lundi 20 décembre 2010





Aujourd'hui je me suis levée & Porcelaine était déjà partie pour Montréal avec son copain américain. J'avais un dernier cours d'anglais à donner dans un dernier parc industriel en attendant pour la dernière fois un autobus sur le parcours le moins fiable du Réseau de transport de la capitale, mais sinon j'ai eu une journée comme un dimanche douillet de février -- trop de café le matin & du jus de pamplemousse en après-midi & une bière en parlant au téléphone, lentement, en espaçant mes phrases pour y glisser des gorgées. Une sieste sur le divan du salon avec René-Chat & tous ses ronronnements, dans les débuts de noirceur qui descendent sur quatre heures & quart. Du tricot devant de vieux épisodes de séries policières, exactement comme la petite grand-mère que je serai un jour, la laine verte un peu revêche qui laisse des filaments duveteux sur mes cuisses & les aiguilles de plastique qui s'accrochent aux doigts. & puis les livres, toujours les livres, qui font oublier les mauvaises journées & les doutes les plus laids, les peurs toutes croches qui me tiraillent parfois le coeur.

J'ai hâte à Noël, & j'ai hâte d'aller chercher un quelqu'un à l'aéroport le 26 décembre, le 26 décembre qui est dans six jours!, mais je suis bien dans la douceur de ce soir, dans la tranquillité si parfaitement immobile de ce soir, pas un bruit dans l'appartement d'au-dessus & pas un bruit dans le mien, seulement René qui ronfle le museau pressé contre les pattes de devant, seulement moi qui ai envie d'être sereine, & de lire de bons livres, & d'aimer de bonnes personnes, & de dire les choses exactement comme elles méritent d'être dites.

Je suis heureuse.



vendredi 17 décembre 2010





Depuis que le copain américain de Porcelaine est arrivé, il y a chaque jour un peu plus de bouteilles de vin aux trois-quarts vides qui s'étalent dans la cuisine. Ça a quelque chose de particulièrement réjouissant -- l'alcool en bonne compagnie, toujours, mais aussi le désordre joyeux, festif, bouillonnant! qui me remue le ventre.




J'ai vu une de mes classes de débutants pour la dernière fois hier midi, & comme les Russes ils m'ont donnée du chocolat, toute une tonne de chocolat, & comme les Russes ils ont écrit dans une grande carte de souhait, laborieusement, la syntaxe hésitante, que it is hard to learn us things, but you succeed all the same because you are a wonderful and joyful teacher.




Je lis deux livres en même temps & ils sont parfaits chacun à leur façon, parce que quand je suis tannée des histoires du coming-of-age d'une fille de dix-sept ans dans un château délabré de l'Angleterre des années trente, je peux lire Génome, & quand j'ai la tête surchargée d'ARN & d'ADN & de gènes égoïstes & de chromosomes, je peux lire I Capture the Castle. J'alterne entre les deux dans mes trop longs trajets en autobus, en gardant mes écouteurs sur mes oreilles même si je n'écoute pas de musique, & ça me donne l'impression de réussir, une bonne fois pour toutes, à créer entre le monde & moi un écran duveteux qui assourdit la vraie vie.



mercredi 15 décembre 2010





Souvent pour me calmer j'énumère les choses qui méritent d'être décrites correctement, posément : les avant-midis de décembre où le soleil faible est bas dans le ciel, la chaleur du premier café qui s'échappe de la tasse en volutes légères, l'odeur rassérénante de Porcelaine, un mélange de cigarettes & de shampoing à la menthe, qui s'attarde dans les coussins du divan. Ça aide.




J'ai commencé à écrire parce que j'aimais lire, parce que j'aimais tellement lire que je voulais m'incruster dans les livres & leur coquille friable de mots & de papier & de silences gonflés, pleins à craquer d'histoires. Aussi parce que je voulais, que je veux encore vivre dans un monde où, à défaut d'être intelligibles, les choses sont bien dites. Bien écrites. Je sais pas si c'est seulement moi, je sais pas si je suis toute seule là-dedans, mais moi c'est pas vrai que j'ai commencé à écrire parce que j'avais des choses à raconter, trompettes pompeuses & roulement de tambours. Les choses que j'ai racontées & que je raconte sont entièrement ordinaires. Personne n'en a besoin. Alors écrire pour moi c'est très égoïste, ça m'a toujours paru très égoïste, presque honteux, certainement présomptueux -- un espèce de t'es qui toi, tu te prends pour qui? qui lâche jamais. Je pense qu'il me manque l'arrogance de croire que j'ai quelque chose à ajouter. Je pense que je peux pas être (ark que j'aime pas le mot qui s'en vient) une artiste sans le mélange d'insolence & d'audace & de suffisance, juste un petit peu, la suffisance, qui me chamboule chez certaines personnes & que je pourrai jamais, jamais avoir. Je pense que c'est une des raisons pour lesquelles j'ai un peu de misère, ces temps-ci.

J'ai un peu de misère parce que j'ai renvoyé le manuscrit corrigé au monsieur qui est mon directeur littéraire, & j'ai angoissé à l'idée qu'entre mes trois emplois à temps partiel j'avais sûrement réussi à botcher la job solide, & j'ai reçu les maquettes pour la couverture du livre, & j'ai trouvé ça extraordinairement, incroyablement joli, & je me suis demandée quand est-ce que mes affaires arrêteraient de marcher, quand est-ce que tout se déconcrisserait en même temps. C'est une chose que je veux depuis très longtemps & je suis encore convaincue que je vais réussir à bloquer le processus par la force de, je sais pas, ma propre insignifiance.

& je dis ça, mais. Je fais crissement pas pitié.




Aussi : je pars en France à la mi-janvier, à Toulouse, parce que j'ai un contrat comme chargée de projet là-bas pour trois mois & demi. J'ai hâte. & j'ai pas dit à personne, dans les huit cent cinquante deux entrevues que j'ai eu à passer pour avoir le poste, que dans dix jours il y a quelqu'un qui arrive, de Toulouse, & que c'est quelqu'un que j'aime beaucoup, & que mi-janvier nous repartirons tous les deux pour la même ville, presque en même temps.