu'à ce que le soir tombe & que nos doigts engourdis ne se réchauffent plus au fond de nos poches.



samedi 18 avril 2009





Comme mon corps est encore à l’heure des Maritimes, je m’éveille le matin à six heures & demie, entortillée dans mes draps chauds. Souvent mes cheveux frisottent encore à contre-coeur & souvent j’ai cette migraine discrète qui demeure tapie dans ma tempe gauche, glisse le long du sinus, vient chatouiller une molaire. Mais c’est comme le reste, comme l’orgueil blessé & cette petite tristesse lancinante que je traîne : je me lève & je n’en parle pas, je fais le lit & ça s’estompe.




J’aime le National Geographic d’un amour que j’oublie souvent mais qui revient m’exploser au visage chaque fois que je glisse mes doigts sur les pages glacées d’un nouveau numéro. J’y suis tellement dévouée que j’arrive même à terminer les articles scientifiques sur des animaux toujours un peu gluants & toujours extrêmement menacés par la présence humaine (ce mois-ci : les grenouilles), qui seraient vraiment très faciles à oublier parce qu’ils sont placés en fin de numéro. En plus, le National Geographic me rend humble : je sais ce que le magazine pense de mon éducation, c’est-à-dire de mon ignorance, & je sais que la lecture d’un numéro m’offre toujours la possibilité de remettre en question mon intelligence.

Ce mois-ci, j’ai appris que Hatshepsout la pharaonne était grosse, que les citrons poussent (ou ne poussent plus) en Australie, & que Svalbard est un endroit qui existe en dehors des pages de la trilogie His Dark Materials.

Encore dans le registre des choses qui me font sentir toute petite : je lis les Chronicles de Bob Dylan, parce que je suis une groupie & parce que je suis curieuse, & c’est fascinant de voir à quel point un homme peut être doux & drôle & dur & arrogant & angoissé, toujours les yeux ouverts jusqu'à s’en donner le tournis.




Hier après-midi, mon curriculum vitae & moi-même sommes allés remplir une promesse à la journée portes ouvertes du Château Frontenac, c’est-à-dire : appliquer pour un poste de préposée aux mini-bars. (On a de l’ambition ou on n’en a pas.) Mes beaux plans d’un été à faire du dix-sept piasses de l’heure sans voir autre chose que des bouteilles de bière au prix gonflé ont cependant été contrecarrés par la Madame des ressources humaines qui m’a passée en entrevue. Après cinq minutes en ma charmante compagnie, elle a jugé que j’avais une très belle personnalité et elle a promptement recommandé ma candidature pour TOUS LES POSTES DE SERVICE À LA CLIENTÈLE.

Moi, essayant désespérément de m’en sortir : Ben, comme, tsé, pour la réception, je pensais qu’y fallait un cours?
La Madame, enthousiaste : Ah, mais on offre la formation ici! On encourage les jeunes talents!
Moi : ...formidable.

La suite la semaine prochaine, quand j’irai impressionner d’autres employeurs potentiels avec mon irrésistible charisme & mon sourire ravageur.



dimanche 12 avril 2009





En troisième année, à la petite école, Mme Roy nous apprenait la géographie du Grand Campbellton avec un enthousiasme qui francisait tout sur son passage. Elle avait dû se retenir pour la toponymie des rues (parce que même à huit ans, tous les enfants de la classe savaient que la rue Water ne serait jamais bilingue dans ses temps libres), mais elle avait le champ libre pour le reste & s'en était donnée à coeur joie. Le Sugarloaf était devenu le Pain de sucre le temps d'un après-midi & personne, personne n'avait compris que Mme Roy parlait de l'espèce de grosse colline qui flanque la ville & enjolive le bord de l'autoroute. Moi je me souviens avoir pensé que peut-être on avait baptisé une nouvelle montagne durant la nuit. Plus probablement dans les profondeurs inexplorées d'Atholville, le village voisin qui sentait toujours un peu le moulin de pâtes & papier.

