lundi 7 février 2011





Dans ma chambre il y a une grande porte-fenêtre qui donne sur un début de balcon, un demi ou un tiers ou un tout petit quart de balcon dans lequel tremper ses orteils. Quand je rentre du travail il fait quinze degrés & j'ouvre toutes grandes les portes malgré le bruit de l'heure de pointe & des klaxons six étages plus bas ; quand je me couche je me tortille sur le matelas pour voir un grand pan de ciel et trois étoiles pâles, très pâles dans la nuit éclairée de la ville ; quand je m'éveille il y a deux moineaux qui chantonnent sur la balustrade en fer forgé. Souvent mes deux colocs british sont déjà en train de parler trop fort au-dessus de leur Twinning's English Breakfast Tea, souvent j'aimerais me rendormir mais je peux pas, mais je me dis cibole, y'a des choses pires que ça dans la vie.




À Bordeaux la Garonne est plus large qu'à Toulouse, & avec la brume on pourrait presque dire qu'on commence à pas voir l'autre rive, qu'il me dit en riant. Le long du fleuve il y a les lignes pures des boulevards & des bâtiments, des milliers de lignes droites qui étourdissent un peu à force de ne jamais se terminer, & moi je pense à Pétersbourg & au Palais d'Hiver couleur menthe & à la rue Rossi, la rue aux dimensions parfaites.

Nous marchons lentement, mes doigts froids dans sa paume & la Garonne accrochée au coin de l'oeil, & il me dit l'année passée je devais aller à Malmö & finalement ç'a pas marché & finalement je suis allé à Moscou. & je me rappelle Malmö, Malmö qui se prononce Mal-meuh, & je me rappelle le hostel un peu excentré où j'avais dû entrer par effraction, un vingt-sept décembre noir & froid froid froid, parce que la porte était verrouillée & qu'on m'avait donné le mauvais code, je m'étais glissée par une fenêtre après avoir laissé mon gros sac à dos dans la neige mouillé & sur le coup ça m'avait même pas fâchée, j'avais surtout regretté de ne pas avoir personne avec qui partager tout de suite mon triomphe. J'essaie de l'imaginer dans Malmö, dans ce que je me souviens de la ville, une tuque de laine enfoncée sur la tête & toujours ses très longs cils qui caressent des dizaines de taches de rousseur, & je peux pas. Je pense, les choses tiennent à pas grand-chose ; je pense à Marie-Jo Thério qui chante j'me réveille j'pensais j'aurais pu être du plastique dans une dump au New Jersey. Je me dis que tout est précaire & précieux & ça me rend toutes sortes de choses, je sais pas, ça me rend reconnaissante & craintive & heureuse & téméraire & amoureuse.



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire