lundi 30 mars 2009





Toujours envie de ressasser les mêmes choses, toujours envie de m'enfouir dans des conversations familières -- celles des tout débuts ou celles qui bercent le poids de semaines & de mois & d'années à s'apprivoiser. Ce sont les entre-deux qui m'épuisent. Quand je sais que tu as deux frères un chat vieillissant encore une grand-mère, que tu sais que par ordre de préférence j'aime la rousse la noire la blonde la blanche; quand il y a une certaine limite à accumuler les détails superficiels & qu'il faut se résoudre à creuser & que je fais une tentative puis deux, toujours avec ce malaise un peu vague dans le fond de la gorge parce qu'en fait moi j'ai pas du tout envie de livrer de petites parties de moi à tous les gens qui s'incrustent dans ma vie. Mais que c'est donnant-donnant, & que le sarcasme c'est seulement bon les deux premières soirées.

Souvent je voudrais dire y'a rien d'autre, ou enfin y'a rien de caché. Je déambule pas parmi les gens en cachant sciemment des choses de moi. Je veux dire, je dis pas à tout le monde que je passerais des heures à regarder des previews de films ou qu'il y a des pays avec lesquels je tombe en amour sans jamais y être allée ou que parfois j'écris à m'en donner mal à la tête, mais qu'est-ce que ça change? Tout le monde est un peu bizarre & un peu ordinaire & un peu toutes sortes de choses, & pourquoi on se mettrait à les apprécier plus simplement parce qu'ils réussissent à nous surprendre? Moi j'aime les gens qui me font sentir bien. Moi je veux être avec des gens qui demandent que ça: le maintenant & le tout de suite & le comment on est là, dans l'immédiat. J'ai pas besoin de connaître chacune des excentricités bien dissimulées de mes interlocuteurs, j'ai pas besoin qu'on se penche sur leur passé pour avoir l'impression de les comprendre. Les gens nous montrent toujours comment ils sont, ils peuvent pas faire autrement. Faut se résoudre à prendre ce qu'ils donnent & à les aimer comme ça, sans chercher les pelures d'oignon qu'ils nous permettraient de froisser du bout des doigts.

Peut-être que je suis pas généreuse. Mais mes histoires à moi sont à moi & je les aime comme ça, tapies dans mon ventre. Pas sautillant d'une bouche à l'autre, gobées entre deux bouchées de n'importe quoi.



vendredi 27 mars 2009


Ç'a l'air que des fois, de toutes petites fois, quand je fais tout tellement vite que j'ai pas le temps de comprendre ce que j'ai commencé, je me mérite des dates broche à foin & la perspective de beaucoup, beaucoup de bonne bière noire.




Celia dit: il y aura toujours un chapelet de prénoms qu'on t'attache autour du coeur & que tu ne sais jamais comment désemmêler.
Katia Belkhodja, La peau des doigts
J'ai lu deux livres en deux jours. Parfois c'est reposant de suivre les mots & de tout de suite savoir comment on devrait se sentir.




Pour la Journée de la femme, ou enfin la veille, je suis allée à un cabaret féministe dans un café-bar que j'aime, à trois minutes de chez moi. & durant la soirée il y a une fille très grande, toute filiforme, qui est montée sur scène & qui a commencé un peu en s'excusant: "C'était pas ça que j'avais prévu, mais... j'ai tellement rencontré une belle personne, ça fait que j'ai écrit des chansons d'amour!" & le plus souvent c'est ce dont j'ai envie, je pense. Être avec quelqu'un qui donne le goût d'être gentil & d'aligner tout plein de mots doux, parce que de toutes façons il y a rien d'autre qui sort.

