mercredi 23 décembre 2009





Peut-être qu'on n'habite pleinement que les endroits où il y a des gens pour nous aimer.

Peut-être que c'est pour ça que voyager c'est si beau mais si froid, parfois, des villes & des villages & des paysages & des arbres aux branches démesurément grandes, démesurément & désespérément tendues vers le ciel, les feuilles pourries de l'automne coincées sous la neige & du givre comme de la dentelle sur le béton des édifices -- toutes ces choses que l'on regarde comme si elles étaient bien à l'abri sous une cloche de verre.

Peut-être que j'ai un petit peu froid, ces temps-ci.




C'est Noël vendredi mais pas ici, ici Noël c'est le 7 janvier & de toute façon ce qui compte c'est le Nouvel An, les cadeaux & le sapin & toute la pénible logistique des partys de famille, tout ça c'est durant la nuit du trente & un janvier. Mais pour moi Noël c'est vendredi & vendredi je travaille parce qu'ici ce n'est qu'une autre journée trop courte de décembre. & moi vendredi j'aurais envie d'être en vacances, de vraies de vraies vacances, toute une journée à lire War & Peace près de la fenêtre, lire lentement & tourner la tête juste un peu, de temps à autre, juste assez pour voir la neige tomber.

J'aurais envie du café très fort de ma mère, celui qui est presque sirupeux contre les parois de la tasse, celui que mon père est incapable de boire ; j'aurais envie de jeux de société avec ma petite famille, n'importe quoi sauf Scrabble parce qu'il y a personne au monde qui soit pire que moi au Scrabble, le chien recroquevillé en virgule sous la table & mes orteils nus qui frôlent son petit corps chaud. J'aurais envie de faire des biscuits avec ma mère, de la farine jusque sous les ongles, le glaçage récalcitrant qui colle partout sauf là où il devrait, le comptoir le tablier le bout de mes cheveux trop longs. J'aurais envie de vieux films mal doublés à la télé, de longues journées en pyjama avec ma soeurette, de fondue au chocolat le jour de Noël, de mon grand-père qui bénit en pleurant les soixante-dix-huit membres de la famille étendue, ma grand-mère qui le console Rémi, ben voyons Rémi, de mes deux autres grand-parents tout frêles dans leur appartement, leur table qui croule sous les bonnes choses, Nanny qui ressert tout le monde de force avec des shush now, don't want to hear you refuse me anything, me being such an old lady now, turkey sweetheart? pendant que mon grand-père enjolive avec enthousiasme ce qu'il a lu dans la Gazette du matin. J'aurais envie, peut-être surtout parce que je suis loin, j'aurais envie de toutes mes tantes & de tous mes oncles & tous les cousins cousines petits&petites-cousins-cousines, toute une grande tribu bruyante à laquelle j'ai pas toujours l'impression d'appartenir mais que je connais & que j'aime & avec qui rien à faire, je serai toujours très jeune jusqu'à ce que je sois soudainement plus vieille que tout le monde.

& j'aurais envie de chaleur, de vraie chaleur douillette, tellement réconfortante qu'elle en alourdit la tête, & j'aurais envie de nuits toute nue dans le lit de Juillet, & j'aurais envie de nous enfouir sous les couvertures comme sous une tente, comme dans la meilleure des cachettes, comme quand j'étais petite & craintive, & j'aurais envie de lui parler doucement, tranquillement, de toutes les choses sur lesquelles je peine tellement à mettre des mots.




Kyoto est repartie chez elle pour Noël & il reste Porcelaine & moi, fidèles au poste, le nez pressé contre la vitre dès que le soleil se pointe chaque matin. Le coeur grand ouvert, mal emmitouflé, qui prend froid trop souvent. Mais qui bat & qui bat & qui bat dans ma poitrine, fort & fier & follement amoureux de la vie, je pense.



dimanche 6 décembre 2009





J'aurais tout plein de choses à dire, parce que je suis allée en Lettonie & que j'ai eu vingt-quatre ans (vingt-quatre!) & que je me suis fâchée contre Juillet juste assez longtemps pour acheter une bouteille de vodka cheapette à partager avec Porcelaine, à boire à même le goulot parce que ça fait plus sérieux comme ça, on noie pas ses peines correctement dans une coupe à champagne cibole! que Porcelaine rajoutait, & que le lendemain il m'a écrit j'espère que t'as pas trop bu hier soir parce que là tu vas être malade, t'es trop loin pour être malade, je m'excuse, j'aurais dû m'excuser avant parce que là je sais que tu dois être malade & que moi j'ai été prostrée dans mon lit toute la journée, malade malade malade mais quand même passablement heureuse, & que War & Peace c'est l'événement littéraire de ma vie, magnifique, grandiose, des milliers de roulements de tambours qui s'échappent des pages, & que les premiers épisodes de Twin Peaks blottie dans le même lit que Kyoto, & que de la crème glacée en cadeau, & que le sable doux du golfe de Lettonie, & que les mots russes échangés très vite, & que. Mais ce que j'ai envie de dire, c'est : je suis riche, je suis plus riche que prévu, ma carrière d'enseignante en Russie est assez spectaculairement lucrative & j'avais pas du tout envisagé la possibilité que peut-être j'aurais un jour autant d'argent. Alors le 10 janvier je prends l'avion pour Québec. & je prends tout un mois de congé. & à mon retour à Moscou j'aurai déjà tout plein d'étudiants qui m'attendront, & ma patronne m'a déjà fait signer les contrats & tout & tout, & c'est la Russie alors c'est vrai que tout peut toujours changer, mais. Mais maintenant il y a une petite neige légère qui flotte sur le sol, & le ciel gris est presque bleu si on regarde très vite, & moi, moi moi moi j'ai le coeur heureux à en éclater.




& novembre 2009

The Death of Ivan Ilyich & Other Stories, Leo Tolstoy
Théâtre complet I : Ce fou de Platonov, Ivanov, La Mouette, Les Trois Soeurs, Anton Tchekhov
Amandes & melon, Madeleine Monette
La nouvelle poésie russe : anthologie, poèmes présentés par Evgueni Bounimovitch
Nouvelles de Pétersbourg, Nikolaï Gogol
L'Hiver au coeur : novella, André Major
A Hero of Our Time, Mikhail Lermontov
Kamouraska, Anne Hébert




Cet été, du temps où j'habitais encore mon petit appartement dans St-Roch, j'ai essayé de faire écouter du Robert Charlebois à Unaï. Unaï qui aime la musique traditionnelle, presque exclusivement, surtout celle qui vient d'Irlande, des reels interminablement répétitifs, & qui joue de la flûte celtique, & qui, de tous mes disques alors soigneusement rangés en ordre alphabétique, aimait juste, juste un peu mais pas trop, Bette & Wallet.

Alors Robert Charlebois, pour Unaï. Une soirée de fin juin, de trèstrès fin juin, des boîtes partout autour de nous parce que je déménageais le trente. Il y avait ses cheveux qui bouclaient sous mes doigts, sa tête sur mes cuisses, ses longues jambes accrochées en virgule au bout du sofa. Puis il y a eu la chanson que j'aime pas vraiment, celle qui dit mais l'amour infiniiiii me montera dans l'âme, celle qui m'a fait rire d'un petit rire méprisant, l'amour infini, qui est-ce qui parle encore d'amour infini? & Unaï qui a ouvert les yeux, a réfléchi un bon moment, puis: tu vas toujours aimer. Silence. C'est pour ça que l'amour infini. A refermé les yeux. Comme ça.

J'y ai repensé aujourd'hui. À l'amour, aux gens qu'on aime, aux grands élans de tendresse & de douceur & de joie qui chatouille l'intérieur des joues. Je sais pas si ça dure toujours, ces choses-là ; je sais pas si c'est ce qu'il y a de plus important. Le toujours est flou, le maintenant l'est pas du tout. & moi je sais que je vais passer ma vie à aimer tout le monde tout croche, mais du mieux que je peux. Pas préoccupée par la durée, je crois. Juste par -- tout le reste.



dimanche 22 novembre 2009





Quand je suis assise près de la fenêtre ouverte, ouverte juste un peu parce que l'hiver ne fait encore que frôler Moscou, quand dans le fauteuil couleur gruau je replie sous moi mes jambes, quand j'enfouis mon nez dans la bonne odeur riche des pages d'un vieux livre, quand je ressasse des mots en regardant distraitement l'arbre qui frissonne près de la fenêtre -- souvent ça me prend, comme ça, souvent il y a un grand quelque chose qui m'inonde la poitrine, & je me dis : c'est tellement doux d'avoir quelqu'un à aimer.




Parce que je désespère pas encore tout à fait d'être un jour La Fille Qui Court Le Matin (malgré mes tendons d'Achille trop courts), je me lève tôt pour aller courir dans les escaliers de secours surchauffés de l'édifice où j'habite. Il y a douze étages mais les escaliers n'en couvrent que dix, & moi je les dévale à toute vitesse pour ensuite les remonter péniblement, gravir chacune des marches avec les mauvais souliers que j'ai traînés dans mes bagages. Ils peuvent presque passer pour des espadrilles, ces souliers, la forme vaguement aérodynamique & les semelles juste assez épaisses, mais en fait c'est ceux que je portais du temps où je travaillais à la boulangerie & les talons en sont encore blanchis de farine incrustée. (Donc capacité anti-dérapante : zéro.) Souvent j'écoute The National Parcs & toujours ça me ramène à cet été, au petit contrat de trois mois & demi, cinq dans une Communauto & toutes les vitres baissées, la musique trop forte & Juillet qui conduit d'une main, en regardant beaucoup trop souvent dans le rétroviseur. Mais moi je m'en apercevrai seulement au mois d'août.




En ce moment je me traîne dans Kamouraska, je me sentais mal de jamais avoir lu Anne Hébert ; au début j'étais pas certaine mais je m'habitue petit à petit, j'y vais très lentement pour ne pas briser le rythme des phrases. Pour l'instant c'est comme une nébuleuse d'images, je sais pas, des taches de couleur qui se fondent les unes dans les autres, les mots quelque part en dessous, le récit un peu entre les deux. Les pages sont juste assez rugueuses sous mes doigts.

Mais la semaine prochaine je commence War & Peace, finalement, miraculeusement, après presque des années & des années à attendre le bon moment la bonne édition la bonne traduction, ce sera extraordinaire & je dessinerai une étoile sur mon calendrier. (J'en dessinerai vraiment une.) Tolstoï, mon amour, viens m'entretenir du détail des guerres napoléoniennes & de toute l'ampleur des vicissitudes de la petite aristocratie russe! Des centaines & des centaines de pages, des milliers & des milliers de petits caractères, toi & moi on va s'aimer au moins jusqu'à Noël.



jeudi 12 novembre 2009


Bientôt visitée par une de ces bouffées de bonheur qu'elle accueillait avec stupéfaction depuis des mois, elle aurait laissé dériver son attention de la scène haute & dépouillée au dos plein de ce compagnon que, dans un fragile éblouissement, une brève montée de chaleur, elle aurait eu la certitude presque intolérable d'aimer.
- Madeleine Monette, Amandes & melon

Amandes & melon c'est lourd & c'est long & c'est touffu, je pensais pas m'attaquer à un roman où il y a une telle surdose d'introspection, un tel foisonnement d'idées & de remises en question, où l'histoire est à ce point centrée sur la façon que chacun, que chaque personnage a de ne pas être tout à fait heureux -- mais de temps à autre, une phrase très longue qui veut tout dire. & ça valait la peine, peut-être, juste pour ça.




À Kazan j'ai eu un drôle d'accès de déprime, le dimanche après-midi. Peut-être parce qu'il n'avait pas fait soleil depuis vendredi matin. Alors je suis allée prendre un горячйи шоколад (gariatchi chakalad -- la traduction exacte ce serait chocolat chaud, mais en fait c'est une masse de chocolat fondu servie dans une tasse & dégustée à la petite cuillière) dans un café où la serveuse avait décidé de faire jouer la discographie complète de Phil Collins. & tout de suite, dès le premier contact hésitant entre mes lèvres gercées & le métal chaud de la cuillère, je me suis sentie mieux. & je me suis dit qu'une vie heureuse, c'en est sûrement une où toutes les tristesses peuvent être consolées par un dosage approprié de chocolat.

