samedi 29 août 2009





Hier nuit je revenais d'un party où je me suis aperçue que j'étais épuisée parce que, après deux bières, je me suis mise à avoir toute la misère du monde à parler de façon cohérente. Je me suis endormie dans l'autobus un peu avant Limoilou, la joue contre la vitre froide, & quand je me suis réveillée c'était terminus tout le monde descend & j'avais manqué mon arrêt. J'étais à vingt-cinq minutes de marche de chez mes parents & le vent faisait chanter les arbres. Alors je me suis traînée sur la route vide & je me suis couchée sans me brosser les dents.

Mon contrat de travail se termine vendredi & ça tombe bien parce que je commence à avoir la fatigue de tout un été dans le corps.




Je pensais à tous les débuts que j'ai eus avec tous les garçons qui m'ont laissée quelque chose dans le coeur, & vraiment c'est toujours joli --

Partick B, qui est tombé amoureux de moi parce que mon casier récalcitrant me faisait faire de drôles de grimaces.

Adam qui était anglophone, qui avait quatorze ans & les cheveux bleus & une blonde, une blonde vraiment blonde qu'il a laissée une journée après m'avoir parlé pour la première fois à l'aréna municipal, devant une partie de hockey que je trouvais horriblement ennuyante. J'avais les mains congelées & il m'avait prêté ses très gros gants de skidoo jaunes fluo.

JR, trop grand trop maigre de jolis yeux bleus très doux, & quand il m'avait demandé si je voulais aller voir The Fast & the Furious au cinéma avec lui j'avais passé tout un après-midi à danser de joie dans ma chambre.

Jean que j'ai embrassé sans trop savoir pourquoi, à un party dans le bois où on faisait jouer beaucoup trop de Pink Floyd, & qui plus tard dans la nuit s'est glissé dans ma tente pour venir dormir dans le même sac de couchage que moi.

Mike l'ami d'une amie, qui était beaucoup trop vieux pour moi, qui goûtait la cigarette & le bloody cesar, qui disait j'aime tellement tellement ton accent.

Jonathan, au neuvième étage du pavillon Parent, à s'embrasser après avoir passé la moitié de la nuit à regarder la plus grosse tempête de neige de l'hiver.

Sergi le Catalan, Sergi! C'était le jour de sa fête & nous étions seuls dans un des corridors de la bibliothèque ; je lui ai dit ferme les yeux, j'ai quelque chose pour toi & je l'ai embrassé sur la bouche & je suis partie. Comme ça. Très fière de moi.

F sous la neige, sur la rue Saint-Jean, trop de manteaux & de pelures entre nos corps. Le trottoir glacé & comme une drôle d'urgence dans le bout des doigts.

Unai & son tout petit coin de grenier, la bière aux bleuets qui me tombe presque des mains.

J qui glisse ses doigts contre ma paume au retour du Sacrilège, avec toutes les précautions possibles, & qui me sourit du plus joli sourire au monde lorsque je caresse le dos de sa main du pouce, doucement.



lundi 24 août 2009





Je dis certaines phrases, certaines toutes petites phrases, & il y a comme quelque chose qui s'envole dans ma poitrine, des mots qui deviennent oiseaux pour mieux venir frôler ma joue de leurs ailes. J'aime les causes perdues & les bonheurs précaires ; les grandes explosions sous les côtes, aussi, & les bouleversements qui n'attristent pas.

Ça, ça ne se guérit pas.




Du melon d'eau en cadeau, deux heures à essayer de trouver des gants rouges à Limoilou, la canicule dans des draps trempés de sueur ; recopier l'alphabet cyrillique de mémoire avec un stylo à bille récalcitrant & sa petite soeur qui me dit t'es dont ben belle t'es dont ben fine!, les yeux grands comme ça & le coeur à découvert.

Des heures & des heures à inventer dix-huit types de nuages différents & à regarder le ciel en l'entendant me dire des choses comme toi t'es pas un hasard dans ma vie.

J'ai reçu mon visa aujourd'hui & je pars pour Moscou le 13 septembre. Il y a beaucoup de choses que je remets en question mais il y en a encore tout plein que j'ai envie de vivre & vivre & vivre, alors. Je sais pas. Je manque de mots pour toute la douceur & tous les débuts de chagrin que j'ai dans le ventre.



mardi 18 août 2009





La vie ces jours-ci passe beaucoup trop vite pour que j'aie le temps de la raconter.

Beaucoup, beaucoup de bonnes choses --

La visite d'une amie qui me laisse une rasta fragile dans les cheveux & une très grande joie dans le coeur. Comme une nostalgie des choses qui passent & passent & passent, aussi.

Tout un après-midi avec le Végétalien, à se faire asperger par la bruine des chutes Montmorency, la peau du visage qui sèche trop vite sous le soleil pesant. Puis son nouvel accordéon fait maison, ses plants de tomates qui envahissent le balcon de la voisine ; couper des millions de légumes dans un coin de la cuisine & récolter du basilic frais pour assaisonner le repas. Ses grands yeux bordés de cils épais qui me détaillent d'une drôle de façon, toujours.