En fait la géographie de Campbellton ne m'intéressait pas beaucoup, parce que je n'habitais pas Campbellton & que, contrairement aux vingt-neuf autres élèves de ma classe, je ne pouvais pas crayonner une étoile sur la carte de la ville pour indiquer l'emplacement de ma maison. Je vivais à McLoed's (que Mme Roy prononçait MacLou-èdse), qui n'était pas une ville & qui n'était pas un village, qui n'était qu'un bout de terre sans conseil municipal ni rien, sans église & sans épicerie. Nous avions, cependant, un terrain de golf & une ferme de poules, qui portait le très énigmatique nom de La Ferme X. De la grande fenêtre de ma maison, je pouvais voir ce très joli endroit où la rivière Restigouche se fond dans la Baie des Chaleurs.

Maintenant mes parents ont déménagé à Campbellton, en ville (même si ladite ville peine à dépasser les sept mille habitants), & quand je reviens j'ai l'impression de m'être trompée d'endroit. Mais cette fois-ci c'est peut-être une question de climat : il y a encore trois pieds de neige sur le sol, on en annonce trente centimètres de plus aujourd'hui & hier après-midi, avant de manger le crabe frais de la Péninsule, j'ai emprunté le sentier qui traverse l'autoroute pour aller faire de la raquette autour du mont Sugarloaf. J'étais toute seule & le soleil faisait comme de très petites étoiles sur le blanc du sol. Je me suis dit que le printemps était peut-être endormi, lové au creux d'un lit de neige.



jeudi 9 avril 2009




Finalement j’ai laissé tomber les livres de croissance personnelle au profit des Malaussène de Pennac & d’une télésérie américaine pas très avouable mais pas très compliquée non plus. J’ai déjà avalé presque toute la première saison & j’ai emprunté la deuxième à une amie qui m’a dit, t’es tombée sur le chômage? Je suis surtout tombée sur quelqu’un que je présenterai jamais à personne, mais c’est trop long à expliquer.

La télésérie parle de fantômes & de démons trop ridicules pour être effrayants, mais j’ai quand même réussi à faire trois cauchemars en deux jours, dont un où j’étais victime d’une cérémonie de cannibalisme à grand déploiement. Je me dis que, à défaut d’avoir un emploi du temps chargé, ça empêche ma vie de sombrer dans la monotonie.




je veux te parler de vivre mieux
dans le décalage des langues
où le monde bouge
depuis nos bouches d’histoire

Gérald Leblanc, Éloge du chiac

Je lis pas beaucoup de poésie parce que j’ai pas cette intelligence-là. L’intelligence contemplative des mots, qui mâchouille lentement les phrases en bouche. Moi j’engloutis comme si c’était une course ; pas assez intelligente pour ralentir avant d’avoir mal au coeur. (Sérieusement. C’est aussi pour ça que j’ai tellement de misère avec Réjean Ducharme.) Mais la quotidienneté très douce des poèmes de Gérard Leblanc, ça, je peux.




Je me disais l’autre jour : c’est extraordinaire que de vivre dans une ville. Extraordinaire & déroutant & enveloppant que d’avoir toutes ces personnes autour, que d’enjamber les chemins de leur journée sans trop s’en rendre compte. Je ne m’y habitue pas. 

jeudi 2 avril 2009





Hier j'étais très fière de moi parce que je m'apprêtais à faire une grande chose, une chose qui marquerait une étape charnière dans ma vie: réserver le seul exemplaire de War & Peace disponible dans tout le réseau des bibliothèques de Québec. Mille deux cents quelques pages de guerres napoléoniennes & d'interminables patronymes russes. En anglais parce que, depuis Anna Karenina version Oxford à douze ans (preuve numéro trente-huit que mes pauvres parents savaient plus quoi m'offrir à Noël), je suis pas capable de lire Tolstoy en français.