(...mais les bienfaits thérapeutiques de Phil, dans mon cas, restent encore à prouver.)

Ce matin je me suis éveillée en faisant ce que ma grand-mère aurait approuvé, count your blessings & be content, & j'ai énuméré : tout un nouveau groupe d'étudiants, à cause d'une enseignante d'anglais partie en congé de maternité. Du beurre d'arachides biologique! reçu par la poste hier & que je dévore depuis, partout, n'importe comment, avec du pain frais, sur une banane, à même le pot, les doigts poisseux parce que je manque de couteaux. Le petit vent chaud des derniers jours, qui balaie presque la pollution qui traîne sur Moscou. Igor la plante qui s'acccroche à la vie malgré mon absence assez flagrante de pouce vert. Les plus jolies mitaines du monde, pas encore étrennées mais ça viendra, ça viendra. Des colis que je ficelle, des cartes postales sur lesquelles je gribouille des dessins. De grands grands grands projets. De petits bonheurs tout doux. L'envie de voyager mais aussi celle de rester, juste encore un peu, juste assez pour construire de nouvelles habitudes que je briserai joyeusement, fébrilement, avec dans la gorge l'excitation angoissée des gares & des aéroports.

La seule façon que la vie pourrait être plus jolie, je crois, c'est si Juillet était ici avec moi.

(Surtout que c'est sa fête, aujourd'hui.)



mardi 10 novembre 2009





Entrer dans le wagon de troisième classe d'un train de nuit russe, c'est se glisser dans un monde parallèle, un tout petit univers qui existe en vase clos depuis très longtemps, peut-être depuis toujours. Aussi l'impression de s'enfouir dans un sous-marin: un wagon-dortoir où l'espace est divisé comprimé réquisitionné, des lits superposés qui encombrent les murs, des corridors étroits & une proximité forcée, aussi immédiate qu'une odeur trop forte. Mais les Russes ne s'en font pas vraiment avec l'espace vital -- c'est toujours très abstrait & pas tout à fait nécessaire, comme si même dans le plus grand pays du monde ils avaient été habitués à s'empiler les uns sur les autres. Ils se pressent avec leurs bagages sur ces longs bancs durs qui deviendront des couchettes, épaules contre épaules, sacs de provisions en équilibre précaire sur les cuisses, manteaux épais qui, accrochés aux murs, bloquent déjà la moitié du corridor. Ils sont là une demie-heure avant le départ & moi je suis surprise, lorsque j'entre dans le wagon cinq petites minutes avant l'heure, de tomber sur tous ces visage déjà à moitié endormis.

Quand le train démarre il y a une grande lumière crue qui envahit le wagon, les néons qui au plafond s'allument, & tout ce qu'il y avait d'amorphe est balayé, meurt aveuglé sur le plancher sale. Les hommes décapsulent une bière, deux bières, trois bières; les madames réquisitionnent l'aide de leurs voisines pour enfiler leur pyjama derrière un drap maintenu à la verticale; les bébés gigotent & rient & baillent & puis se mettent à pleurer, subitement, comme si toute la tristesse du monde s'échappait des banlieues de Moscou, que le train traverse à vitesse réduite, pour se glisser sous leur petite langue rose. Au fond du wagon il y a un énorme samovar de métal, un dinosaure qui suinte de partout & devant lequel les gens font la queue, pour le dernier thé du soir. Le contrôleur essaie tant bien que mal de faire ce qu'il doit faire, contrôler les billets, mais tout le monde bouge tellement que c'est difficile de savoir qui devrait être où. & puis de toute façon les passagers ont déjà commencé à dérouler les matelas sur les petits lits durs, à étendre les draps, à déplacer les bagages dont on ne sait plus quoi faire, à se contorsionner pour laisser passer ceux qui se dirigent vers le samovar; les gens retirent leurs bottes, souvent une partie de leurs vêtements, les hommes calent leur reste de bière & les madames s'étendent sans s'être démaquillées. Ceux qui dorment sur les couchettes du haut y grimpent avec une agilité surprenante, de vrais de vrais mouvements de gymnastes, à croire qu'ils les ont tous appris à la petite école. Entre les tables de multiplication & les rudiments de la langue anglaise, peut-être.

Quand je m'allonge sur mon lit les néons sont toujours allumés & ça me fait drôle de voir les gens comme ça, dans ce moment tout juste avant le sommeil, sous une lumière aussi impudique. Puis tout s'éteint & je m'endors dans la pénombre, avec dans les oreilles la conversation mi-murmurée mi-marmonnée de deux babouchkas qui babillent joyeusement en terminant leur thé.

Lorsque je m'éveille il y a par la fenêtre un paysage mouillé parsemé de bouleaux, toujours ces très grands bouleaux un peu meurtris qui bordent les chemins de fer. Les bruits réguliers du wagon qui avale les rails me rappellent le poème de Blaise Cendrars, le train retombe toujours sur toutes ses roues; je me souviens de la première fois où j'ai lu ce poème, il y a presque six ans, de la première vraie fois où j'ai eu envie d'aller en Russie. & je me dis, la tête encore embrumée de sommeil: woah. J'y suis.




Je suis revenue de Kazan pour me rendre compte que les parents de Kyoto, de passage à Moscou la semaine dernière, ont laissé derrière eux douze boîtes de chocolat belge.

Aujourd'hui, dans la plus belle des coïncidences du monde entier, je me suis aperçue que j'ai (très inexplicablement) perdu six livres depuis mon arrivée ici.

Je crois que la vie essaie de me dire quelque chose. (Mis à part, bien sûr, qu'elle est trèstrès jolie.)



mardi 3 novembre 2009





Quand il fait gris trop longtemps, que partout ça coule du ciel pour éclabousser les édifices & les manteaux & les visages, quand dans le métro c'est l'heure de pointe dès quinze heures trente-trois minutes, un escalier roulant sur deux bouché par une babouchka & son cabas à roulettes qui s'accroche dans toutes les dénivellations de terrain, toutes sans exception, quand même Tolstoï fait son vieux grincheux misogyne qui ne voit pour le futur de l'humanité que désespoir & désolation -- il faut sûrement se secouer un peu. Passer à Tchékhov, de un. Dessiner pour les voisines de petites bandes dessinées où tous les personnages ont de jolies pommettes rondes. Entrer dans une boulangerie pour renifler la bonne odeur du pain frais. Écouter une chanson de Beau Dommage, une seule, & se dire que c'est quand même joli, un garçon qui rêve de femmes & de météores. Boire une tisane à la menthe. Relire tous les courriels de Juillet pour s'en faire une couverture de mots, chaude même dans l'hiver qui approche.

...& puis acheter un billet de train pour Kazan. Parce que la perspective de onze heures & demie passées sur les bancs durs du wagon de troisième classe, je sais pas pourquoi, je pourrais pas l'expliquer mais c'est comme ça, moi ça me revigore.

(Secret: c'est parce que peu importe où je suis, j'ai toujours au moins un peu envie de partir.)



dimanche 1 novembre 2009






C'est un matin où tout le monde dort encore, dort interminablement, & moi je me lève sur la pointe des pieds. Les orteils nus sur le plancher de bois qui craque, qui s'éveille en même temps que moi. Sortir mes doigts par la fenêtre pour toucher un peu l'air du dehors, avoir le soleil pour moi toute seule. Murmurer une comptine pour Igor la plante & avoir tout d'un coup des milliers de mots comme des bulles de lumière sous la langue ; ouvrir un nouveau carnet, faire glisser la paume d'une main contre les pages encore très douces. Gribouiller n'importe quoi, pourvu que ça fasse une drôle de chaleur là, juste sous les côtes.

& novembre ça roule moins bien dans la bouche qu'octobre, mais jusqu'ici le ciel est beaucoup plus bleu.




& octobre 2009

Le jour des fourmis, Bernard Werber
Ce qu'il en reste, Julie Hivon
The Spellman Files, Lisa Lutz
La révolution des fourmis, Bernard Werber
Chambre avec baignoire, Hélène Rioux




Hélène Rioux dit que la tristesse slave est tellement plus triste que tout ce qui est triste au monde qu'on dirait que ça finit par te consoler, alors moi je lis Tolstoï, une histoire de mariage d'amour qui s'englue peu à peu dans l'incompréhension & l'indifférence. & je suis pas certaine que ça me consolerait s'il y avait dans ma vie quelque chose à consoler, mais quand même --


"Would you believe it, when I hear the bell ring, when I receive a letter, when I simply wake up, I'm in terror -- terror at having to go on with life, at some change coming in it ; for better than the present there can never be?"


& parfois moi aussi, Sergueï Mikhaïlovitch, moi aussi. Mais pas aujourd'hui.



vendredi 30 octobre 2009


C'est vendredi après-midi & il neige un peu, pas beaucoup, juste assez.

C'est vendredi après-midi & je ne travaille pas, alors je passe de longs moments à recopier les conjugaisons de verbes irréguliers russes dans un cahier quadrillé. J'ai acheté le stylo que j'utilise dans un kiosque en bordure de Tverskaïa, il fait des pâtés à tous les deux mots. Je forme encore un peu maladroitement les lettres de l'alphabet cyrillique, surtout parce que j'ai décidé de tout écrire en lettres attachées & que moi même en français, même avec l'alphabet latin, j'ai toujours eu l'écriture cursive récalcitrante, je m'applique mais mes doigts ne suivent pas, on dirait un garçon de huit ans & demi. Aussi parce que j'ai jamais été capable d'écrire sur les lignes. Je préfère faire semblant qu'elles n'existent pas & écrire n'importe où, entre les lignes, sur les lignes, dans les marges. Pas par esprit de contradiction; juste pour ne pas que mes mots étouffent.

C'est vendredi après-midi & il neige un peu, & il fait un peu gris, & je suis un peu triste. D'une tristesse rassurante de surface, une petite mélancolie pour jeunes filles de bonne famille. Je m'enroule dans un grand chandail de laine & je rabats le capuchon sur ma tête, sur mes cheveux mouillés qui sèchent en longs frisottis. Je fais comme si j'avais froid.

C'est vendredi après-midi & je m'ennuie de tous les gens que je ne reverrai plus jamais.




Avant de partir pour Moscou, j'ai acheté deux livres usagés -- Ce qu'il en reste, de Julie Hivon, & Putain. (Que j'ai terminé une journée avant la mort de Nelly Arcan. Alors je crois que je serai jamais capable de dire si j'ai aimé ou non.) Il y a Baloi qui m'a donnée un livre de détectives, parce qu'elle sait que j'aime beaucoup les histoires de détectives. & Juillet m'a prêtée la Trilogie des Fourmis parce que, bless his heart, c'est son livre préféré. & c'est le dernier que j'ai terminé, cette semaine, il y a quelque jours.

& j'ai rien contre Bernard Werber, rien du tout, mais après presque un mois passé dans les pages de ses histoires de fourmis & d'enquêtes boiteuses & de petites révolutions, après avoir coulé tout plein de temps à lire un peu comme on regarde un téléroman à l'intrigue convenue, la tête qui se laisse emberlificoter par d'autres pensées mais c'est pas trop grave, on finit toujours par revenir, on finit toujours par comprendre -- après tout un mois comme ça, je crois que j'avais oublié qu'il y a dans certains livres des mots puissants, des mots qui bercent & qui apaisent & qui attisent. Qu'il y a dans certains livres une chose qui fait un peu prétentieux, une chose que je ne saurai jamais décrire tout à fait, qu'il y a, au détour d'une phrase qui perce le coeur comme on crève une bulle de savon, qu'il y a la littérature.

J'ai emprunté Chambre avec baignoire au centre où j'enseigne le français. D'Hélène Rioux j'avais seulement lu Mercredi soir au bout du monde, que j'avais aimé mais pas adoré, mais dans ce roman d'elle il y a quelque chose, quelque chose qui tombe juste à point. Elle a des descriptions incroyables, des phrases qui ne finissent pas, des mots serrés qui regorgent de détails, qui envahissent toutes les marges -- mais aussi autre chose. Une histoire pas très joyeuse qui deviendra sûrement très triste d'ici peu, on le sent venir. Une atmosphère lourde de petites angoisses accumulées. Mais une façon si riche de se perdre dans le quotidien, un humour si subtil & si amer, si délicat aussi, que ça me fait du bien. Pour aucune autre raison que parce que c'est bien écrit, ça me fait du bien. & c'est une chose que j'avais oubliée.


J'avais dit que son sourire, c'était quelque chose de très précieux, ça se voyait tout de suite qu'il ne le gaspillait pas. J'en connaissais qui l'avaient toujours fendu jusqu'aux oreilles, & ça me tuait. Le sourire dentifrice, aseptisé, aromatisé à la menthe poivrée ou à la gomme balloune, le sourire relations publiques, relation d'aide, relation de couple. Plein de bonnes intentions, pavé comme l'enfer, insupportable.


C'est fou comme j'avais oublié.




Ce que j'aime de la langue russe, exemple numéro cent trente-deux:

Des bonbons ça se dit конфеты, kanfiéti, & prononcé un peu mal & un peu trop vite on dirait presque confettis.



jeudi 29 octobre 2009





Il y a deux semaines, j'ai vécu l'expérience la plus stressante de toute ma vie, c'est-à-dire : acheter un billet de train dans une gare moscovite.

Quarante-cinq minutes d'attente dans une file mouvante & changeante où les gens laissent passer ou dépassent leurs voisins en suivant les règles d'une mystérieuse logique russe. Une fois arrivé devant la préposée au visage renfrogné & aux syllabes mâchouillées, lui parler le plus fort possible à travers une vitre munie d'une seule toute petite ouverture, dont la fonction première n'est pas tant de faciliter la conversation que de mieux faire circuler les billets de roubles. Se contorsionner pour s'assurer que sa voix atterrit plus ou moins vis-à-vis cette ouverture. Avoir derrière soi la pression d'à peu près cinq babouchkas convaincues que leur tour arrivera plus vite si elles sont plus près de la caisse. Envisager se boucher les oreilles pour faire taire tout le vacarme qui règne autour. Répéter trois fois la même chose en essayant à chaque fois un accent tonique différent, espérant tomber par hasard sur le bon ; se faire comprendre à moitié, par miracle, & finir la transaction par écrit, en glissant un petit papier plein de chiffres gribouillés dans la fente au bas de la vitre. Voir l'exaspération de la préposée monter d'un cran à chaque медленно, пожалуйста? (plus lentement, s'il-vous-plaît?). Sentir les babouchkas qui s'impatientent dans son dos. Escamoter la fin de la conversation & se dire qu'on achètera le billet de retour sur place, la journée même, quitte à se retrouver dans un електрнческйи elektritcheski qui s'arrête à tous les trois villages & demi.

Mais! Le très beau & joli & joyeux, dans tout ça, c'est que grâce à ce billet de train durement acquis (!) j'ai passé trois jours & demi dans un coin de l'Anneau d'Or russe, région où il y a plus d'églises au kilomètre carré que d'habitants. J'ai trouvé des gens sur couchsurfing pour m'héberger &, après trois heures de train (& deux heures & demie de discussion laborieuse en russe avec un médecin dans la cinquantaine qui tenait absolument à me parler de chacune de ses quatre maîtresses), je suis arrivée à Vladimir, chez Artyom & Irina & leur vieux grand-père espiègle dont j'ai jamais réussi à saisir le prénom. Comme la plupart des Russes qui habitent en ville, ils vivent dans un gros bloc de béton construit sous Khrouchtchev, dans les années cinquante. Bâtis à la va-vite pour régler un problème de pénurie de logements, ce sont des immeubles extrêmement cheapettes qui ne devaient, en théorie, que durer vingt-cinq ans. Comme on y habite encore après cinquante ans, ils sont incroyablement délabrés & donnent l'impression d'être à deux doigts de l'écroulement -- mais à l'intérieur les appartements sont confortables & jolis. Petits & trèstrès encombrés, mais jolis!

Sinon, tout à Vladimir est en ruines -- ou en réparation. (...ce qui, connaissant le rythme russe de construction, équivaut à peu près à la même chose.) Il y a une longue rue principale que j'ai parcourue à pied, le soir de mon arrivée, & où se succèdent deux cathédrales, les restes d'anciennes fortifications, de jolis parcs. (Aussi toutes les choses qu'on retrouve dans toutes les villes du monde : un bar à sushi Tokyo, un restaurant libanais Byblos, & un grand supermarché où on empile ses achats dans de petits paniers de plastique rouge.) C'est joli mais c'est pas très grand, alors j'ai passé beaucoup dans la petite ville de Suzdal, tout près, où il y a tout plein de maisons en bois un peu croches, aux couleurs délavées mais encore jolies -- des bleus, des verts, des jaunes fanés. Les cadres des fenêtres ont des motifs de dentelle, le bois sculpté trèstrès finement, & les plates-bandes regorgent de fleurs qui affrontent encore courageusement l'automne. Il y a aussi un vingtaine d'églises, deux monastères & un couvent -- pour une petite ville endormie, ça fait beaucoup. Il y avait beaucoup de touristes, surtout des touristes de Moscou (...reconnaissables, pour les filles, à leurs incroyables talons hauts) qui faisaient ces signes de croix inversés de chrétiens orthodoxes devant des icônes tellement ornés qu'ils en étaient aveuglants. L'intérieur des églises orthodoxes croule sous l'or & les couleurs vives, en fait, & c'est tellement, je sais pas, outrageusement joli que c'est difficile de se rappeler que c'est religieux.

& puis le lendemain j'ai pris trois autobus brinquebalants pour aller avec Irina jusqu'à Bogolioubovo (dieu aime cet endroit, que ça veut dire), un tout petit village en bordure de Vladimir. Nous sommes entrées dans un monastère où il a fallu se couvrir la tête d'un foulard & enfiler une grande jupe par-dessus nos pantalons (...l'église orthodoxe, c'est trèstrès traditionnel), mais nous avons surtout emprunté un chemin boueux à travers les champs pour voir une toute petite église se dresser au milieu de nulle part, entre un lac & un troupeau de chèvres. Le garçon qui les surveillait avait neuf ou dix ans, les mains pleines de boue, les joues rondes. Il marmonnait de petites phrases dans le vide & je me suis dit qu'il s'inventait des histoires, de grandes histoires où il n'y avait sûrement aucune chèvre.

Je suis partie de Vladimir en autobus. (État des routes en Russie: peu enviable.) Ça a pris un peu plus de quatre heures parce que c'était dimanche & que les dimanches d'automne, tout le monde revient vers la ville après avoir passé la fin de semaine à la datcha, petite cabane familiale dans les bois -- avec potager, mais souvent sans électricité. & puis quand j'ai vu les affreuses tours à logements de la banlieue de Moscou se profiler à l'horizon, c'était un peu comme revenir à la maison.




Juillet a attrapé la A-H1N1 & je suis partagée entre l'envie de a) trouver ça inexplicablement, ridiculement drôle, ou b) m'inquiéter.

Alors en attendant de pouvoir étouffer tout à fait les débuts d'angoisse qui se tortillent dans ma poitrine, je me lève tôt & je regarde bouillir l'eau dans le samovar, debout dans la cuisine vide. Je fais du kasha, du gruau russe, & je bois mon mauvais café instantané. Je donne tout plein d'amour aux plantes que Kyoto a volé au dixième étage de l'immeuble. J'envoie des colis vers le Québec, après des échanges un peu laborieux avec la préposée du bureau de poste. Je pense à Juillet, tout le temps tous les jours, parce que j'aime mieux m'en ennuyer beaucoup que de m'habituer à ne pas l'avoir avec moi.

Le ciel est gris depuis huit jours mais mon coeur est grand comme ça. Malgré tout.



jeudi 22 octobre 2009





Dans le métro, toutes sortes de choses :

  • une babouchka aux dents de métal & au visage fripé qui quémande timidement de la monnaie, nichée dans un coin comme pour ne pas déranger personne ;
  • des publicités de souliers de voyages organisés du gouvernement qui suggère de dire non à la cigarette ;
  • une chaleur étouffante dans une foule compacte à en devenir agoraphobe ;
  • un vieillard aux bottes recouvertes de sacs de plastique qui lit avec toute l'attention du monde les pages jaunies d'un roman de science-fiction ;
  • de grands plafonds en marbre ciselé & des arches qui portent encore l'emblème communiste ;
  • moi qui pense doucement à toi.





Parce que parfois j'ai pas dans la tête les mots dont j'aurais besoin, ou la patience pour attendre qu'ils s'y glissent, je dessine de petites choses.



(Kyoto & moi)




mardi 20 octobre 2009






Hier je me suis souvenue :

Un soir avec Unai dans l'appartement rue Crémazie, celui qui n'était pas vraiment à moi ; nous montons sur Cartier, au Métro sur Cartier, pour acheter de la bière. Je dis que j'ai faim & Unai me suggère d'acheter, entre toutes les choses possibles & imaginables qu'une fille peut acheter dans une épicerie à neuf heures & demie du soir, des carottes. Je fais une drôle de grimace & il ne comprend pas, me dit mais c'est bon des carottes, tu peux les prendre bio & pas t'empoisonner!.

Plus tard dans l'été il y aura un peu la même situation, un peu la même question, & Juillet me demandera on s'achète-tu de la crème glacée au chocolat? & moi je penserai, finally a boy after my own heart.




À Moscou il y a le théâtre Bolshoï -- le théâtre impérial sous les tsars, là où Tchaïkovsky a présenté son Lac des Cygnes pour la première fois, alors à cause de tout le poids historique de l'endroit ça coûte maintenant à peu près trois bras & demi pour assister à un spectacle. Mais! Comme c'est la Russie & qu'en Russie il y a toujours toujours toujours de petits vestiges socialo-communistes quand on sait où les chercher, le Bolshoï réserve, à chaque soir de représentation, une cinquantaine de billets pour les étudiants. Les sièges sont au deuxième balcon & souvent ils sont pas très bons, à peu près vis-à-vis des extrémités de la scène, mais! Ils coûtent seulement cinquante roubles, c'est-à-dire environ un dollar & demi, & puis tout le monde sait que les torticolis sont hautement bénéfiques pour la jeunesse russe. (Ça leur forge le caractère.)

Jeudi soir Kyoto devait avoir un examen de droit international mais il a mystérieusement été reporté (le mystère accompagnant chacune de nos journées ici) alors nous avons décidé de célébrer en allant au Bolshoï. Après avoir pris le métro en plein dans le pire de l'heure de pointe (...& donc avoir manqué finir mortes asphyxiées dans la foule agglutinée au pied des escaliers roulants), nous avons acheté deux billets sans trop savoir ce que nous verrions -- & finalement c'était un opéra, & c'était Macbeth, & Macbeth c'est ma pièce préférée de Shakespeare, zéro compétition. Alors j'étais très contente. Mais comme beaucoup d'opéras celui-ci était en italien, avec les sous-titres russes qui défilaient en haut de la scène -- & ça m'a fait un peu bizarre d'être venue à Moscou pour entendre raconter en italien une histoire qui se déroule en Écosse. Mais c'était aussi très beau, dans la grande salle vert & or, avec l'orchestre qui jouait en bas & les Russes trop extrêmement bien mis assis au parterre. Au plafond il y avait un lustre énorme, composé de milliers & de milliers de petits éclats de cristal, & même s'il s'est éteint avant le début de la représentation il y avait tellement de lumière qui provenait de la scène qu'on pouvait continuer à voir, tout au long de l'opéra, les morceaux de verre vibrer avec la musique.

