mercredi 13 avril 2011





Hier je me suis rappelée de Luz, petite chose rachitique & autoritaire qui m’aura forcée, pendant deux semestres d’affilée, à décortiquer de longues phrases en espagnol, à les triturer jusqu’à les réduire à leurs plus simples éléments, sintagma nominal verbal ou je sais plus quoi d’autre. Estie. J’ai tout oublié de mes cours de grammaire espagnole, sauf Luz. & peut-être une coupelle de verbes irréguliers.

Hier je me suis rappelée de Luz qui entrait toujours dans la classe en faisant claquer ses talons sur les vieux planchers usés, de très belles bottes qu’elle préservait de la neige & du sel & de l’hiver mais j’ai aucune idée comment, moi je devais traîner à peu près deux pouces de calcaire incrusté dans le cuir des miennes, Luz entrait dans la classe & elle était toujours la même, le visage dur, le corps sec, rien chez elle qui puisse trahir même un tout petit morceau de chaleur. Elle avait un prénom de lumière, mais pas grand-chose d’autre de ce côté-là. Des taches de rousseur éparpillées sur son petit visage fermé, des cheveux noirs, des robes qui flottaient sur elle, s’accrochaient à ses clavicules, de très jolies mains aux longs doigts qui désignaient toujours subitement, irrévocablement, joven, le toca!, c’est votre tour, au tableau, qu’est-ce que vous attendez pour m’entretenir de syntagmes verbaux?

Luz avait trente-deux ans mais les méthodes pédagogiques des bonnes sœurs qui passaient leur temps à tirer les oreilles de ma mère.

Luz (que je n’ai jamais appelée Luz, que j’aurais jamais osé, devant qui je passais de trop longues secondes à hésiter entre señora & señorita), Luz c’est la première personne que j’ai rencontrée qui faisait aussi peu d’effort pour être agréable. L’apprécier demandait un effort de volonté extraordinaire & ça, juste ça, ça forçait une certaine admiration involontaire, un élan mal placé d’enthousiasme pour une personne qui, vraiment, honnêtement, s’en câlissait.

Alors hier j’ai repensé à Luz, petite chose rachitique & autoritaire qui m’a simultanément terrorisée & fascinée pendant huit mois, & je me suis dit que peut-être ça la fâcherait, savoir que je garde un bon souvenir d’elle.

Il y aurait une histoire à raconter sur Luz, mais je sais pas trop laquelle.




Ces temps-ci ma vie est déboussolante & décousue. Mon contrat se termine demain & je quitte Toulouse dans deux semaines & je retourne à Québec juste un tout petit peu après. Je traîne des chagrins insidieux auxquels j'ai pas envie d'accorder trop d'attention. J'écoute seulement des chansons qui ne disent rien.



3 commentaires:

  1. Amélie, je vais partir aux îles un peu moins longtemps finalement mais je vais tellement lire et relire ton livre sur mon balcon qui fait tout ltour de la belle maison qu'on a louée.

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  2. Tu reviens à Montréal après? T'as eu ta job parfaite?
    ..j'espère que tu vas l'aimer, le livre!! (Moi je l'ai relu à peu près seize fois pour les corrections & les épreuves, alors là je suis pas mal convaincue que c'est du n'importe quoi. Ça passera.)

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  3. ouioui la job parfaite, deux petites semaines de vacances sur les îles. J'ai hâte.

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