Les Voûtes samedi soir, avec tout plein de gens & beaucoup trop de bière, à fêter un quinze août pas très acadien où le chansonnier finit quand même par jouer du 1755, cette chanson toute simple dans laquelle le monde a bien changé & je t'aime à tous les jours.

& puis le garçon avec qui je travaille, le garçon qui est le plus extraordinairement gentil de tous les garçons que j'ai connus, le garçon qui s'enthousiasme pour tout ce qui lui passe sous le nez & le garçon qui essaie d'arrêter de fumer en répétant tout bas quatre mille substances toxiques quatre mille quatre mille!. Le matin chez lui il chatouille ma peau & prépare le déjeuner, des oeufs du gruau de belles pommes rouges des bagels du très bon café noir ; le soir il téléphone toujours & souvent il sacrifie sa place de stationnement durement acquise dans une des rues étroites de Saint-Jean-Baptiste pour venir me chercher jusque dans le fond du fin fond de Charlesbourg. Il parle de moi à sa famille & quand je rencontre sa mère, un samedi matin où j'ai les cheveux emmêlés & les vêtements fripés, elle me dit j'ai toujours rêvé d'aller en Russie. Il m'amène au chalet de son père pour mieux voir les Perséides, il démarre le feu tout seul parce que j'ai toujours eu très peur des allumettes & il décapsule toutes mes bières. Il me dit j'ai jamais rencontré une fille comme toi & je ne comprends pas trop ce qu'il veut dire, comme moi comment?, mais ça me fait quand même une joie comme un orchestre dans la poitrine.




C'est la première fois de ma vie que je manque de temps pour lire. (Ça a quelque chose de rafraîchissant.)



dimanche 9 août 2009





Nous revenions du Sacrilège, où la musique avait passé de Noir Désir à France Gall, & le gars avec qui je travaille m'a dit j'ai envie de t'embrasser depuis la première fois que je t'ai vue. Alors je l'ai embrassé. Sur la nuque, la clavicule. Cet endroit où la mâchoire rencontre l'oreille. La tempe gauche. Sa joue mal rasée & ses pommettes hautes & ses drôles de lèvres pleines & & &.

(Va falloir que je lui trouve un nom autre que le gars avec qui je travaille.)

C'est pas que j'ai la mémoire courte, je crois pas ; c'est qu'il y a beaucoup trop de gens à aimer.



samedi 8 août 2009





J'ai emprunté de petits manuels de russe à la bibliothèque, pour me pratiquer. J'y répète des phrases simples qui roulent sur la langue, des phrases minuscules qui me font croire que je suis déjà polyglotte. J'engloutis de grands verres d'eau parce que ça me dessèche la gorge.

Il y a, à l'intérieur d'un livre commencé le mois passé, un post-it qui s'accroche aux pages fripées. Un garçon avec qui je travaille y a griffonné son numéro de téléphone après avoir recopié le mien, ça veut pas dire grand-chose mais ça me travaille quand même. J'ai pas tellement envie d'y penser.

Jeudi soir je revenais du travail, je marchais tout doucement & dans le ciel il y avait la lune qui brillait, ronde & pleine comme un sourire.



dimanche 2 août 2009





Mes parents ont déménagé dans le fin fond de Charlesbourg à la mi-juillet & moi j'ai déménagé avec eux hier, en fin d'après-midi, pour ce qui me reste de temps à Québec. Tout le monde me dit comme ça tu vas économiser des sous! mais il y a autre chose, il y a que je m'ennuie d'eux par anticipation. Je m'ennuie de tous les petits bouts de quotidien que je vivrai ailleurs, très loin d'eux.

J'ai acheté une passe d'autobus, la première depuis deux ans, & je me sentais comme une petite vieille de soixante-douze ans parce que le flot du dépanneur a dû m'expliquer que maintenant c't'une carte à puce rechargeable. Aujourd'hui j'ai versé du café dans une grande tasse isolante & j'ai fait le trajet jusqu'en Basse-Ville ; j'étais assise à l'arrière & je lisais La memoria très lentement, en soupesant chaque mot. J'aurais eu envie d'être dans un train, pour que la cadence des phrases suive le rythme des roues sur les rails.

J'ai acheté mon billet d'avion & je complète ma demande de visa, demain j'enverrai tout ça au Consulat ; le mois d'août passera très vite & bientôt je serai partie, c'est fou comme bientôt je serai partie.




& juillet 2009

Los Ríos Profundos, José María Arguedas
La solitude des nombres premiers, Paolo Giordano
J'étais une petite fille de sept ans, César Aira
A Brief History of Time : From the Big Band to Black Holes, Stephen W. Hawking (... & Ulf était incroyablement meilleur.)
Humains aigres-doux, Suzanne Myre
La Sombra del Viento, Carlos Ruiz Zafón
Ici & là : récits, Stéphanie Kaufmann
Lectodôme, Bernard Laverdure




Pour l'instant j'ai envie de lire des romans tristes & d'écouter du Johnny Cash, peut-être boire un peu trop de bière, mais ça passera. Il pleut & j'oublie déjà tout plein de choses. C'est ça le plus triste, sûrement : la précarité des souvenirs.