mercredi 2 février 2011





Il m'arrive des choses grandes & dures & vraies. Mais comme chaque fois que j'ai mal à la tête de tant vouloir être honnête, la seule chose dont j'ai envie c'est de lire des livres & de parler de livres & de faire des listes de livres, des livres dans lesquels il fait bon se creuser une tanière où vivre un moment, un espace douillet où tout est déjà écrit.

Je lis mon premier Bolaño & quand je tourne la dernière page, quand j'arrive à la dernière phrase, quand je laisse rouler le dernier R dans ma tête, j'ai l'impression d'arriver à une époque charnière de ma vie. (Un peu plus & je m'exclame théâtralement, le dos de la main rejetée contre le front, Bob, Bob, where have you been all my life? Sauf que non.) Il y a le Chili & il y a des poètes qui ne font que lire lire lire & écrire écrire écrire & il y a des violences tordues dans les marges des pages & il y a toutes sortes de quêtes & de la poésie écrite dans le ciel & des mouvements littéraires inventés & des crimes que personne ne nomme. Bref. C'est bon à s'en pitcher dans les murs.

Je lis des choses moins transcendantes. Par exemple : une histoire de la géométrie où l'auteur passe plus de temps à faire des jokes plates sur ses fils (?) qu'à parler de la théorie des cordes. Mais le reste du temps je lis de bonnes choses. Je lis Anaïs Nin, aussi pour la première fois ; je lis un roman sur la guerre du Biafra qui s'étale, merveilleusement tentaculaire, dans tous les dédales possibles. Je vais à la Médiathèque & je m'accapare tout ce qu'il y a de bon dans les rayons, je m'accroupis pour mieux lire les titres sur les tablettes qui rasent le sol. Je lisse mes doigts contre le dos des livres. L'anticipation de ceux qui restent à lire, le plaisir difficile de choisir soigneusement, presque péniblement, ceux à emprunter. Il y a quelque chose de précieux là-dedans, quelque chose de cérémonial qui me rend heureuse.

Parfois j'ai l'impression qu'en lisant je vis plus immédiatement, que les choses me parviennent sans les espèces de décélérations du quotidien, les moments de vide & d'ennui, d'attente, les poches de rien du tout. Parfois c'est le contraire, parfois je me dis que je m'englue dans des moments qui ne seront jamais à moi. Ces jours-ci je suis surtout heureuse de pouvoir lire sur des gens à qui j'aurai jamais besoin d'expliquer qui je suis ou d'où je viens ou qu'est-ce que je viens faire, moi, à vingt-cinq ans, dans une ville & un bureau & un appartement où je fais juste passer en coup de vent.

& la plupart du temps je sais pas, mais je lis quand même.




L'humidité de l'hiver se glisse sous les semelles minces de mes bottes & passe la journée à me chatouiller les pieds.

À l'heure du midi mes collègues de travail parlent d'homéopathie avec tout le sérieux du monde & moi je pense à Porcelaine, qui alignerait des tabarnarque de granos dans sa tête en essayant de ne pas s'étouffer avec son sandwich. (Ils se servent aussi de Cent ans de solitude & 1984 pour s'attaquer à la sur-conceptualisation dont est affligé notre pauvre monde, aussi, mais ça c'est une autre histoire.)

Quand je vais à la petite épicerie froide en dessous de chez moi, la seule ouverte un dimanche, je vois que la minuscule caissière asiatique, emmitouflée derrière son comptoir, parle joyeusement sur skype.

Le soir je mange de grands bols de soupe chaude en regardant des films, toutes sortes de films -- La Belle & la Bête de Cocteau, les films de Kubrick que j'avais jamais vus, 2001 : A Space Odyssey & Barry Lyndon, The Name of the Rose pour me rendre compte que Sean Connery a arrêté de vieillir il y a vingt-cinq ans. Ou bien je fais toutes les choses que je prends jamais la peine de faire à Québec, je vais à tout ce à quoi je peux aller, le festival de films coréens, la projection de documentaires polonais, une pièce en russe d'une troupe de théâtre lettone qui me fait pleurer dans le noir de la salle, les journées gratuites des musées & les expositions photo à la Médiathèque, les conférences grand public sur l'histoire de la médecine chinoise. Avec toi.

Parfois je me demande quand je serai rassasiée, quand j'aurai la certitude tranquille d'en avoir vécu assez.

& parfois je reste assise devant la fenêtre de ma chambre, avec l'impression splendide que ma vie bouge & bouge & bouge.



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