lundi 5 septembre 2011




Ce matin je faisais du ménage & j'ai eu comme une illumination. C'est pas quelque chose qui m'arrive souvent -- avoir une illumination, & puis faire du ménage. Dans le sens de : faire du ménage, je le fais pas assez souvent, je pense que personne le fait assez souvent, mais en entrant dans un nouvel appartement j'ai toujours les meilleures des meilleures intentions du monde, avec la plus longue liste possible de choses saines & bonnes & vraies à implanter immédiatement dans mon quotidien, alors c'est ça, une semaine que je suis ici & je fais déjà du ménage, du vrai de vrai ménage, le haut des fenêtres & l'aspirateur entre les lattes de bois du plancher & le spray le plus incroyablement chimique de la planète pour désencrasser le four & le balais jusque dans le fin fond du garde-robe de l'entrée. Aussi dans le sens de : c'est la première fois que j'ai une illumination en faisant du ménage. (Je crois pas que le ménage soit habituellement propice aux illuminations? Mais faudrait creuser le sujet.) C'est peut-être aussi une des premières fois où j'ai une illumination (commencez-vous à être tannés de ce mot? parce que moi oui), parce que dans la vie je fais les choses petit à petit, & les pense petit à petit, & arrive à de grandes décisions après les avoir mûries durant à peu près trois mois & demi. Donc pas beaucoup de spontanéité, c'est triste mais faut le dire, & pas d'illuminations non plus.

Bref. Ce qui est arrivé ce matin, c'est que je faisais du ménage après avoir passé deux heures à me dire que je devrais commencer, & une demi-heure à construire soigneusement une playlist propice au ménage (l'adverbe que j'aimerais utiliser ici c'est painstakingly, dans le sens de lentement & avec juste assez de concentration pour que ça commence à donner un peu mal à la tête, mais j'arrive pas à trouver une traduction qui dise exactement toutes ces choses-là), & je me suis rendu compte qu'en général je faisais pas assez souvent le ménage parce que je sais que si je commence je vais y être plongée au moins une demi-journée, parce que je veux toujours que ce soit le ménage qui surpasse tous les autres ménages, qu'après mon passage les planchers brillent à en écorcher les yeux, que l'appartement au complet embaume le propre & l'aéré & le sain & le douillet & que je puisse m'asseoir deux minutes sur une chaise & me dire ça y est, c'est fait, tout est juste parfait. & je me suis aperçue que (voici l'illumination qui arrive, on l'attendait depuis un paragraphe & demi) je vois l'écriture un peu comme ça, beaucoup comme ça, même ici où c'est supposé être informel & toujours au moins un peu broche à foin, & j'écris pas assez souvent parce que quand j'écris je voudrais dire tout ce que j'ai à dire en même temps, en même temps mais subtilement, doucement, de la façon la plus agréablement détournée mais la plus claire possible, je voudrais dire tout ce que j'ai à dire exactement & comme, je sais pas, incomparablement -- je voudrais dire les choses de façon précise & belle & parfaite tout en sachant que c'est impossible, alors je me retrouve avec comme une montagne de choses sur lesquelles je voudrais écrire & sur lesquelles j'écris jamais, parce que c'est compliqué & que j'arrive pas à les formuler comme je voudrais.

Comme : il y a quelques semaines ma petite soeur a revu une fille avec qui je suis allée à l'école, & la fille lui a dit de me dire qu'elle me félicitait pour le livre, & aussi qu'elle avait toujours été certaine que moi je ferais des grandes choses dans la vie, & ça m'a fâché parce c'est une fille qui m'a rendu la vie misérable à treize ans & demi & que j'aurais mieux aimé avoir une once de sympathie de sa part à cet âge-là que des esties de j'ai toujours su que enthousiastes maintenant.

Comme : parce qu'à la petite école & après à la polyvalente j'ai toujours toujours toujours eu de très bonnes notes, j'ai passé une très grande partie de ma vie à entendre tout le monde rassurer les autres que l'école c'était pas la vraie vie & que eux seraient bons dans la vraie vie & que c'est ce qui comptait, la vraie de vraie vie & les talents qui s'apprennent pas à l'école, & c'est pas dramatique mais j'ai quand même essayé jusqu'à quatorze ou quinze ans d'être moi aussi bonne dans la vraie vie, peu importe ce que ça peut vouloir dire, être débrouillarde & pleine à ras bord de gros bons sens & avoir des projets d'avenir concrets & pas une once d'imagination (mon dieu, un peu plus & c'est la plateforme politique de l'ADQ), & j'ai eu pendant trois ans un prof de physique horrible qui imposait des exercices de laboratoire que personne pouvait compléter juste pour avoir la satisfaction de me voir rater quelque chose, & ça me rend triste de pas avoir réalisé plus tôt que ce que j'étais c'était assez, ç'a toujours été assez, & que c'est pas grave si je serai jamais capable de faire des travaux de rénovation d'envergure, ou sauver des vies, ou identifier toutes les forces qui entrent en jeu dans le plan incliné le plus stupidement conçu du monde.

Comme : tout le monde a des histoires d'adolescence crève-coeur parce que l'adolescence c'est crève-coeur, mais. Ça rend pas les choses moins laides quand j'y repense.

Comme : ça devient déprimant & c'est pas là où je voulais aller, mais pour une fois je vais laisser les choses où elles sont & juste ajouter que je sais pas trop ce que je fais ici, je sais pas trop à quoi sert cet espace-ci, mais j'ai envie que ce soit pas seulement doux ou joli ou serein ou douillet, j'ai envie que parfois ce soit pour moi, pour les choses que j'ai envie de dire, même mal, parce que sinon à quoi ça sert? & parce que ces temps-ci j'ai envie d'honnêteté, partout, dans la fiction & dans les gens que je rencontre, & la moindre des choses ce serait quand même de m'y mettre un peu moi aussi, je pense.



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