Mais j'ai le goût de plein de choses. Déménager à Limoilou pour avoir une galerie & un escalier en fer forgé; passer le printemps en Mongolie; tracer une marelle sur le trottoir & sautiller jusqu'au paradis. & je le sais que c'est difficilement explicable, le bonheur qui vient de pas grand-chose, mais j'aime beaucoup ma vie. Mes gens & ma ville & mes voisins qui font trop de musique & mon contrat qui se termine & toutes les histoires que j'ai dans la tête. J'ai plus autant de tiraillements & je sais que ça fait de moi, je sais pas, quelque chose d'anodin & de comme tout le monde, mais c'est correct. Plus je suis petite & plus je suis sereine.



mercredi 25 mars 2009





Il y a quelque chose d'apaisant dans: le soleil de fin d'après-midi qui coule à travers toutes les fenêtres. Cat Stevens' Greatest Hits, parce que ça me rappelle la voix de mon père. Le sandwich aux tomates grignoté dans le salon, un livre ouvert sur les genoux. Deux verres de vin rouge. Les cheveux en frisottis dans mon cou. Une fatigue douce comme une nostalgie des choses oubliées.



mardi 24 mars 2009




Rédiger des lettres de présentation toutes plus ennuyantes les unes que les autres, pour des emplois que je suis pas certaine de vouloir occuper. Juste pour un été, juste un tout petit été. J'ai seulement envie d'un travail dehors, genre farfouiller dans un parterre pour y implanter de force une végétation trop luxuriante, mais je crois pas que ce soit ce qu'il y a de plus avisé comme choix: j'ai déjà ma bouteille de crème solaire 45 & le matin je m'en badigeonne le nez, comme une peinture de guerre pour accueillir un printemps encore hésitant. Donc c'est problématique. Donc faut trouver autre chose.




Il y a quelques années (...plusieurs années, en fait, parce que c'était au début de mon adolescence & que je suis maintenant, à l'âge vénérable de vingt-trois ans, une vieille croûtonne en devenir), il y a quelques années, donc, j'ai vu Trainspotting en version originale, sans sous-titres ni rien, & je me souviens que j'avais été plutôt impressionnée de constater que j'étais capable de suivre les dialogues. À l'époque je m'étais dit c'est parce que j'ai une arrière-grand-mère Écossaise! (ce qui est vrai, quoique pas particulièrement pertinent) & j'y avais plus repensé. Mais! Il y a deux semaines & demie, alors que j'errais sur le catalogue électronique du réseau des bibliothèques de Québec (Astrolabe de son petit nom), ma mémoire m'a bondi dessus & je me suis dit Trainspotting! En anglais!, puis j'ai fait une réservation.

Le livre est arrivé à Gabrielle-Roy deux jours plus tard & la couverture est horrible, orange fluo avec une énorme tête de mort argentée qui, lorsque le roman est maintenu exactement au bon angle, réfléchit la lumière du soleil & aveugle les passants. (Je ne le traîne pas dans l'autobus pour le lire parce que j'en ai un peu honte.) Mais le problème ce n'est pas tant l'extérieur que l'intérieur, parce que -- extrait choisi au hasard, je le jure:

He likesay, grabs a haud ay us n hugs us. "Yir one ay the best, man. Remember that. That's no drink n drugs talkin, that's me talkin. It's jist thit ye git called aw the poofs under the sun if ye tell other guys how ye feel aboot them if yir no wrecked..." Ah slaps his back, n it's likesay ah want tae tell him the same, but it would sound, likesay, ah wis jist sayin it cause he sais it tae me first. Ah sais it anywey though.

Ceci dit, c'est tellement bon. & drôle & dégueulasse & touchant. & j'ai beaucoup de plaisir à en lire de longs passages à voix haute dans l'appartement vide, en espérant que les voisins d'en-dessous s'inventent toutes sortes d'histoires sur mon compte au-dessus de leurs restes de spaghetti froid.


vendredi 20 mars 2009





Il y a quelque chose que je ne comprends pas de moi: cette façon que j'ai de toujours, toujours garder espoir.

C'est pas une qualité. C'est un trop-plein d'imagination.