Cependant! La Madame de la Bibliothèque (qui s'octroit elle-même toutes les majuscules du monde) est venue contre-carrer mes plans. Elle a retrouvé des traces suspectes sur le dessus de pas un mais bien deux livres que j'ai ramenés il y pas très longtemps & elle a immédiatement a) bloqué mon compte à la bibliothèque, & b) laissé un très long message faussement gentil sur mon répondeur. J'ai pensé qu'elle serait compréhensive (ou facile à berner) & je l'ai rappelée en espérant qu'elle goberait mon histoire de je sais pas d'où viennent ces taches, je suis une bonne citoyenne qui sait respecter les livres que la bibliothèque municipale a la gracieuseté de me prêter. (En fait les deux romans sont allés s'écraser contre une poire trop mûre dans le fond de mon sac, mais vraiment c'est pas si visible que ça.)

La Madame a tout de suite employé la manière forte. Elle m'a dit, c'est vingt piasses (vingt piasses!) de frais de réparation, ou bedon on gèle ton compte à vie. Alors moi j'ai dit, ...je vous envoie un chèque?.




À qui de droit:

Hier j'ai commencé la lecture d'un livre de simili-croissance personnelle, en prévision de, parce que je crois que j'en aurai besoin si tu me ditches une autre fois. Finalement c'est pas si mal, surtout si je saute les passages sur la spiritualité & la méditation & tout ça. Parfois c'est même vraiment très drôle, quoique pas toujours volontairement.

Bref. Si tu continues comme ça, la prochaine étape, c'est The Secret. Veux-tu vraiment vivre avec ça sur la conscience? Moi, entretenant une toute nouvelle dépendance envers les manuels de psychologie populaire? Je te dis juste ça comme ça.

Cordialement,

Amélie



mercredi 1 avril 2009





Hier soir j'ai réussi à tomber sur la sécheuse la plus récalcitrante de la buanderie. En désespoir de cause, j'ai fini par étendre mes draps mouillés un peu partout sur mes meubles -- la causeuse, les chaises, le porte-manteau qui me sert de porte-foulards. Quand je me suis levée ce matin, j'ai eu l'impression de déambuler dans une de ces maisons-fantômes où l'on recouvre le mobilier pour mieux le préserver de la poussière.




À Gasteiz, deux jours avant le vrai départ, j'ai passé tout un après-midi à retirer les trucs qui ornaient les murs blancs de ma chambre à coucher. Il y avait des photos & des cartes géographiques de pratiquement tous les pueblos perdus de Guipuzkoa & des billets de cinéma à demi déchirés, des tracts indépendantistes froissés dans des poches de manteau & des bandes dessinées gribouillées à deux durant les cours de Franquismo. Je les ai tous décollés soigneusement, lentement, je les ai regardés un bon coup, j'en ai jeté la moitié. Puis je suis allée pleurer sur le lit de ma coloc.

Aujourd'hui j'ai commencé à rédiger mon rapport de fin de contrat, destiné au Ministère des Relations Internationales du Québec parce que c'est pas parce que je travaille dans le communautaire que j'ai pas de comptes à rendre, & je me sens un peu comme ça. Fragile devant toute la nostalgie qui va me tomber dessus d'ici quelques jours.




& mars 2009

The Subtle Knife, Philip Pullman
D'où vient l'accent des Québécois? & celui des Parisiens?: essai sur l'origine des accents, Jean-Denis Gendron
Révolte consommée: le mythe de la contre-culture, Joseph Heath & Andrew Potter
Zazie dans le métro, Raymond Queneau
Jimmy, Jacques Poulin
A Long Way Down, Nick Hornby
Trainspotting, Irvine Welsh
La reine dans le palais des courants d'air, Stieg Larsson
La peau des doigts, Katia Belkhodja
Petites histoires avec un chat dedans (sauf une): nouvelles, Véronique Papineau
Tears of the Giraffe, Alexander McCall Smith