lundi 12 septembre 2011




& ce matin c'est l'heure du tag des boules à mites de Clarence, où il faut ressortir un vieux texte à prétention littéraire et le recopier avec un minimum d'explications contextuelles, pour le plus grand plaisir de tous et toutes.

& évidemment je vais tricher, & donner des explications contextuelles.

J'avais seize ans, c'était l'été 2002, & je passais mes journées à travailler dans un driving range de golf (je suis pas certaine de la traduction -- un terrain de pratique? un champ où taper des balles?). C'était dans le fin fond de McLeods, c'est-à-dire dans le fin fond du Nord du Nouveau-Brunswick, c'est-à-dire l'endroit où j'ai passé quinze ans de ma vie, c'est-à-dire un bout de territoire même pas assez densément peuplé pour obtenir le statut de village, alors j'avais à peu près quatre clients par jour & une petite télé en noir & blanc où je me souviens avoir suivi avec attention la Coupe du monde de soccer (tsé, l'année où la Corée du Sud a surpris tout le monde?) même si j'ai jamais aimé le soccer. Après avoir lu quarante-cinq livres en deux mois & demi, j'ai commencé une espèce de roman, que j'écrivais à l'encre violette (très importante, l'encre violette) sur des feuilles mobiles pour ensuite tout recopier très lentement à l'ordinateur durant mes jours de congé. J'ai réussi à étirer ça sur soixante-deux pages avant de l'abandonner à la mi-septembre. C'est en général très très ennuyant (je pense que je comprenais pas encore tout à fait le principe de l'intrigue) & pas mal abusivement mélodramatique, comme ici :

Peu importe la cause réelle de son état, ce n’est pas la première fois qu’elle exige mon support moral. Ma mère a un tempérament artistique, après tout, et elle lutte contre la mélancolie, les frivolités, les excès. C’est connu: une fois l’an, elle déprime, elle sombre jusqu’au fond de l’abîme et elle refuse de remonter. Si je suis chanceuse, ça se passe durant l’hiver, tandis que les premières neiges de décembre m’aveuglent et m’engloutissent au fond de ma semi-campagne. Malheureusement, à tous les deux ou trois étés, elle se décide au mois de juin et s’empresse ensuite de m’entraîner au fond du trou noir qui lui sert de repaire. Subitement, nous sommes deux à nous débattre contre les pluies torrentielles de l’angoisse et du désespoir, et ma mère s’arrange habituellement pour se recroqueviller sous le seul parapluie que nous possédons.

Avec les années, j’ai appris à m’éloigner, comme on évite le noyé pris de panique qui agrippe tout ce qui passe. Ce n’est pas la plus belle des images illustrant l’amour qui unit une fille à sa mère, mais c’est celle que les chagrins de la mienne m’inspirent. Si j’ai le malheur de m’approcher, de caresser sa joue du bout des doigts ou de lui murmurer quelques paroles de réconfort, je sais qu’elle m’enlèvera tout ce qui m’empêche de m’effondrer, tout simplement parce qu’elle ne peut pas faire autrement. Ce n’est pas qu’elle veule m’étouffer, non; c’est seulement qu’elle n’a pas assez d’énergie pour penser aux autres. Et quand on sait combien elle s’intéresse à ma vie et à mes rêves en temps normal, c’est facile d’imaginer à quel point elle devient égoïste lorsque sa vision s’assombrit. Malgré tous ses défauts, j’aime bien ma mère, mais c’est impossible d’aider quelqu’un qui veut vous écraser. Il n’y a qu’une fragilité apparente, dans ces cas-là, et aucune considération pour le sauveteur.

On voit que j'avais une belle appréciation des figures de style.


lundi 5 septembre 2011




Ce matin je faisais du ménage & j'ai eu comme une illumination. C'est pas quelque chose qui m'arrive souvent -- avoir une illumination, & puis faire du ménage. Dans le sens de : faire du ménage, je le fais pas assez souvent, je pense que personne le fait assez souvent, mais en entrant dans un nouvel appartement j'ai toujours les meilleures des meilleures intentions du monde, avec la plus longue liste possible de choses saines & bonnes & vraies à implanter immédiatement dans mon quotidien, alors c'est ça, une semaine que je suis ici & je fais déjà du ménage, du vrai de vrai ménage, le haut des fenêtres & l'aspirateur entre les lattes de bois du plancher & le spray le plus incroyablement chimique de la planète pour désencrasser le four & le balais jusque dans le fin fond du garde-robe de l'entrée. Aussi dans le sens de : c'est la première fois que j'ai une illumination en faisant du ménage. (Je crois pas que le ménage soit habituellement propice aux illuminations? Mais faudrait creuser le sujet.) C'est peut-être aussi une des premières fois où j'ai une illumination (commencez-vous à être tannés de ce mot? parce que moi oui), parce que dans la vie je fais les choses petit à petit, & les pense petit à petit, & arrive à de grandes décisions après les avoir mûries durant à peu près trois mois & demi. Donc pas beaucoup de spontanéité, c'est triste mais faut le dire, & pas d'illuminations non plus.