& j'ai eu comme un moment de nostalgie, parce que pour moi l'opéra c'est ma mère -- ma mère qui écoute & réécoute des disques chaque fois qu'elle repasse, les dimanches après-midi, depuis que je suis toute petite, & ma mère qui connaît toutes les histoires d'amours tristes que chantent les personnages.

Mais! J'ai aussi eu un moment de trèstrès grande joie, parce que je me suis aperçue que je comprenais infiniment mieux les sous-titres en russe que les paroles en italien. & ça c'est un signe, un grand signe d'amélioration langagière en bonne & due forme.




Ça fait cinq semaines que je suis ici & je sais déjà que je manquerai de temps pour faire tout ce que j'aurais envie de faire. Mais c'est comme ça, mais c'est pas grave. Il y a des choses qui m'attendent partout où j'irai, des couleurs vives de grandes joies de petites peines passagères, suffit de les trouver.



jeudi 15 octobre 2009





L'automne se fane en jolies couleurs dans les parcs de Moscou mais il se fane quand même, on annonce de la neige pour mercredi & ça me rend heureuse parce que je n'ai pas encore acheté de parapluie. Il fait de plus en plus froid mais aujourd'hui, au coin de Tverskoï & Tverskaïa, il y avait encore des gens pour savourer avec une délectation toute moscovite des frites sans ketchup sur la terrasse du McDo.




À Moscou il y a une légende urbaine tenace. Tout le monde la connaît. Tout le monde se fait un plaisir de la transmettre aux touristes & aux nouveaux arrivants, de leur en murmurer le détail à l'oreille comme on le ferait avec un grand secret d'État. Ça va comme suit:

Les chiens errants prennent le métro.

Ils partent des banlieues où ils se terrent durant la nuit & accompagnent la foule compacte de l'heure de pointe du matin. Ils déjouent les gardes de sécurité encore à demi endormis & se glissent sous les tourniquets de métal. Ils dévalent les (interminables! vraiment interminables!) escaliers roulants en écrabouillant les orteils des babouchkas aux dents en or & aux foulards fleuris. Ils se laissent portés par la foule & se recroquevillent dans un wagon, sous un siège ou dans un coin mal éclairé. Inexplicablement, ils connaissent la station où ils doivent s'arrêter -- toujours une station dans le centre de la ville, là où les poubelles pleines des restaurants & les miettes des passants leur font de bons repas. Ils errent quelques heures dans les grandes artères, mangent à leur faim, puis reprennent le métro. Retournent dormir en périphérie, comme des millions de banlieusards russes.




Juillet m'envoie une photo via courriel: c'est à ça que je ressemble quand je parle de toi, qu'il m'écrit. Ok j'ai l'air un peu niaiseux, mais c'est attendri qui faut dire, ATTENDRI!!

(& ça c'est Juillet. Les deux points d'exclamation, pas trois parce que ce serait trop & pas un parce que ce serait pas assez, & puis cette façon très honnête & démonstrative & vivante d'être heureux. C'est comme -- la meilleure chose au monde, toujours.)




Quand je sors de mon cours de français, j'ai sur les doigts comme une seconde peau de craie blanche & dans la tête toutes les choses que mes élèves ne comprennent pas -- la popularité de Tintin (qui ne s'explique probablement pas en disant pour rire que c'est euuuuh un petit reporter au toupette crêpé qui entretient une drôle de relation avec un marin alcoolique?), la robe que je porte par dessus mes pantalons, ma façon de prononcer le mot mardi. Mes cheveux coupés tout croche, les mèches trop longues que j'attaque avec des ciseaux pour enfant au-dessus de l'évier de la salle de bains. Mes vingt-trois ans qui tirent sur les vingt-quatre & mes plans de carrière tellement flous qu'ils en sont inexistants & mes envies de vivre un vrai hiver ailleurs, le Pays Basque ça compte pas parce qu'il faisait que pleuvoir, & mon drôle d'accent en russe & mes déclinaisons ratées & qu'est-ce que je viens faire ici, de toute façon?

Ça ils me l'ont demandé dès le premier cours, pourquoi tu es venue ici? avec dans la voix toute une montagne d'incrédulité, & je leur ai répondu n'importe quoi. Vraiment n'importe quoi. La vérité c'est qu'en partant de Québec je pensais savoir pourquoi je venais, mais plus je m'installe, plus je m'ancre ici & plus je m'aperçois que jamais je l'ai su. Jamais jamais. Mais ça ne me chamboule pas. Parce que je me dis que peut-être je suis ici pour le découvrir, au moins un peu.




Ce qu'il y a de bien avec la vie ici, que je me disais l'autre jour, c'est qu'il est encore trop tôt pour que je puisse savoir ce dont je me souviendrai dans trois mois, deux ans, dix ans. Alors j'observe tout avec beaucoup d'attention, même le trèstrès petit.



dimanche 4 octobre 2009





Les bonnes choses, toujours les bonnes choses :

Avec Kyoto, ma colocataire dont le prénom me fait quand même un peu penser à une chanson de Modest Mouse (& it's true we named our children after towns we had never been to) -- acheter de la bière à numéro, petit vestige communiste du temps où le branding imaginatif était pas particulièrement nécessaire, & essayer de déterminer laquelle est la meilleure. (La neuf, plus foncée que la huit? La sept, blonde mais peut-être un peu trop pâlotte?) Se pratiquer ensemble à chanter l'hymne national russe, dont les paroles remaniées sont écrites dans un de ses manuels de droit. Partager une bouteille de vin rouge sucré & parler parler parler jusqu'à deux heures du matin, emmitouflées jusqu'aux oreilles dans notre chambre trop froide. Marcher pendant quatre heures pour traverser la Moskova & déboucher sur une base de plein air inespérée, blottie aux pieds de petites collines rondes. S'émerveiller devant la première poubelle à recyclage que nous voyons depuis notre arrivée à Moscou.

Avec Rita, la voisine roumano-allemande mince comme un garçon de onze ans, les poignets d'une délicatesse touchante -- préparer du borscht from scratch & le déguster après y avoir fait fondre lentement trois grosses cuillerées de crème sûre à quarante pour cent de matières grasses. Emprunter une guitare à un des Américains du sixième pour qu'elle puisse extirper son répertoire de veilles chansons russes de ses valises & nous faire fredonner, toute une soirée durant, des mélodies qui parlent de chats noirs superstitieux & d'automnes révolutionnaires. L'entendre dire que secrètement elle a toujours voulu tomber amoureuse en Russie, & espérer très fort que ça lui arrive.

Avec Porcelaine, l'autre voisine qui elle est québécoise, les yeux grands comme ça & l'enthousiasme facile -- acheter des billets pour Franz Ferdinand, Franz Ferdinand à Moscou! S'émerveiller ensemble de nos amoureux respectifs, tous deux trèstrès loin à Québec, avec dans la voix comme une grande tendresse, une tendresse lumineuse & inattaquable. Sortir très tard le soir pour acheter une bouteille de vodka au Магниоля ouvert vingt-quatre heures puis revenir chez elle pour le boire tout doucement, à coup de petits verres qui tue tous les microbes de nos grippes d'automne.

Avec Baloi & Chuck qui coulent leur vie à Limoilou & Boucherville, respectivement, & qui demeurent encore les deux meilleures amies que j'ai jamais eu -- prendre sournoisement des photos de Russettes en talons très hauts pour les leur montrer, leur dire preuve à l'appui!. S'envoyer mutuellement des vidéos de crocodiles qui chantent joyeux anniversaire en russe. Écrire de longs courriels qui parlent de Jeannettes & de cathéter veineux & de concoctions suspectes à base de vin rouge & de liqueur noire ; prendre des nouvelles & donner des nouvelles, les avoir tout près même si elles sont très loin.

& avec Juillet, Juillet qui m'écrit des messages rendus presque incohérents parce que pleins à craquer de parenthèses & de points d'exclamation, Juillet qui me promet de m'envoyer du café équitable & biologique & tout ce que tu veux, guatémaltèque ou kenyan ou quoi? -- surtout parce que je passe mon temps à me plaindre de l'horrible café instantané que j'ingère ici. Juillet qui me dit que je suis jolie même quand je le suis pas, les yeux encore cernés de sommeil à sept heures du matin, à lui parler sur Skype parce qu'avec le décalage horaire c'est le seul moment qui fasse l'affaire. Juillet qui me demande, faussement nonchalant, si je veux venir te voir, c'tu ben compliqué?.



jeudi 1 octobre 2009






Il fait trois degrés celsius dehors & même à l'intérieur j'ai le bout du nez gelé, mais aujourd'hui les rayons du soleil se glissent sur les fenêtres de l'édifice en face, font étinceler les vitres ; les feuilles rougies tombent comme des confettis dans la cour intérieure &, avec les éclairs de lumière qui aveuglent un peu mais réchauffent les couleurs, on dirait presque une mise en scène. Un spectacle de cirque en plein air, peut-être, à qui il manquerait quelques paillettes.

Je suis au cinquième étage. Parfois, avec le vent, on dirait que les branches tendues des arbres voudraient venir caresser ma fenêtre, & ça a quelque chose d'étrangement joli.




& septembre 2009

Les affameurs, Doan Bui
The Girl's Guide to Hunting & Fishing, Melissa Bank
Les fourmis, Bernard Werber
Putain, Nelly Arcan




Jamais vu une ville avec autant de kiosques de fleurs -- цветы tsviety, ici. À tous les coins de rue, à chacune des stations de métro ; certaines précisent qu'elles sont ouvertes vingt-quatre heures parce que vraiment ça arrive, trois heures du matin & un besoin pressant d'acheter cinq jonquilles très jaunes. (Pas un nombre pair parce qu'un nombre pair ça porte malheur, que la petite grand-mère ukrainienne du kiosque m'explique, mais cinq c'est un bon chiffre, cinq c'est le meilleur chiffre.) Des fleurs à vendre partout, & quand le loyer des kiosques est trop élevé c'est directement sur le trottoir, de grands paquets de fleurs colorées contre le gris de la ville.

(& moi ce que je me demande, c'est : qui achète toutes ces fleurs? Qui les reçoit? Je pourrais me dire ah c'est facile, des jeunes filles à talons hauts les cheveux peroxydés les jambes longues sous la jupe, qui se mettent à espérer le mariage avant vingt-cinq ans dès qu'elles reçoivent un bouquet, mais j'aime m'imaginer autre chose -- tous les malades de tous les hôpitaux moscovites & toutes les mamans de tous les soldats stationnés en Tchétchénie, toutes les tombes de tous les gens qui sont morts seuls, toutes les secrétaires qui chaque matin doivent refaire le thé trois fois, jusqu'à ce qu'il soit juste assez noir & juste assez sucré mais pas trop. Par exemple.)

(Ou toutes les petites grands-mères ukrainiennes qui vendent de jolies fleurs depuis la fenêtre de leur tout petit kiosque, kiosque minuscule à en devenir claustrophobe.)

Jamais vu une ville aussi dure, malgré toutes ses fleurs.



mercredi 23 septembre 2009






Moscou c'est tellement contradictoire -- parfois j'ai l'impression que c'est une grosse tumeur polluée sur la surface de la planète, & puis tout d'un coup je vois quelque chose, un édifice grandiose ou un visage heureux dans la rue, & je me dis que c'est la plus belle chose au monde. Chaque matin il y a : le ciel très bleu que je vois depuis ma fenêtre, les foules qui se pressent & s'agglutinent devant les escaliers roulants du métro, les mendiants qui sur l'avenue Tverskaïa serrent contre eux leurs chiots trop maigres, les jolies volutes de l'alphabet cyrillique qui s'enroulent sur les enseignes des magasins. Comment on concilie tout ça? Le trèstrès beau & le trèstrès laid? Je réussis pas toujours à comprendre, je pense.

Mais j'aurai encore beaucoup de temps pour m'y habituer.




