mardi 9 février 2010


Je retourne au café instantané, aux longues files d'attente pour peser les légumes au supermarché, aux mendiants agressifs dans les wagons du métro, à notre chambre toujours froide & à Sasha-le-radiateur qui surchauffe, aux trottoirs dangereusement glacés de la ville, aux caissières maussades, aux quatre kilos & demi de kopecks inutiles qui alourdissent mon porte-feuille, à Igor la plante qui frôle la mort sur le bord de ma fenêtre, aux cuisines communes où il y a toujours au moins un peu de vaisselle sale, aux conversations en flamand que Kyoto a avec sa mère via Skype, à l'odeur de cigarette qui traîne dans la cage d'escalier, à l'ascenseur brinquebalant de l'immeuble, au matelas dur de mon petit lit, au ciel bleu des journées très froides, à mon téléphone cellulaire russe crissement pas fonctionnel, à une certaine fatigue traînante, persistante, qui me rappelle mes grands accès de langueur en automne. Mais je retourne aussi à l'envie de tout faire en même temps, manger des légumes verts lire de bons livres tricoter des pantoufles courir dans les escaliers de secours écouter des tonnes de nouvelle musique dessiner gribouiller vivre!, & ça c'est pas rien, surtout en février.




Je vais travailler & je retrouve toutes les hésitations attendrissantes des adultes qui apprennent patiemment, parfois péniblement une nouvelle langue ; l'espèce de joie tranquille qu'ils ont quand ils saisissent vraiment, vraiment quelque chose, aussi, & la satisfaction que moi j'ai quand je réussis à les faire rire un peu, entre deux règles de grammaire.

Je me présente à un seul endroit & il y a trois emplois qu'on m'offre comme ça, comme si ça devait toujours être aussi simple que ça.

Unaï m'envoie un courriel, quelque chose de doux, quelque chose qui fait du bien. Il y dit je t'imagine bien à Moscou en train d'apprendre sur la vie, petite à côté de tout ce qui se passe autour de toi, mais toujours heureuse.

Au marché il y a une babouchka au visage fripé qui me voit hésiter devant les espèces de mandarines à la pelure presque rouge qu'on y vend & elle me dit, c'est délicieux, tu verras que c'est délicieux!. & j'en achète quatre, & c'est vrai que oui, que c'est très délicieux.

Il y a de bonnes choses, quand même.




Je lis Boulgakov & je pense aux chiens moscovites qui prennent le métro, qui s’infiltrent au centre-ville, qui traînent autour des boucheries, qui se roulent en boule pour dormir sous des viaducs --


Il ne sert absolument à rien d’apprendre à lire, quand, de toute manière, la viande se sent à un kilomètre. Néanmoins, si vous habitez Moscou & si vous avez si peu que ce soit de cervelle dans la tête, vous apprendrez l’alphabet, que vous le vouliez ou non, & cela sans suivre aucun cours. Sur les quarante mille chiens moscovites, il ne s’en trouvera jamais qu’un seul, un idiot absolu, à ne pas savoir composer avec des lettres le mot saucisson.

- Mikhaïl Boulgakov, Coeur de chien


Je lis Boulgakov, & j’ai trèstrès envie de relire Le Maître & Marguerite.



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