mercredi 23 décembre 2009





Peut-être qu'on n'habite pleinement que les endroits où il y a des gens pour nous aimer.

Peut-être que c'est pour ça que voyager c'est si beau mais si froid, parfois, des villes & des villages & des paysages & des arbres aux branches démesurément grandes, démesurément & désespérément tendues vers le ciel, les feuilles pourries de l'automne coincées sous la neige & du givre comme de la dentelle sur le béton des édifices -- toutes ces choses que l'on regarde comme si elles étaient bien à l'abri sous une cloche de verre.

Peut-être que j'ai un petit peu froid, ces temps-ci.




C'est Noël vendredi mais pas ici, ici Noël c'est le 7 janvier & de toute façon ce qui compte c'est le Nouvel An, les cadeaux & le sapin & toute la pénible logistique des partys de famille, tout ça c'est durant la nuit du trente & un janvier. Mais pour moi Noël c'est vendredi & vendredi je travaille parce qu'ici ce n'est qu'une autre journée trop courte de décembre. & moi vendredi j'aurais envie d'être en vacances, de vraies de vraies vacances, toute une journée à lire War & Peace près de la fenêtre, lire lentement & tourner la tête juste un peu, de temps à autre, juste assez pour voir la neige tomber.

J'aurais envie du café très fort de ma mère, celui qui est presque sirupeux contre les parois de la tasse, celui que mon père est incapable de boire ; j'aurais envie de jeux de société avec ma petite famille, n'importe quoi sauf Scrabble parce qu'il y a personne au monde qui soit pire que moi au Scrabble, le chien recroquevillé en virgule sous la table & mes orteils nus qui frôlent son petit corps chaud. J'aurais envie de faire des biscuits avec ma mère, de la farine jusque sous les ongles, le glaçage récalcitrant qui colle partout sauf là où il devrait, le comptoir le tablier le bout de mes cheveux trop longs. J'aurais envie de vieux films mal doublés à la télé, de longues journées en pyjama avec ma soeurette, de fondue au chocolat le jour de Noël, de mon grand-père qui bénit en pleurant les soixante-dix-huit membres de la famille étendue, ma grand-mère qui le console Rémi, ben voyons Rémi, de mes deux autres grand-parents tout frêles dans leur appartement, leur table qui croule sous les bonnes choses, Nanny qui ressert tout le monde de force avec des shush now, don't want to hear you refuse me anything, me being such an old lady now, turkey sweetheart? pendant que mon grand-père enjolive avec enthousiasme ce qu'il a lu dans la Gazette du matin. J'aurais envie, peut-être surtout parce que je suis loin, j'aurais envie de toutes mes tantes & de tous mes oncles & tous les cousins cousines petits&petites-cousins-cousines, toute une grande tribu bruyante à laquelle j'ai pas toujours l'impression d'appartenir mais que je connais & que j'aime & avec qui rien à faire, je serai toujours très jeune jusqu'à ce que je sois soudainement plus vieille que tout le monde.

& j'aurais envie de chaleur, de vraie chaleur douillette, tellement réconfortante qu'elle en alourdit la tête, & j'aurais envie de nuits toute nue dans le lit de Juillet, & j'aurais envie de nous enfouir sous les couvertures comme sous une tente, comme dans la meilleure des cachettes, comme quand j'étais petite & craintive, & j'aurais envie de lui parler doucement, tranquillement, de toutes les choses sur lesquelles je peine tellement à mettre des mots.




Kyoto est repartie chez elle pour Noël & il reste Porcelaine & moi, fidèles au poste, le nez pressé contre la vitre dès que le soleil se pointe chaque matin. Le coeur grand ouvert, mal emmitouflé, qui prend froid trop souvent. Mais qui bat & qui bat & qui bat dans ma poitrine, fort & fier & follement amoureux de la vie, je pense.