Deux choses:

1) Les Russes font une obsession de la petite monnaie. À l'épicerie, les caissières pètent littéralement leur coche si on se montre incapable de les payer en monnaie exacte, ou si on leur refile un billet de 500 roubles pour un achat de 432 roubles & 18 kopecks. (Une rouble vaut environ 27 sous canadiens. & un kopeck vaut environ... absolument rien.) Très agréable d'essayer de leur faire comprendre, en russe, tandis qu'une file grandissante de petites grands-mères s'agglutinent derrière avec leurs paniers d'épicerie surchargés, qu'on vient tout juste de débarquer & que le guichet automatique ne refile pas de coupures plus petites que les billets de 500 roubles. Très inutile, aussi, parce qu'elles resteront fâchées de toute façon & refuseront de vous donner l'entièreté de votre monnaie. (...ce qui est un peu une bénédiction, cependant, parce que depuis que je suis ici j'ai déjà amassé assez de kopecks pour remplir toute une tire-lire. Ça pèse deux kilos & demi & ça vaut à peu près huit cennes.)

2) Les Russettes portent toutes des talons hauts de cinq pouces & des jupes de quatre pouces & demi. (J'en ai donc conclu que je ne pourrai jamais passer pour une Russe.) & pour les talons c'est incroyable, c'est comme si elles défiaient quotidiennement la gravité. & c'est hypnotisant, aussi, parce que moi je peux pas m'empêcher de regarder leurs pieds chaque fois que je sors dans la rue -- les chevilles qui tanguent mais qui tombent jamais, les talons aiguilles qui s'enfoncent dans les crevasses du trottoir mais qui n'y restent jamais coincés... ça relève quand même un peu du miracle, je trouve.




J'ai une grosse grippe que je soigne avec de la vodka, sur recommandation expresse de ma grand-mère.

Chaque fois que je reviens chez moi après avoir donné un cours, j'aurais envie de traîner dans le métro & de m'arrêter à toutes les stations pour observer leurs plafonds ornés & leurs drôles de couleurs passées, jaune rose vert très pâle.

Ce matin il y avait un courriel d'Unai qui attendait dans ma boîte de réception, & dedans il disait, avec ces maladresses syntaxiques que j'aime tellement, il fait très longtemps que je veux t'écrire quelques petites lignes, mais j'ai voulu attendre à pouvoir te dire quelque chose de beau. & c'est vrai que tout ce qu'il me dit est beau, mais jamais assez pour me faire oublier que lui & moi on n'a jamais été de vrais amoureux. Beaucoup de douceur & beaucoup de tendresse, c'est tout. (C'est pas rien.)

J'ai déjà hâte à la première neige.

Juillet m'écrit de très jolies choses, des vrais de vrais romans d'amour juste pour moi -- tout plein de choses que je garde nichées sous mes côtes, bien à l'abri des nuits déjà trop froides de l'automne & des doutes qui, pas maintenant mais on sait jamais, pourraient s'accrocher à la distance.

& depuis hier, j'ai un peu l'impression de vraiment commencer à vivre ici. En Russie.



jeudi 17 septembre 2009






À Moscou il y a dix millions de personnes (seize avec les banlieues, je crois), il y en a huit millions qui prennent chaque jour le métro &, quand je me retrouve dans une station à l'heure de pointe, j'ai l'impression qu'ils essaient tous d'entrer dans le même wagon que moi.

C'est à la fois épuisant & étrangement vivifiant, la proximité forcée avec tellement & tellement & tellement de gens.




J'écoute Mara Tremblay & aussi Ginette, tu serais au bout du monde au fin fond de la brousse que le vent te soufflerait vers moi, bientôt il pleuvra pour la première fois depuis que je suis ici & ça me donnera envie d'aller à la cuisine me faire un thé très noir.

Je vis des choses qui sont belles comme des chagrins d'amour, je trouve.



mercredi 16 septembre 2009






La dernière fois, à l'aéroport, je l'ai regardé & je me suis dit, toi tu t'appelles Juillet parce que t'as le visage comme un matin ensoleillé.

(Pas que ce mois de juillet-ci ait été très ensoleillé, mais quand même.)

Nous sommes partis de Québec en début d'après-midi, mes parents & Juillet & moi ; dans la voiture nous avons parlé en regardant distraitement le paysage &, après nous être arrêtés dans un dépanneur pour acheter le journal de la fin de semaine, nous l'avons ouvert sur nos genoux & nous avons complété le mots croisés ensemble, Juillet & moi, nos têtes se frôlant au-dessus des cases vides. Une fois à l'aéroport tout s'est fait très vite, tout se fait très vite maintenant, j'ai enregistré mes bagages en dix minutes & tout d'un coup ça y était, déjà une petite partie de moi en route vers Moscou. J'ai dit au revoir à tout le monde, trois fois plutôt qu'une, & c'était comme si je partais pour ne plus jamais revenir, une fin tragique & grandiose à souhait -- ma mère qui sanglotait, Juillet qui pleurait & pleurait & pleurait sans bruit, le nez dans mon cou. Mes larmes à moi qui s'attardaient en grandes rigoles sur mes joues.

Mes parents m'ont laissée une carte avec tout plein de jolis mots, Juillet un petit papier sur lequel il a griffonné un ya tibia lioubliou en crisse!, je t'aime en crisse!, & tout ça je le traîne dans mon ventre, je le garde au chaud.




Dans l'avion de Montréal à Londres j'avais tout prévu & j'avais commandé un repas végétarien, pour être servie avant tout le monde. J'étais assise à côté d'un vieux monsieur qui avait tendance à acaparer mon espace vital & j'ai passé trente minutes à décider quel film j'allais regarder dans la petite télé qui coiffait le dossier du siège en avant de moi. Finalement j'ai choisi Away We Go & c'était doux mais un peu long, peut-être parce que j'étais déjà fatiguée.

Au contrôle de sécurité de Heathrow la dame m'a appelée darling ; lorsque l'avion a atterri à Moscou des représentants de la santé publique sont venus prendre notre température pour s'assurer que la grippe porcine n'était pas parmi nous.

Je suis en Russie depuis trois jours. J'ai un emploi dans une école de langues privée & une colocataire belge qui s'appelle Kyoto, Kyoto comme la ville, & des cours de russe qui commencent mardi prochain. & c'est pas que je manque d'enthousiasme, mais je m'ennuie de Juillet comme c'est pas possible. C'est une douleur viscérale qui a quelque chose de tendre, quand même, quelque chose de délicat & de douillet, comme l'envie de se laisser engloutir par les meilleurs des souvenirs.



mercredi 9 septembre 2009





Disons qu'il s'appelle Juillet, disons que c'est comme ça que j'ai envie de l'appeler. Juillet.

Donc lundi soir Juillet me ramenait chez moi avec sa voiture & dans la boîte à gants il y avait une très vieille cassette, très mal identifiée. Je l'ai mise & c'était Bob Marley qui chantait comme depuis un fond de canne, three little birds pitch by my doorstep, & ça tombait bien parce que le soir d'avant nous avions étiré le trajet entre le Sacrilège & son appartement pour réussir à chanter du Louis Armstrong en version reggae. Flop monumental. Mais pas tout à fait -- sautiller de joie dans les rues étroites de Saint-Jean-Baptiste, fredonner des sons doux lorsqu'on ne connaît pas les paroles, se tenir par la taille & marcher tout croche & s'écrabouiller mutuellement les pieds -- & s'embrasser, toujours, partout, parce que les choses à dire sont trop grandes pour les mots.




& août 2009

La memoria, Louise Dupré
Coup de foudre, clichés & autres atrocités, Julie Gaudet-Beauregard ; illustré par Catherine Lepage
The History of Love, Nicole Krauss
La machine à broyer les petites filles, Tonino Benacquista
Tarmac, Nicolas Dickner
La deuxième vie de Clara Onyx, Sinclair Dumontais
L'anglais n'est pas une langue magique, Jacques Poulin




Je pense à tous ces projets que j'ai, & souvent je me demande si ce sont des choses que j'ai vraiment envie de faire ou juste que j'ai envie d'avoir faites. C'est compliqué pour moi de faire la différence.

Mais j'ai vu Élo il y a quelques jours, Élo avec qui j'ai voyagé au Portugal & en Andalousie & dans les Pyrénées catalanes, Élo qui m'a serrée dans ses bras en pleurant quand on s'est séparées à l'aéroport de Lisbonne, & elle m'a dit la Russie, c'est fou, ça fait tellement longtemps que t'en parles!. & c'est vrai. Ça fait tellement longtemps. & j'ai très envie d'y aller, même si c'est difficile de partir.



samedi 29 août 2009





Hier nuit je revenais d'un party où je me suis aperçue que j'étais épuisée parce que, après deux bières, je me suis mise à avoir toute la misère du monde à parler de façon cohérente. Je me suis endormie dans l'autobus un peu avant Limoilou, la joue contre la vitre froide, & quand je me suis réveillée c'était terminus tout le monde descend & j'avais manqué mon arrêt. J'étais à vingt-cinq minutes de marche de chez mes parents & le vent faisait chanter les arbres. Alors je me suis traînée sur la route vide & je me suis couchée sans me brosser les dents.

Mon contrat de travail se termine vendredi & ça tombe bien parce que je commence à avoir la fatigue de tout un été dans le corps.




Je pensais à tous les débuts que j'ai eus avec tous les garçons qui m'ont laissée quelque chose dans le coeur, & vraiment c'est toujours joli --

Partick B, qui est tombé amoureux de moi parce que mon casier récalcitrant me faisait faire de drôles de grimaces.

Adam qui était anglophone, qui avait quatorze ans & les cheveux bleus & une blonde, une blonde vraiment blonde qu'il a laissée une journée après m'avoir parlé pour la première fois à l'aréna municipal, devant une partie de hockey que je trouvais horriblement ennuyante. J'avais les mains congelées & il m'avait prêté ses très gros gants de skidoo jaunes fluo.

JR, trop grand trop maigre de jolis yeux bleus très doux, & quand il m'avait demandé si je voulais aller voir The Fast & the Furious au cinéma avec lui j'avais passé tout un après-midi à danser de joie dans ma chambre.

Jean que j'ai embrassé sans trop savoir pourquoi, à un party dans le bois où on faisait jouer beaucoup trop de Pink Floyd, & qui plus tard dans la nuit s'est glissé dans ma tente pour venir dormir dans le même sac de couchage que moi.

Mike l'ami d'une amie, qui était beaucoup trop vieux pour moi, qui goûtait la cigarette & le bloody cesar, qui disait j'aime tellement tellement ton accent.

Jonathan, au neuvième étage du pavillon Parent, à s'embrasser après avoir passé la moitié de la nuit à regarder la plus grosse tempête de neige de l'hiver.

Sergi le Catalan, Sergi! C'était le jour de sa fête & nous étions seuls dans un des corridors de la bibliothèque ; je lui ai dit ferme les yeux, j'ai quelque chose pour toi & je l'ai embrassé sur la bouche & je suis partie. Comme ça. Très fière de moi.

F sous la neige, sur la rue Saint-Jean, trop de manteaux & de pelures entre nos corps. Le trottoir glacé & comme une drôle d'urgence dans le bout des doigts.

Unai & son tout petit coin de grenier, la bière aux bleuets qui me tombe presque des mains.

J qui glisse ses doigts contre ma paume au retour du Sacrilège, avec toutes les précautions possibles, & qui me sourit du plus joli sourire au monde lorsque je caresse le dos de sa main du pouce, doucement.



lundi 24 août 2009





Je dis certaines phrases, certaines toutes petites phrases, & il y a comme quelque chose qui s'envole dans ma poitrine, des mots qui deviennent oiseaux pour mieux venir frôler ma joue de leurs ailes. J'aime les causes perdues & les bonheurs précaires ; les grandes explosions sous les côtes, aussi, & les bouleversements qui n'attristent pas.

Ça, ça ne se guérit pas.




Du melon d'eau en cadeau, deux heures à essayer de trouver des gants rouges à Limoilou, la canicule dans des draps trempés de sueur ; recopier l'alphabet cyrillique de mémoire avec un stylo à bille récalcitrant & sa petite soeur qui me dit t'es dont ben belle t'es dont ben fine!, les yeux grands comme ça & le coeur à découvert.

