samedi 28 janvier 2012




Qu'est-ce qui reste aux journées quand elles sont presque entièrement grises, de l'eau qui stagne dans les grandes flaques de gadoue jusqu'aux petits bouts de ciel qui chatouillent le haut de mes fenêtres? Le thé très rouge, peut-être, mon ukulélé turquoise, le rose de mes lèvres toujours gercées, écrire sur les collines d'un vert humide qui entourent Gasteiz. Tricoter avec application des bas rayés, du jaune & du vert, encore ; tenter de qualifier le orange des taches de rouille qui montent le long des vélos toujours empilés dans la cour intérieure -- orange brunâtre, orange calciné? Écouter Pierre & Marie en boucle & penser à toutes les couleurs que je connais pas. Chartreuse, est-ce que c'est commme une sorte de jaune?

C'est ce que je me demandais hier, mais aujourd'hui il fait beau & j'y pense plus.




Je me suis aperçue que le plus souvent je vois l'acte d'écrire comme quelque chose de très délicat, une petite créature fragile qu'il faut enrober de précautions, de routines particulières, pour laquelle il faut créer des espaces douillets & réconfortants, de bons espaces chauds où le monde extérieur ne s'insinue presque pas. Je suis pas certaine que ce soit vrai. Ces temps-ci tout ce que je fais est très chaotique, j'empile pêle-mêle des phrases qui sortent de nulle part, & c'est pas comme une image de cinéma, je serai jamais cette figure de l'écrivain qui entre littéralement en transe devant l'écran de son ordinateur, mais il y a quelque chose de bon dans le désordre. Ça m'aura pris très longtemps à le comprendre.




Hier la madame au comptoir de la bibliothèque de quartier m'a reconnue quand je suis venue récupérer une réservation, un grand sourire & oui oui oui, je sais que j'ai quelque chose pour toi. & c'est pas la première fois, mais je me suis sentie chez moi ici, à Montréal.


vendredi 20 janvier 2012




Chez moi c'est tout petit & chaque fois que j'y entre ça sent le café, ça embaume le café, une bonne odeur corsée qui réchauffe quelque chose en moi, je pourrais pas dire exactement quoi, peut-être le plexus solaire ou cet endroit que je sais jamais comment décrire, un peu passé la base du cou, là où les clavicules distendent la peau & forment comme ds digues devant toutes les plus petites marées du monde.

Ça me rappelle aussi que je m'étais promis de boire beaucoup moins de café, c'était ma seule & pitoyable & minuscule résolution du Nouvel An, mais ça c'est déjà autre chose.




Cette semaine je suis passée assez systématiquement à travers toutes les archives de Nous sommes les filles &, tsé. C'est ce que vous devriez faire aussi, je pense.




C'était au début du mois de janvier & c'était très tôt le matin ; je suis sortie pour que le froid de l'hiver chasse ce qui me restait de décalage horaire. Il faisait encore presque noir, seulement de grandes traînées de gris pâle dans le fond du ciel, mais au coin de St-Denis & St-Joseph il y avait déjà un squeegee qui plaidait à genoux devant une voiture de police. Il y avait des morceaux de sable & de gros sel sur les trottoirs, & je me suis dit que ça grugerait le tissu de ses pantalons s'il restait comme ça trop longtemps.

J'ai marché longtemps parce que j'avais la tête trop embrumée pour faire autre chose. J'avais laissé mes mitaines chez moi alors après un moment j'ai fait quelque chose que je fais jamais : je suis entrée quelque part pour prendre un déjeuner un oeuf bacon des toasts pleines de beurre à trois & quatre-vingt quinze. Quand la serveuse est venue prendre ma commande je n'avais pas faim, mais dès que j'ai crevé le jaune d'oeuf pour y tremper un bout de pain j'ai eu envie de tout engloutir, il y avait quelque chose dans mon ventre qui s'était ouvert. Je me suis dit que manger c'est comme avoir du chagrin, un peu : plus on pleure & plus on trouve des raisons d'être triste. À la radio il y avait Frank Sinatra qui chantait une chanson de Noël même si ce n'était plus Noël, & ça m'a fait penser à toi.




jeudi 12 janvier 2012




Le 23 décembre j'ai pris une des premières navettes pour l'aéroport, celle de six heures ; de grands bouts de nuit traînaient encore sur la ville, du noir & du gris mais pas vraiment de neige, pas encore. Autour du coin René-Lévesque & Peel il y a trois très petites Latino-Américaines qui sont montées, enrobées comme moi dans de longs foulards de laine & toute une pelure de fatigue. La plus jeune s'est endormie sous son capuchon bordé de fausse fourrure & les deux autres ont entrepris une conversation languissante, toute plein de répétitions & de syllabes encore engourdies par le petit matin. Je me souviens qu'elles se vouvoyaient l'une l'autre avec des usted très formels. J'ai regardé les premières miettes de trafic par la fenêtre en les écoutant parler des congés qu'elles n'auraient pas & de Noël qu'elles passeraient à faire des lits, tapotant les oreillers de leurs mains asséchées par les produits nettoyants.

Moi le soir même je suis restée bloquée à Chicago, dans une grande chambre d'hôtel payée par Air Canada, & je me suis rappelée l'année où je m'étais levée à six heures le premier janvier pour aller nettoyer les restes de la veille du Jour de l'an à l'Auberge Saint-Antoine. À six heures quarante-cinq, les rues de Québec étaient tellement vides & blanches, tellement pleines de ce silence particulier que la neige en tombant tisse dans l'espace, que ça m'avait donné le goût de me lover contre quelqu'un, n'importe qui, parce que partager un moment avec une autre personne c'est aussi le prolonger, juste un peu, en se réservant la possibilité de le revivre plus tard, de verbaliser un souvenir qui n'est pas qu'à nous. Parce que quand il y a quelqu'un d'autre, tout devient juste un peu plus vrai.

& puis je suis arrivée à l'Auberge, & j'ai vu que les chambres étaient sales à en donner mal au coeur, & j'ai eu envie de pleurer. Il y a même une suite, je m'en souviens, qui a réussi à me couper l'appétit pendant à peu près trente-six heures.

Mais le 23 décembre, à Chicago, je me suis endormie en regardant un épisode de Say Yes to the Dress!, une fille confrontée au dilemme de sa vie parce que son père refusait de lui allouer plus de 4500$ pour sa robe de mariée. & le lendemain je suis partie en laissant trois dollars fripés sur l'oreiller.




Je suis arrivée à Toulouse avec soixante-neuf copies d'examen dans mes valises, toutes à corriger avant le six janvier ; je suis repartie avec des livres & une nouvelle robe, le souvenir d'un café en terrasse l'après-midi du 27 décembre, certains chagrins tenaces, on y échappe pas, mais aussi de belles choses dans le ventre & un tout nouvel ukulélé, surtout, que je ne suis pas certaine de savoir accorder comme il faut mais dont je joue tous les jours, au moins juste un peu pour le plaisir d'enterrer mon voisin quand il se remet au piano & aux trémolos de ses mauvaises ballades faites maison.

Ç'a été un très beau Noël.