Je m'endors en me racontant des histoires & je m'éveille en me racontant des histoires & la plupart du temps elles ne me concernent même pas. Elles mettent en scène des personnages que j'ai chipés à des livres dévorés étant petite, je les ai tous foutus dans le même bateau & maintenant ils évoluent dans cette espèce de bouillie littéraire dans ma tête, des mondes qui s'entrechoquent & de grandes sagas qui ne finissent plus. Il n'y a personne qui meurt vraiment parce que je m'arrange toujours pour en faire des fantômes; je leur donne des tonnes de unfinished business, comme ils disent dans les films épeurants, alors tout le monde s'accroche aux vivants.

On pourrait croire que c'est assez pour que j'arrête de tisser des broderies autour de la réalité, mais. C'est pas le cas. J'ai des scénarios qui s'amoncellent dans ma poitrine & je les traîne partout avec moi, ils s'incrustent dans mes conversations & se glissent dans tout cet air qu'il y a entre moi & les autres. Ça me fait comme une bulle d'irréalité. & d'optimisme, aussi, alors c'est pas trop grave.




Hier il faisait beau, alors j'ai monté un escalier interminable pour aller trotter en Haute-Ville. En chemin j'ai vu un monsieur en kilt, pas carotté mais quand même, & j'ai enlevé mes mitaines de laine pour mieux sentir le vent chatouiller mes doigts.



jeudi 19 mars 2009


Bilan de ma vie en ce moment:

  • un biscuit chinois m'annonce une AVENTURE AUDACIEUSE (en lettres majuscules);
  • un gars à qui j'ai parlé une toute petite fois me poursuit avec une énergie qui ressemble (à s'y méprendre) à celle du désespoir;
  • un autre gars me dit qu'il m'a toujours trouvée vraiment intimidante & moi tout ce que j'ai envie de répondre, c'est cibole, ça fait trois ans qu'on se connaît!;
  • je tricote des mitaines à une vitesse prodigieuse;
  • j'ouvre toutes les fenêtres;
  • c'est le printemps & j'ai encore envie de partir.

mercredi 18 mars 2009





À Gasteiz il y avait, tout au bout de la calle Dato, une grande vache de plastique. En théorie la rue était piétonnière, en pratique c'était plus compliqué parce qu'il y avait toujours des camions de livraison qui se disaient pourquoi poirauter dans le trafic quand il y a la Dato, mais la vache ne bougeait pas. Au début, avant qu'on ne connaisse bien la ville et ses rues en cercles concentriques-mais-pas-tout-à-fait, c'était notre point de ralliement: nos vemos a las ocho y a la vaca, huit heures & la vache, d'accord. Ensuite ça a été Correos, le bureau de poste aux allures de palais de justice, puis la Plaza de la Virgen Blanca toujours en construction, puis cet endroit près des bacs de recyclage municipaux où on attendait, après avoir sonné chez Shanti. Mais au début c'était la vache, qui ne servait pas à grand-chose mais qui était là, & on l'aimait de tout notre coeur d'expatriées québécoises en pays basque.

Trois mois avant le départ, la vache s'est fait tatouer un Café Plaza en rouge vif sur la hanche & on s'est rendues compte que tout ce temps-là elle n'avait été que la mascotte mal identifiée d'un café où nous n'entrerions jamais. Je crois que nous avons noyé notre désillusion dans la mauvaise bière des bars indépendantistes de Kutxi, avec Shanti qui ne comprenait pas vraiment de quelle vache on parlait et Sergi qui était heureux, dans toute sa cheap-eté catalane, de se faire payer une caña par deux filles vaguement déçues.



samedi 14 mars 2009





Plus beau compliment à vie:

Je pars bientôt &, en guise de cadeau de pré-départ, le technicien comptable de l'endroit où je travaille m'a donnée le premier roman de Jacques Poulin, déniché dans une librairie de livres usagés, parce que ça me ressemble.

(Comme quoi les gens sont tout plein de poésie insoupçonnée.)