Des heures & des heures à inventer dix-huit types de nuages différents & à regarder le ciel en l'entendant me dire des choses comme toi t'es pas un hasard dans ma vie.

J'ai reçu mon visa aujourd'hui & je pars pour Moscou le 13 septembre. Il y a beaucoup de choses que je remets en question mais il y en a encore tout plein que j'ai envie de vivre & vivre & vivre, alors. Je sais pas. Je manque de mots pour toute la douceur & tous les débuts de chagrin que j'ai dans le ventre.



mardi 18 août 2009





La vie ces jours-ci passe beaucoup trop vite pour que j'aie le temps de la raconter.

Beaucoup, beaucoup de bonnes choses --

La visite d'une amie qui me laisse une rasta fragile dans les cheveux & une très grande joie dans le coeur. Comme une nostalgie des choses qui passent & passent & passent, aussi.

Tout un après-midi avec le Végétalien, à se faire asperger par la bruine des chutes Montmorency, la peau du visage qui sèche trop vite sous le soleil pesant. Puis son nouvel accordéon fait maison, ses plants de tomates qui envahissent le balcon de la voisine ; couper des millions de légumes dans un coin de la cuisine & récolter du basilic frais pour assaisonner le repas. Ses grands yeux bordés de cils épais qui me détaillent d'une drôle de façon, toujours.

Les Voûtes samedi soir, avec tout plein de gens & beaucoup trop de bière, à fêter un quinze août pas très acadien où le chansonnier finit quand même par jouer du 1755, cette chanson toute simple dans laquelle le monde a bien changé & je t'aime à tous les jours.

& puis le garçon avec qui je travaille, le garçon qui est le plus extraordinairement gentil de tous les garçons que j'ai connus, le garçon qui s'enthousiasme pour tout ce qui lui passe sous le nez & le garçon qui essaie d'arrêter de fumer en répétant tout bas quatre mille substances toxiques quatre mille quatre mille!. Le matin chez lui il chatouille ma peau & prépare le déjeuner, des oeufs du gruau de belles pommes rouges des bagels du très bon café noir ; le soir il téléphone toujours & souvent il sacrifie sa place de stationnement durement acquise dans une des rues étroites de Saint-Jean-Baptiste pour venir me chercher jusque dans le fond du fin fond de Charlesbourg. Il parle de moi à sa famille & quand je rencontre sa mère, un samedi matin où j'ai les cheveux emmêlés & les vêtements fripés, elle me dit j'ai toujours rêvé d'aller en Russie. Il m'amène au chalet de son père pour mieux voir les Perséides, il démarre le feu tout seul parce que j'ai toujours eu très peur des allumettes & il décapsule toutes mes bières. Il me dit j'ai jamais rencontré une fille comme toi & je ne comprends pas trop ce qu'il veut dire, comme moi comment?, mais ça me fait quand même une joie comme un orchestre dans la poitrine.




C'est la première fois de ma vie que je manque de temps pour lire. (Ça a quelque chose de rafraîchissant.)



dimanche 9 août 2009





Nous revenions du Sacrilège, où la musique avait passé de Noir Désir à France Gall, & le gars avec qui je travaille m'a dit j'ai envie de t'embrasser depuis la première fois que je t'ai vue. Alors je l'ai embrassé. Sur la nuque, la clavicule. Cet endroit où la mâchoire rencontre l'oreille. La tempe gauche. Sa joue mal rasée & ses pommettes hautes & ses drôles de lèvres pleines & & &.

(Va falloir que je lui trouve un nom autre que le gars avec qui je travaille.)

C'est pas que j'ai la mémoire courte, je crois pas ; c'est qu'il y a beaucoup trop de gens à aimer.



samedi 8 août 2009





J'ai emprunté de petits manuels de russe à la bibliothèque, pour me pratiquer. J'y répète des phrases simples qui roulent sur la langue, des phrases minuscules qui me font croire que je suis déjà polyglotte. J'engloutis de grands verres d'eau parce que ça me dessèche la gorge.

Il y a, à l'intérieur d'un livre commencé le mois passé, un post-it qui s'accroche aux pages fripées. Un garçon avec qui je travaille y a griffonné son numéro de téléphone après avoir recopié le mien, ça veut pas dire grand-chose mais ça me travaille quand même. J'ai pas tellement envie d'y penser.

Jeudi soir je revenais du travail, je marchais tout doucement & dans le ciel il y avait la lune qui brillait, ronde & pleine comme un sourire.



dimanche 2 août 2009





Mes parents ont déménagé dans le fin fond de Charlesbourg à la mi-juillet & moi j'ai déménagé avec eux hier, en fin d'après-midi, pour ce qui me reste de temps à Québec. Tout le monde me dit comme ça tu vas économiser des sous! mais il y a autre chose, il y a que je m'ennuie d'eux par anticipation. Je m'ennuie de tous les petits bouts de quotidien que je vivrai ailleurs, très loin d'eux.

J'ai acheté une passe d'autobus, la première depuis deux ans, & je me sentais comme une petite vieille de soixante-douze ans parce que le flot du dépanneur a dû m'expliquer que maintenant c't'une carte à puce rechargeable. Aujourd'hui j'ai versé du café dans une grande tasse isolante & j'ai fait le trajet jusqu'en Basse-Ville ; j'étais assise à l'arrière & je lisais La memoria très lentement, en soupesant chaque mot. J'aurais eu envie d'être dans un train, pour que la cadence des phrases suive le rythme des roues sur les rails.

J'ai acheté mon billet d'avion & je complète ma demande de visa, demain j'enverrai tout ça au Consulat ; le mois d'août passera très vite & bientôt je serai partie, c'est fou comme bientôt je serai partie.




& juillet 2009

Los Ríos Profundos, José María Arguedas
La solitude des nombres premiers, Paolo Giordano
J'étais une petite fille de sept ans, César Aira
A Brief History of Time : From the Big Band to Black Holes, Stephen W. Hawking (... & Ulf était incroyablement meilleur.)
Humains aigres-doux, Suzanne Myre
La Sombra del Viento, Carlos Ruiz Zafón
Ici & là : récits, Stéphanie Kaufmann
Lectodôme, Bernard Laverdure




Pour l'instant j'ai envie de lire des romans tristes & d'écouter du Johnny Cash, peut-être boire un peu trop de bière, mais ça passera. Il pleut & j'oublie déjà tout plein de choses. C'est ça le plus triste, sûrement : la précarité des souvenirs.



mercredi 29 juillet 2009





Nous sommes revenus dimanche soir très tard, en traversant deux ou trois orages. En avant il y avait le Végétalien & Unai, & moi j'étais recroquevillée sur le siège arrière, avec la tente & mon sac à dos & le violon cheapette made in China de Sabrina, celui qu'elle traîne pour jouer malgré les intempéries & qui a des échos de fond de canne. J'ai fermé les yeux pour ne pas trop voir les éclairs. (J'ai peur de la foudre. Peur du feu, aussi. Je suis clairement la compagne de camping idéale.) J'avais dans la tête tout plein d'airs de bluegrass & de vieilles chansons de Robert Johnson, you better come on in my kitchen, it's going to be rainin' outdoors. J'avais aussi dix-huit piqûres de moustique sur les mollets, & comme l'impression de vivre la fin de quelque chose.




Unai prenait l'avion ce midi & il est parti de chez moi ce matin, un peu après neuf heures.

Hier il est entré sans cogner & il était triste, déjà. Il est allé se doucher parce que vraiment il faisait très chaud, il fallait tout un orage pour dépêtrer le ciel de son humidité lourde, & quand il est sorti j'étais sur le balcon, à regarder les premiers éclairs. Il s'est placé derrière moi, ses mains sur mon ventre son menton sur ma tête, & il a dit merci. Merci pour être belle, merci pour être pas compliquée, merci merci pour tous les moments jolis. C'est pas souvent que j'ai vu un garçon pleurer, mais ça me chamboule à chaque fois.

Avant d'aller dormir il était fragile, comme vulnérable ; moi je n'étais pas triste mais je sentais que ça se préparait, que ça grondait dans ma poitrine. Nous nous sommes dit des douceurs en nous regardant de très près, recroquevillés l'un contre l'autre. « T'es une belle personne, » que j'ai murmuré, « j'espère que t'auras une bonne vie. » Il m'a sourit, a fait oui, oui elle sera bonne. « Toi & moi, » qu'il a dit, « on mérite des bonnes vies. »

C'est quelqu'un qui m'aura fait beaucoup de bien, quand même.

Hier nous avons dormi à travers l'orage, avec les éclairs qui dessinaient des secousses de lumière dans la chambre. Une de ses mains sur ma cuisse, l'autre dans la mienne. Ses cheveux tout près de mon nez. Je me suis dit ce moment, juste ce moment, & je me suis sentie bien.

Ce matin il m'a dit rencontre quelqu'un d'extraordinaire en Russie & moi je lui ai souhaité plein de belles filles qui font tout plein de belle musique.

Unai, mon beau garçon, tu vas me manquer.



vendredi 24 juillet 2009





Dimanche il était tard & je remontais la côte Salaberry en fredonnant du Bette & Wallet. J'avais laissé Unai au coin de Saint-Vallier & L'Angelier & j'avais cette sérénité très douce sous les côtes, cette joie tranquille d'avoir passé une longue soirée à faire tout plein de choses que j'aime — me presser contre la foule devant le spectacle en plein air du Cirque du Soleil, boire une bière sur la terrasse de La Barberie, grimper sur le trottoir pour mieux embrasser Unai, esquisser des pas de danse (pieds nus parce que c'est plus agréable) dans une rue déserte de Saint-Roch, Saint-Roch de mon coeur pour qui je garde une drôle de tendresse émue. Tout ça, & c'était vraiment l'été.

Ce matin je pars en camping dans Lanaudière, région que j'aurais pas su situer sur une carte avant-hier tellement moi & la géographie du Québec égal zéro, il pleuvra toute la fin de semaine mais ce serait pareil à Québec. J'ai préparé des galettes à la mélasse & j'ai comprimé mes vêtements dans un tout petit sac à dos ; j'y ai aussi enfoui un jeu de cartes, au cas où. & puis j'irai à un festival de musique traditionnelle près de Joliette, en fait je sais même pas encore pourquoi j'aurai réussi à me ramasser là, mais au moins il y aura Bette & Wallet, en spectacle, & deux ou trois personnes que j'aime beaucoup.




Unai repart pour Grenade le 29 mais je ne compte pas les jours, ce serait trop triste.



dimanche 19 juillet 2009





Message d'intérêt public :

Je n'ai plus que trois prêts & (roulement de tambours) deux réservations auprès du Réseau des bibliothèques de Québec. Si vous avez des suggestions de lecture, je pourrais re-gonfler ma liste jusqu'à ce qu'elle atteigne des proportions plus respectables. (... la snoberie littéraire est un des seuls défauts que je cultive pas, alors vraiment ça peut être n'importe quoi.)




Ce matin j'ai fait un peu de jardinage sous la pluie avec le Végétalien ; il se lève très tôt & j'ai fait pareil, je me suis levée tôt, mais j'ai passé toute la matinée à fantasmer sur les litres de café noir que j'engloutirais plus tard. En revenant chez moi j'ai acheté un bon pain chaud aux trois noix & une amandine au chocolat, que j'ai mangée sur mon balcon. J'avais mes jeans & mon haut de bikini, il ne faisait pas chaud mais j'ai fait comme si. Maintenant j'ai le goût d'une sieste, & peut-être d'un orage de fin d'après-midi.