Bref. Ce qui est arrivé ce matin, c'est que je faisais du ménage après avoir passé deux heures à me dire que je devrais commencer, & une demi-heure à construire soigneusement une playlist propice au ménage (l'adverbe que j'aimerais utiliser ici c'est painstakingly, dans le sens de lentement & avec juste assez de concentration pour que ça commence à donner un peu mal à la tête, mais j'arrive pas à trouver une traduction qui dise exactement toutes ces choses-là), & je me suis rendu compte qu'en général je faisais pas assez souvent le ménage parce que je sais que si je commence je vais y être plongée au moins une demi-journée, parce que je veux toujours que ce soit le ménage qui surpasse tous les autres ménages, qu'après mon passage les planchers brillent à en écorcher les yeux, que l'appartement au complet embaume le propre & l'aéré & le sain & le douillet & que je puisse m'asseoir deux minutes sur une chaise & me dire ça y est, c'est fait, tout est juste parfait. & je me suis aperçue que (voici l'illumination qui arrive, on l'attendait depuis un paragraphe & demi) je vois l'écriture un peu comme ça, beaucoup comme ça, même ici où c'est supposé être informel & toujours au moins un peu broche à foin, & j'écris pas assez souvent parce que quand j'écris je voudrais dire tout ce que j'ai à dire en même temps, en même temps mais subtilement, doucement, de la façon la plus agréablement détournée mais la plus claire possible, je voudrais dire tout ce que j'ai à dire exactement & comme, je sais pas, incomparablement -- je voudrais dire les choses de façon précise & belle & parfaite tout en sachant que c'est impossible, alors je me retrouve avec comme une montagne de choses sur lesquelles je voudrais écrire & sur lesquelles j'écris jamais, parce que c'est compliqué & que j'arrive pas à les formuler comme je voudrais.

Comme : il y a quelques semaines ma petite soeur a revu une fille avec qui je suis allée à l'école, & la fille lui a dit de me dire qu'elle me félicitait pour le livre, & aussi qu'elle avait toujours été certaine que moi je ferais des grandes choses dans la vie, & ça m'a fâché parce c'est une fille qui m'a rendu la vie misérable à treize ans & demi & que j'aurais mieux aimé avoir une once de sympathie de sa part à cet âge-là que des esties de j'ai toujours su que enthousiastes maintenant.

Comme : parce qu'à la petite école & après à la polyvalente j'ai toujours toujours toujours eu de très bonnes notes, j'ai passé une très grande partie de ma vie à entendre tout le monde rassurer les autres que l'école c'était pas la vraie vie & que eux seraient bons dans la vraie vie & que c'est ce qui comptait, la vraie de vraie vie & les talents qui s'apprennent pas à l'école, & c'est pas dramatique mais j'ai quand même essayé jusqu'à quatorze ou quinze ans d'être moi aussi bonne dans la vraie vie, peu importe ce que ça peut vouloir dire, être débrouillarde & pleine à ras bord de gros bons sens & avoir des projets d'avenir concrets & pas une once d'imagination (mon dieu, un peu plus & c'est la plateforme politique de l'ADQ), & j'ai eu pendant trois ans un prof de physique horrible qui imposait des exercices de laboratoire que personne pouvait compléter juste pour avoir la satisfaction de me voir rater quelque chose, & ça me rend triste de pas avoir réalisé plus tôt que ce que j'étais c'était assez, ç'a toujours été assez, & que c'est pas grave si je serai jamais capable de faire des travaux de rénovation d'envergure, ou sauver des vies, ou identifier toutes les forces qui entrent en jeu dans le plan incliné le plus stupidement conçu du monde.

Comme : tout le monde a des histoires d'adolescence crève-coeur parce que l'adolescence c'est crève-coeur, mais. Ça rend pas les choses moins laides quand j'y repense.

Comme : ça devient déprimant & c'est pas là où je voulais aller, mais pour une fois je vais laisser les choses où elles sont & juste ajouter que je sais pas trop ce que je fais ici, je sais pas trop à quoi sert cet espace-ci, mais j'ai envie que ce soit pas seulement doux ou joli ou serein ou douillet, j'ai envie que parfois ce soit pour moi, pour les choses que j'ai envie de dire, même mal, parce que sinon à quoi ça sert? & parce que ces temps-ci j'ai envie d'honnêteté, partout, dans la fiction & dans les gens que je rencontre, & la moindre des choses ce serait quand même de m'y mettre un peu moi aussi, je pense.



dimanche 4 septembre 2011




Il y a deux choses qui se rencontrent dans la cour intérieure bétonnée de mon nouvel immeuble, mais certainement pas beaucoup de soleil & pas beaucoup plus de gens : ce qu'il y a c'est de la musique, plutôt (en ce moment : le gars d'à côté qui fait des vocalises au piano, The Decemberists qui coulent du deuxième étage, & comme un fond de quelque chose qui ressemble à du Annie Villeneuve & qui vient de, je sais pas, cet endroit où vont agoniser les mauvaises power ballads avant de sortir de la mémoire collective), la musique, donc, & la dizaine de vélos qui s'entortillent dans le rack trop petit & s'accrochent aux poutres de l'escalier. Moi j'espionne la seule fille qui utilise le sien tous les jours & je lis du Asimov pour la première fois de ma vie & je laisse les fenêtres ouvertes même quand il pleut & je pense m'acheter un ukulélé pour accompagner le voisin dans ses gammes & je suis contente d'être ici, même toute seule, même sans toi, parce que c'est ça l'automne, le début & la mort de plein de choses en même temps.