jeudi 12 janvier 2012




Le 23 décembre j'ai pris une des premières navettes pour l'aéroport, celle de six heures ; de grands bouts de nuit traînaient encore sur la ville, du noir & du gris mais pas vraiment de neige, pas encore. Autour du coin René-Lévesque & Peel il y a trois très petites Latino-Américaines qui sont montées, enrobées comme moi dans de longs foulards de laine & toute une pelure de fatigue. La plus jeune s'est endormie sous son capuchon bordé de fausse fourrure & les deux autres ont entrepris une conversation languissante, toute plein de répétitions & de syllabes encore engourdies par le petit matin. Je me souviens qu'elles se vouvoyaient l'une l'autre avec des usted très formels. J'ai regardé les premières miettes de trafic par la fenêtre en les écoutant parler des congés qu'elles n'auraient pas & de Noël qu'elles passeraient à faire des lits, tapotant les oreillers de leurs mains asséchées par les produits nettoyants.

Moi le soir même je suis restée bloquée à Chicago, dans une grande chambre d'hôtel payée par Air Canada, & je me suis rappelée l'année où je m'étais levée à six heures le premier janvier pour aller nettoyer les restes de la veille du Jour de l'an à l'Auberge Saint-Antoine. À six heures quarante-cinq, les rues de Québec étaient tellement vides & blanches, tellement pleines de ce silence particulier que la neige en tombant tisse dans l'espace, que ça m'avait donné le goût de me lover contre quelqu'un, n'importe qui, parce que partager un moment avec une autre personne c'est aussi le prolonger, juste un peu, en se réservant la possibilité de le revivre plus tard, de verbaliser un souvenir qui n'est pas qu'à nous. Parce que quand il y a quelqu'un d'autre, tout devient juste un peu plus vrai.

& puis je suis arrivée à l'Auberge, & j'ai vu que les chambres étaient sales à en donner mal au coeur, & j'ai eu envie de pleurer. Il y a même une suite, je m'en souviens, qui a réussi à me couper l'appétit pendant à peu près trente-six heures.

Mais le 23 décembre, à Chicago, je me suis endormie en regardant un épisode de Say Yes to the Dress!, une fille confrontée au dilemme de sa vie parce que son père refusait de lui allouer plus de 4500$ pour sa robe de mariée. & le lendemain je suis partie en laissant trois dollars fripés sur l'oreiller.




Je suis arrivée à Toulouse avec soixante-neuf copies d'examen dans mes valises, toutes à corriger avant le six janvier ; je suis repartie avec des livres & une nouvelle robe, le souvenir d'un café en terrasse l'après-midi du 27 décembre, certains chagrins tenaces, on y échappe pas, mais aussi de belles choses dans le ventre & un tout nouvel ukulélé, surtout, que je ne suis pas certaine de savoir accorder comme il faut mais dont je joue tous les jours, au moins juste un peu pour le plaisir d'enterrer mon voisin quand il se remet au piano & aux trémolos de ses mauvaises ballades faites maison.

Ç'a été un très beau Noël.


6 commentaires:

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  2. Un très beau Noël, surtout raconté si doucement. Merci.

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  3. Say yes to the dress, un classique du temps des fêtes (ex aqueo avec Next Great Baker).
    Belle année Amélie! x

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  4. Audrée : Merci à toi, tes commentaires sont toujours des cadeaux.

    Adèle : En plus c'était un marathon de 'Say Yes to the Dress' qui passait ce soir-là, je m'en suis tapée comme quatre de suite... c'était magique.
    & une très très belle année à toi aussi!! xo

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  5. "Parce que quand il y a quelqu'un d'autre, tout devient juste un peu plus vrai."

    C'est si beau... et si vrai. J'adore! Je reviendrai souvent :)

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