Hier j'ai bu de la bière dans un parc, le sac en papier fripé autour de la bouteille, & j'ai dit à Unai que ça va nulle part mais c'est crissement plaisant quand même. Je ne m'étais jamais rendue compte à quel point c'est facile d'aimer les gens qui s'en vont, & moi j'ai ce sourire niais qui m'envahit le visage chaque fois que ses longs doigts cherchent les miens tout juste avant d'entreprendre la traversée d'une rue.



samedi 18 juillet 2009


Samedi matin pluvieux & paresseux, à écouter du Beirut inlassablement, comme pour me punir de les avoir manqués à l'Impérial. J'ai une très grande tasse de café, j'ai une rôtie beurre d'arachides & confiture ; j'ai le coeur gros comme ça & une petite tristesse lancinante sous la peau, lancinante mais douce quand même. Pas malheureuse pour deux sous, seulement comme un trop-plein de mots dans la voix & toute une marée dans le ventre.

Hier j'écoutais des amis jouer de la musique en lisant Suzanne Myre (ah, Suzanne!) & je me disais, il y a des choses pires que de partir en laissant derrière des gens qu'on aime beaucoup. C'est difficile & c'est triste & ça arrive trop souvent, mais c'est pas tragique. Tragique ce serait n'avoir personne, tragique ce serait s'en aller sans avoir à se déraciner, sans sentir autre chose qu'un agacement qui frôle la lassitude. Alors que moi c'est autre chose, moi je partirai lourde de contradictions, de vérités que j'aurai dites tout croche & de grands sentiments maladroits. Avec dans la poitrine un orchestre de circonstance, une musique de vagabonds assoiffés de l'ailleurs & nostalgiques, déjà, de tout ce qu'on ne vivra jamais deux fois.

Je sais pas beaucoup de choses, pas beaucoup de choses par rapport à mon futur, je veux dire, mais je sais que dans ma vie j'ai envie d'aimer beaucoup de gens, & dans beaucoup d'endroits différents. Je crois que ce sera toujours un peu déchirant.




L'été jusqu'ici, en bref :

  • la chair mûre des avocats ;
  • le voisin d'en-dessous qui parle au téléphone en espagnol ;
  • porter sous mes vêtements un haut de maillot de bain vert à pois blancs ;
  • les tomates raisins qui éclatent sous les dents ;
  • la pluie qui tambourine sur le toit de tôle du grenier d'Unai ;
  • de grands verres d'eau sur le balcon ;
  • la bière à l'abricot, la bière aux bleuets ;
  • des taches de rousseur sur le haut de mes pommettes ;
  • du reggae & du ska & du folk & un million d'accordéons & toute la musique festive du monde.



dimanche 12 juillet 2009





Mes péripéties au travail cette semaine :

Lundi : Un monsieur m'offre un cornet de crème glacée. Au chocolat! (Donc j'accepte. J'aurais dit non pour la vanille.) Puisqu'il a ainsi réussi à m'immobiliser devant sa porte d'entrée, il passe alors vingt minutes à m'expliquer en détail tout ce qui cloche avec le Parti Québécois.
Mardi : Je ne travaille presque pas parce qu'il commence à pleuvoir aussitôt que nous arrivons. C'est un déluge biblique! Nous sommes entassées dans la voiture & il y a tellement d'eau partout, le son de la pluie contre les portes & la buée dans les fenêtres, j'ai l'impression d'être dans un sous-marin.
Mercredi -- La voiture nous lâche à huit moins quart le soir, dans le fin fond de l'Ancienne-Lorette. (C'est le bras de vitesse qui a rendu l'âme.) Nous attendons la dépanneuse durant une heure, en jouant aux cartes sur le trottoir. (Je perds de façon assez spectaculaire.) Les quelques Lorettains qui passent nous prennent pour des sans-abris & tentent de nous refiler le petit change qui traîne dans leurs poches.
Jeudi : Nous sommes tout près de l'aéroport de Québec & de temps à autre nous voyons les avions passer au dessus de nos têtes, les roues sorties & prêtes pour l'atterrissage. Elles dessinent de grandes ombres dans les petites rues tranquilles.
Vendredi : La météo annonce beaucoup de chaleur mais le matin est encore frais, même que je me gèle les orteils en buvant du café sur le balcon. L'après-midi je m'enduis de crème solaire à répétition, tellement que j'en acquiers à peu près trois couches supplémentaires d'épiderme.




Je traîne une drôle d'angoisse, mais je crois que c'est parce que ma vie change & change & change. Bientôt je m'y habituerai.



mercredi 8 juillet 2009





Deux choses qui me trottent dans la tête :


1) Dans Borderline le film, visionné hier (& pas tellement apprécié, mais de toute façon j’avais pas beaucoup aimé les deux premiers livres de Marie-Sissi Labrèche) l’un des personnages se dit amoureux & téméraire. & moi je me dis, quelle description exacte de ce que c’est, le tout début de quelque chose avec quelqu’un qui nous plaît vraiment beaucoup. (Je me dis aussi que j'utilise pas assez le terme téméraire dans ma vie quotidienne. Quel mot incroyablement puissant, quand même.)


2) Dans Bourlinguer, Blaise Cendrars dit que la révolution & l’aviation ont été les deux plus grandes déceptions de sa vie. Je peux comprendre. On pense que voler ce sera une expérience transcendante qui nous rapprochera de, je sais pas, l’insouciance des oiseaux, la légèreté des nuages, la transparence de l'ozone, ce genre de choses ; en fait c’est une série de manoeuvres répétitives & de bruits mécaniques. On pense que les révolutions font table rase de l’avant & du mauvais, une grande effusion de violence nécessaire pour ensuite s'agripper à toute une nouvelle façon d’envisager le pouvoir ; après deux ans tout a déjà été récupéré, bureaucratisé ou étouffé, & puis en plus tout le monde sait que la violence nécessaire ne se termine jamais tout à fait. Être née à la fin du XIXe siècle, avoir connu la Première puis la Seconde Guerre mondiale, la révolution bolchevique puis Staline, moi aussi j’aurais été déçue.

(J'aime tellement Blaise Cendrars. J'ai commencé à le lire tellement jeune qu'aujourd'hui je suis même plus capable de déterminer si vraiment c'est très bon ce qu'il écrit, ou si c'est autre chose -- une familiarité qui réconforte, toutes les choses que j'ai envie qu'on me dise. J'ai l'impression qu'il a vécu sa vie avant de se mettre à l'écrire, & ça c'est tout ce que j'aimerais pouvoir faire.)



lundi 6 juillet 2009


Dans le nouvel appartement qui n'est pas vraiment à moi, qui en fait ne le sera seulement que pour un tout petit bout d'été :

  • Je bois du café dans une très grande tasse bleue en regardant la pluie dessiner des rigoles sur la fenêtre du salon ;
  • Je compte les bleus que deux déménagements successifs, un pour moi & un pour quelqu'un d'autre, ont laissé sur mes jambes ;
  • (... seize) ;
  • Je passe un après-midi à récurer la cuisine & tout ce qui s'y trouve -- le frigo, le four micro-ondes, le vrai gros four ;
  • Je redécouvre, après quatre ans de sevrage, les vertus à la fois thérapeutiques & abrutissantes de la télé ;
  • Je dors une nuit sur le divan du salon parce qu'il est plus confortable que le matelas du lit ; aussi parce que les draps gardent l'odeur d'Unai, parti hier pour la Gaspésie, & que je n'ai pas terriblement envie de m'ennuyer.




Avec Unai je glisse mes pieds sous ses genoux pour mieux les réchauffer -- mes pieds à moi, quoique pas tellement ses genoux à lui. Ensemble nous buvons toujours quelque chose, de la bonne bière ou ce drôle de thé blanc qui ne goûte pas grand-chose. Souvent je viens tout juste de prendre ma douche & mes cheveux humides ondulent à contre-coeur. Nous dénichons un jeu de société qui est censé mettre nos connaissances géographiques à l'épreuve & je gagne avec une avance tellement considérable que c'en est drôle -- ça tombe bien, que je lui dis, je pense que je suis très mauvaise perdante. Le matin il faut toujours se lever trop tôt, soit je travaille soit il a cinquante-six mille trucs à régler, & s'il ne pleut pas nous déjeunons sur la terrasse de l'appartement -- moi j'engloutis des quantités astronomiques de café & lui mange à peu près n'importe quoi, des épis de maïs enduits de beurre & des sandwichs au fromage fondu. J'avale mon bol de céréales à vitesse réduite & il me dit plein de cochonneries là-dedans. (Je remarque que le beurre c'est une cochonnerie qui finira par lui boucher les artères.)

De près ses cils sont très longs, & durant la nuit ils viennent me chatouiller les joues.




Samedi matin je suis retombée dans le vice, c'est-à-dire : j'ai sorti mes petits ciseaux jaunes du Corte Inglés & je me suis coupée les cheveux au-dessus de l'évier de la salle de bain.

Maintenant j'ai le toupette croche & le coeur heureux.



samedi 4 juillet 2009





& juin 2009
(Exceptionnellement ce mois-ci : par catégories!)

Pré-Russie :
Cheval noir, suivi de En prison, Boris Savinkov
Les Justes : pièce en cinq actes, Albert Camus
La vie d'un homme inconnu, Andreï Makine

Où j'essaie de lire autre chose que de la fiction :
La physique racontée aux poètes & aux enfants, Ulf Danielsson (... mais les enfants n'y comprendront probablement pas grand-chose.)
Garder le sens mais altérer la forme : essais, Susan Sontag
La fatigue politique du Québec français, Daniel D. Jacques (... qui m'a vraiment très fatiguée.)

Livres que j'ai gagnés & que je me sentais donc obligée de lire :
Le projet Andersen : théâtre, Robert Lepage (& j'ai beaucoup aimé!)
Être : nouvelles, Éric Simard (... & j'ai moins aimé.)

Livre qu'on m'a prêté & que je me sentais donc obligée de lire :
The Collected Stories, Éamon Kelly (& c'était bon!)

Livre que j'ai prêté & que j'avais donc envie de relire :
Stupeur & tremblements, Amélie Nothomb

Du bonbon :
La plus jolie fin du monde, Zviane
Le point B, Zviane

... & le reste :
Ficciones, Jorge Luis Borges (Parce que je suis trop orgueilleuse & masochiste pour lire une traduction.)
La vie devant soi, Romain Gary/Émile Ajar
The Turn of the Screw, Henry James (& j'en ai peut-être possiblement fait des cauchemars, juste un peu.)
Du bon usage des étoiles, Dominique Fortier




J'ai plein de petits deuils à faire, déjà.



lundi 29 juin 2009





Raison numéro cent quarante-trois pourquoi je vais pleurer Saint-Roch après mon déménagement :

Pourrai plus jamais me faire cruiser par le petit gars du dépanneur, celui qui a toujours un espèce de bonnet de laine trop serré style pseudo-ghetto (& orange fluo), au comptoir des réservations de la bibliothèque Gabrielle-Roy.




Je crois que je viens de me tailler une place dans les annales comme la presque ex-voisine qui gueule du Johnny Cash en lavant ses armoires. Mais c'est qu'il y a une satisfaction toute particulière à chanter I'm so lonesome I could cry quand c'est pas du tout vrai.



vendredi 26 juin 2009





Petite succession de choses:

dimanche 24 mai
J’ai passé toute la journée du samedi avec Unaï & j’écris que « c’est une personne très critique avec tout & tout le monde, sans exception, mais qui remet en question sans essayer de faire croire que ses choix à lui sont dénués de contradictions. » C’est quelque chose que je trouve rafraîchissant & rassurant, d’une drôle de façon.

mercredi 27 mai
Comme je me suis fait mal à la cheville en essayant de devenir La Fille Qui Court Le Matin, Unaï me laisse un colis accroché à la grille de mon appartement : un bandage élastique, emballé dans une partition de musique & renforcé d’un petit mot écrit sur du carton orange, le tout ficelé avec un bout de corde. Son écriture est maladroite mais il ne fait presque pas de fautes d’orthographe.

dimanche 31 mai
En fin d’après-midi nous allons au Parc Victoria goûter à ce qu’il reste de soleil, boire une bière aux framboises à deux, croquer dans une pomme. Quand le froid nous rattrape, nous allons nous enfouir dans le grenier de son appartement, où nous buvons de la tisane dans de très petites tasses. Nous demeurons assis sur le sol, appuyés contre son lit, & j’oublie qu’il est tellement plus grand que moi. Parfois il dessine comme de drôles de volutes sur mon genou.

vendredi 5 juin
J’ai mal au dos & Unaï finit par s’en apercevoir & ses longs doigts se posent entre mes omoplates, remontent la colonne vertébrale jusqu’à la base de mon crâne ; il me demande où j’ai le plus mal & je peine à répondre parce que j’ai l’impression qu’il tient ma voix entre ses mains.

lundi 15 juin
Il est aux Îles-de-la-Madeleine & il laisse sur mon répondeur un drôle de message décousu, rendu encore plus incompréhensible par son accent qui, au téléphone, tombe dans l’indéchiffrable. Je l’écoute une fois, deux fois, & je ris toute seule dans ma chambre.

vendredi 19 juin
Je me dis : il faut faire attention avec les néo-hippies anarchistes, surtout les garçons, parce que j’ai de la difficulté à discerner si ce qu’ils aiment c’est toucher les gens en général, du genre on abolit même les frontières avec les autres, ou moi en particulier. C’est compliqué.