Terminer l'examen de russe & le réviser à la va-vite, barbouillant mes doigts de plomb. Sauter dans un autobus tout juste avant qu'il ne démarre & me rappeler à quel point j'aime voir la ville défiler le soir, les lumières & les ombres comme des taches d'encre dans les rues & le moteur qui vibre sous mes pieds. Poser une joue sur la grande fenêtre probablement très sale. Sourire à la nuit en essayant de pianoter contre mon genou gauche cette chanson de Wilco que j'aime beaucoup, love left over from lovers leaving & you're happy because of the lovely way the sunshine bends. Dévaler la Côte d'Abraham & sentir dans ma poitrine comme une joie tranquille qui s'étire & se gonfle, chatouille l'intérieur de mes joues. Me lever en glissant mes mains fébriles dans les poches de mon manteau. Engloutir d'un coup tout l'air de la nuit dans ma gorge & souffler chez moi chez moi chez moi!. Comme ça.




J'ai regardé le troisième des Manifestes en série d'Hugo Latulippe & j'aime Ève Cournoyer d'aimer l'Amérique. Quand elle dit "y'a plein de bonnes choses aux États-Unis... comme Bob Dylan!", j'ai un peu envie de traverser l'écran & de m'asseoir près d'elle pour qu'on jase un brin.




Mercredi j'étais fâchée, jeudi j'étais triste, hier j'avais envie de parler à ma mère.

Aujourd'hui je vais bien & j'ai passé l'après-midi à boire le soleil à grandes goulées.



mercredi 11 mars 2009





Mal au coeur, un peu. Dans les deux sens.



lundi 9 mars 2009





J'ai grandi en Acadie & je suis jamais allée au cégep & j'ai l'impression, chaque fois que je dépose un CV chez un employeur potentiel, qu'il y a comme un trou dans mon parcours. J'aimerais beaucoup le combler avec un aptitude particulière: parle couramment le chiac. C'est déjà plus honnête que de faire croire que je maîtrise Excel.

J'y pense pas mal ces temps-ci parce que j'ai mon contrat qui se termine dans quatre semaines, très exactement quatre semaines, & je me demande si je vais a) en profiter pour débuter une longue (mais pas très lucrative) carrière de parasite sociétal, ou b) devenir fille de mini-bar au, je dis ça comme ça mais ils paient quand même dix-huit dollars de l'heure, Château Frontenac. (En plus j'ai déjà été femme de chambre dans un hôtel où il fallait dire que j'étais préposée aux chambres. & où une des superviseures me reprenait systématiquement sur ma façon de nettoyer la robinetterie des salles de bain, mais ça c'est une autre histoire.)

C'est un ou l'autre, parce que pas envie d'avoir de plans de carrière cet été. Parce que, Russie en septembre. Si si si plein de choses. (!!!)



lundi 2 mars 2009




Une soirée complète à se lancer de grandes beurrées de sarcasme à la figure, puis moi qui m'égratigne les lèvres contre des joues rugueuses, puis des flocons plein les cils & un rire dans le ventre & les corps sous les manteaux épais, les mains sous les mitaines de laine usées. Des pertes d'équilibre sur la glace dans un jeudi soir qui donne déjà sur vendredi matin.


Les trottoirs de cette ville connaissent beaucoup trop d'histoires.


J'ai des choses qui me chicotent, la plupart pas très importantes. Les impôts & les retards à la bibliothèque, l'impression que tout coule trop vite. Inadéquate partout où je passe & le plus souvent il n'y a que moi pour en rire, mais quand même. Quand même. Comme cette douceur du désir que je garde en bouche & dont je me sucre les lèvres; c'est pas rien. Comme cette angoisse légère de tout ce qui me reste à vivre, le grand & le petit & le très comme tout le monde. Comme cette joie de s'inventer une croisée des chemins pour le simple plaisir de sauter dessus à pieds joints.




& février 2009


Coraline, Neil Gaiman
The Golden Compass, Philip Pullman
Au bout du chemin: nouvelles, Stéfani Meunier
Mercredi soir au Bout du monde, Hélène Rioux
La ciudad y los perros, Mario Vargas Llosa
Parents & amis sont invités à y assister, Hervé Bouchard
Tout m'accuse, Véronique Marcotte
Peut-être que je connais l'exil, Annick Charlebois
Je jette mes ongles par la fenêtre: nouvelles, Natalie Jean