dimanche 6 décembre 2009





J'aurais tout plein de choses à dire, parce que je suis allée en Lettonie & que j'ai eu vingt-quatre ans (vingt-quatre!) & que je me suis fâchée contre Juillet juste assez longtemps pour acheter une bouteille de vodka cheapette à partager avec Porcelaine, à boire à même le goulot parce que ça fait plus sérieux comme ça, on noie pas ses peines correctement dans une coupe à champagne cibole! que Porcelaine rajoutait, & que le lendemain il m'a écrit j'espère que t'as pas trop bu hier soir parce que là tu vas être malade, t'es trop loin pour être malade, je m'excuse, j'aurais dû m'excuser avant parce que là je sais que tu dois être malade & que moi j'ai été prostrée dans mon lit toute la journée, malade malade malade mais quand même passablement heureuse, & que War & Peace c'est l'événement littéraire de ma vie, magnifique, grandiose, des milliers de roulements de tambours qui s'échappent des pages, & que les premiers épisodes de Twin Peaks blottie dans le même lit que Kyoto, & que de la crème glacée en cadeau, & que le sable doux du golfe de Lettonie, & que les mots russes échangés très vite, & que. Mais ce que j'ai envie de dire, c'est : je suis riche, je suis plus riche que prévu, ma carrière d'enseignante en Russie est assez spectaculairement lucrative & j'avais pas du tout envisagé la possibilité que peut-être j'aurais un jour autant d'argent. Alors le 10 janvier je prends l'avion pour Québec. & je prends tout un mois de congé. & à mon retour à Moscou j'aurai déjà tout plein d'étudiants qui m'attendront, & ma patronne m'a déjà fait signer les contrats & tout & tout, & c'est la Russie alors c'est vrai que tout peut toujours changer, mais. Mais maintenant il y a une petite neige légère qui flotte sur le sol, & le ciel gris est presque bleu si on regarde très vite, & moi, moi moi moi j'ai le coeur heureux à en éclater.




& novembre 2009

The Death of Ivan Ilyich & Other Stories, Leo Tolstoy
Théâtre complet I : Ce fou de Platonov, Ivanov, La Mouette, Les Trois Soeurs, Anton Tchekhov
Amandes & melon, Madeleine Monette
La nouvelle poésie russe : anthologie, poèmes présentés par Evgueni Bounimovitch
Nouvelles de Pétersbourg, Nikolaï Gogol
L'Hiver au coeur : novella, André Major
A Hero of Our Time, Mikhail Lermontov
Kamouraska, Anne Hébert




Cet été, du temps où j'habitais encore mon petit appartement dans St-Roch, j'ai essayé de faire écouter du Robert Charlebois à Unaï. Unaï qui aime la musique traditionnelle, presque exclusivement, surtout celle qui vient d'Irlande, des reels interminablement répétitifs, & qui joue de la flûte celtique, & qui, de tous mes disques alors soigneusement rangés en ordre alphabétique, aimait juste, juste un peu mais pas trop, Bette & Wallet.

Alors Robert Charlebois, pour Unaï. Une soirée de fin juin, de trèstrès fin juin, des boîtes partout autour de nous parce que je déménageais le trente. Il y avait ses cheveux qui bouclaient sous mes doigts, sa tête sur mes cuisses, ses longues jambes accrochées en virgule au bout du sofa. Puis il y a eu la chanson que j'aime pas vraiment, celle qui dit mais l'amour infiniiiii me montera dans l'âme, celle qui m'a fait rire d'un petit rire méprisant, l'amour infini, qui est-ce qui parle encore d'amour infini? & Unaï qui a ouvert les yeux, a réfléchi un bon moment, puis: tu vas toujours aimer. Silence. C'est pour ça que l'amour infini. A refermé les yeux. Comme ça.

J'y ai repensé aujourd'hui. À l'amour, aux gens qu'on aime, aux grands élans de tendresse & de douceur & de joie qui chatouille l'intérieur des joues. Je sais pas si ça dure toujours, ces choses-là ; je sais pas si c'est ce qu'il y a de plus important. Le toujours est flou, le maintenant l'est pas du tout. & moi je sais que je vais passer ma vie à aimer tout le monde tout croche, mais du mieux que je peux. Pas préoccupée par la durée, je crois. Juste par -- tout le reste.