& le 24 juin au soir, dans un revirement de situation tout ce qu’il y a de plus inattendu, Unaï m’embrasse dans le grenier de son appartement. Je suis tellement surprise que j’en échappe presque ma bière.

Je suis pas très perspicace.



vendredi 19 juin 2009





Pour parfaire mon éducation scientifique, je lis La physique racontée aux poètes & aux enfants. C'était pas prévu, je l'ai vu à la bibliothèque & je l'ai feuilleté & je me suis aperçue que le prénom de l'auteur était Ulf & bon, j'ai tendance à accorder toute ma confiance aux scientifiques qui ont des noms très nordiques. (Sauf Igor. Ça fait pas sérieux, Igor.) Bref, c'est tellement passionnant & borderline incompréhensible-mais-pas-tout-à-fait que j'ai des palpitations chaque fois que je commence un nouveau chapitre. Au départ je pensais le garder en livre de chevet, passer au travers très lentement au rythme de six pages chaque soir avant de m'endormir, mais finalement je suis pas capable, je le traîne partout & je me découvre une passion dévorante pour les trous noirs. (En théorie, quoique peut-être pas tellement en pratique.) Saviez-vous que le temps s'arrête quand on s'approche trop d'un trou noir? Que quand la matière y est aspirée, c'est comme si elle n'avait jamais existé? Moi non plus. Les trous noirs sont fascinants. Je veux adopter un trou noir.

Je crois que j'étais physicienne théoricienne dans une autre vie. Mais il y a trèstrès longtemps, du temps où la mécanique quantique & la relativité & la théorie des cordes n'avaient pas encore été découvertes. Peut-être que j'étais Lord Kelvin, qui au dix-neuvième siècle trouvait qu'on avait pas mal fait le tour de la question, côté science, & qu'il restait peut-être deux ou trois petits détails à régler. (Plus j'y pense & plus je me dis que ç'aurait vraiment été mon genre. Un mélange de naïveté désolante & de vanité crasse.)

En attendant de m'investir dans un changement de carrière & retourner faire mes sciences pures au cégep, je regarde la première saison de Rome. Encore une fois dans un but éducatif, officiellement, parce que je pensais pouvoir rafraîchir mes connaissances sur le sujet. (J'ai fait un cours sur l'histoire de la Rome antique, à l'université. Je l'ai joyeusement oublié pour faire la grève étudiante du printemps 2005, & j'ai jamais su ce qui se passait après l'assassinat de César.) C'est facile de voir que le gars en charge du scénario n'est pas Ulf, cependant, parce que jusqu'à maintenant c'est plus une succession d'intrigues familiales diaboliques & de ré-interprétations historiques, genre la guerre civile entre Pompée & César a éclaté à cause d'un légionnaire alcoolique & d'un malentendu. & le fils de César & Cléopâtre est euuuuh pas de César. Etcétéra. Pour la rigueur scientifique, on repassera. Mais c'est joli à regarder.

J'ai à peu près quatre mille changements d'adresse à faire & des boîtes à commencer, mais je procrastine avec la physique théorique & l'histoire antique. C'est quand même quelque chose.



dimanche 14 juin 2009





J’aime aller au cinéma toute seule. Y aller en fin d’après-midi, quand il n’y a dans la salle que quelques retraités regroupés en couples — couples de vieux époux, couples de vieux amis. Arriver tout juste avant le début du film, être déçue parce qu’au Clap il n’y a jamais de bandes-annonces alors que j’ai toujours trouvé que ça a quelque chose de fondamental, les bandes-annonces, ça vous fait oublier le film que vous êtes venus voir & ça sert de transition entre la vie & le cinéma, ça crée comme un pont où vous retrouvez toujours la même voix off masculine — mais peut-être que j'exagère, possiblement que j’ai un amour invétéré pour les previews. (Ça & le National Geographic. Ça pourrait être pire.)

Mais j’aime beaucoup aller au cinéma toute seule parce qu’après je peux prendre tout le temps que je veux. Passer de longues minutes à regarder défiler le générique, encore blottie dans la noirceur de la salle. Sortir sans avoir à me prononcer tout de suite — est-ce que j’ai aimé, est-ce que je n’ai pas aimé, est-ce que ce film est réellement le chef-d’oeuvre qu’annonçaient les extraits de critique placardés sur la pancarte? Mettre mes écouteurs & regarder par la fenêtre tout le long du trajet en autobus.

J’ai vu Hunger & c’est terriblement dur. Il y a des choses que je n’ai pas regardées parce que de toute façon il y avait les sons. & puis la déchéance d’un corps qui crève de faim, d’une faiblesse à en pleurer.

Je suis contente d’y être allée toute seule.




C'est dimanche matin & je suis réveillée très tôt par une corneille qui joue les coqs sur le bord de ma fenêtre. Je n'ai plus rien à manger &, après avoir passé presque une heure à espérer un cas de génération spontanée dans le frigo, je m'habille & je descends jusqu'à l'Intermarché. Dans les allées vides je croise la fille aux cheveux bleus que je vois toujours partout, & dans les rues je pile soigneusement sur toutes les fissures du trottoir. En revenant chez moi je mets le premier album de Wilco, du temps où ils tiraient plus sur le country que sur le folk. J'ouvre la fenêtre qui donne sur la cour intérieure & je monte le son, peut-être pour punir les voisins d'en-dessous qui se sont mis au djembé entre trois heures & quatre heures & demie la nuit dernière. (J'achève par la même occasion de massacrer le peu de bon karma qui me reste.) Je mange mes rôties en me mettant de la confiture plein les doigts.

C'est la mi-juin ; dans trois mois je serai en Russie.



mercredi 10 juin 2009





La soirée est belle mais venteuse, & moi je vais à l’opéra avec ma mère.

J’ai de jolis souvenirs de dimanches après-midis où ma mère repassait des vêtements en écoutant ses disques d’opéra & en me racontant leurs longues histoires d’amours tristes — Madame Butterfly, Nabucco, Carmen. (C’est probablement pourquoi j’ai autant le sens du mélodrame dans mes histoires à moi.) J’aime les barytons, surtout, & je me suis tellement habituée aux envolées des sopranos que je ne comprends pas comment ça pourrait être criard. Mon père s’est déjà endormi lors d’une représentation, preuve que ça ne peut pas être si agressant que ça.

Je vais pour la première fois à l’opéra, avec ma mère, à Québec, à vingt-trois ans. Je fais à moi seule baisser la moyenne d’âge des spectateurs d’une bonne vingtaine d’années. Nous allons voir deux opéras courts, Pagliacci mais avant Cavalliera rusticana, celui de Godfather III, quand Sofia Coppola meurt dans l’escalier. Nous attendons un peu dans le hall, & ma mère me parle d’autres amours tristes — Maria Callas qui s’est laissée mourir de chagrin, Onassis qui n’a jamais aimé Jacky. Tout juste avant d’entrer dans la salle, elle me dit que c’est l’année passée qu’elle a commencé à se demander ce qu’elle faisait ici. Elle me le dit avec un grand sourire, comme si elle connaissait la réponse mais qu’elle ne pouvait pas me la dire, pas tout de suite.

L’opéra c’est mélodramatique mais grandiose, & le chant des choeurs fait résonner quelque chose dans ma poitrine.




& ces jours-ci, de jolies choses :

Une voiture passe sous ma fenêtre & on y écoute à plein volume ma chanson préférée de Robert Charlebois : Lindberg, que j’ai entendue pour la première fois au Pérou. (Of all places.)

Unaï a fait du pouce jusqu’aux Îles-de-la-Madeleine (sauf la partie en bateau, s’entend) & c’est de là qu’il me téléphone, un dimanche soir, pour me dire un bonjour au R très roulé.

Je plante des fleurs devant la maison des jeunes de Saint-Sauveur ; je fais tout à peu près mais c’est quand même moi qui me ramasse avec quatre flots dans les pattes, à leur expliquer comment on doit s’y prendre. Le Végétalien me dit que c’est parce que je fais une imposteure très convaincante.

Je lis Borges en espagnol, sûrement pour contenter mon fond masochiste, & quand il pleut j’ouvre grand la fenêtre pour que l’odeur de l’eau se glisse entre les pages trop sèches.



dimanche 7 juin 2009





Trois histoires sur la côte Salaberry :


1) C’est vendredi soir & je traîne Unaï & le Végétalien à Où vas-tu quand tu dors en marchant?. Il y a des ballons de lumière qui tracent un chemin dans Saint-Roch, qui montent jusqu’au parc Lucien-Borne, & moi je les suis avec de grands yeux avides. Le Végétalien est exactement de la même grandeur que moi & Unaï nous dépasse tous deux d’une tête parce qu’il fait dans, je sais pas, quelque chose comme six pieds six ; je me sens à la fois trop grande & toute petite. J’ai enroulé mon foulard autour de mon cou & j’y enfouie mon nez chaque fois que je ne trouve rien à dire.

Nous escaladons la côte Salaberry à petits pas lents. Il pluviote encore un peu & je me retourne un moment pour regarder les lumières de la ville briller dans l’air mouillé de la nuit. Le Végétalien me voit faire & s’indigne un peu contre toute l’urbanité qui gobe les forêts ; Unaï rit & dit que c’est beau & que c’est tout, rien d’autre pour ce soir s’il-te-plaît. Ils se chamaillent sans se prendre au sérieux & moi je traîne derrière en riant toute seule, les pieds mouillés dans mes sandales.


2) C’est un autre vendredi soir & j’ai dit au Végétalien que j’irais voir la projection de Home organisée par les Ami(e)s de la Terre. La côte Salaberry s’étire devant moi & je suis en retard, je suis toujours en retard quand je ne veux pas vraiment arriver quelque part. Je viens de me résoudre à faire irruption dans la salle après le début du film lorsqu’une voiture s’arrête à côté de moi. Un gars & une fille, tout un flot de musique reggae, on t’emmène en haut de la côte?. Je me glisse sur le siège arrière encombré. J’arrive à temps, tout juste.


3) Je travaille au Centre Frédéric-Back pour l’été & je me traîne le long de Salaberry tous les matins parce que je déteste à peu près tous les escaliers qui relient la Basse à la Haute-Ville. (S’ils sont en bois je récolte de longues échardes en faisant glisser ma main sur la rampe, s’ils sont en métal j’ai toujours cette image de moi les dégringolant parce que mon pied droit, seulement le droit, n’a pas su se cramponner à la marche.) Vers neuf heures & quart, je suis à cet endroit de la côte où on commence à pouvoir regarder le quartier en bas & je vois toujours la même fille — lunettes fumées, long toupette droit qui chatouille les sourcils, tasse à café isolante. Ses talons doivent claquer contre le trottoir, mais avec le trafic je ne les entends pas.




Puisque c’est le mois du show-offage : j’ai gagné un tout petit prix littéraire & je me suis fait chicanée par Marie Gignac parce que je ne me suis pas présentée à la cérémonie de remise. C’était un peu surréaliste.