vendredi 6 août 2010





Quand je suis arrivée chez moi hier soir il y avait une carte postale dans ma boîte aux lettres. Au début j’ai pensé qu’elle arrivait d’Équateur, que c’était l’amie à qui je sous-loue l’appartement qui donnait des nouvelles, une image de son bout de jungle amazonienne, des souhaits d’été chaud & de fruits mûrs, de pêches tellement juteuses qu’elles en barbouillent les mentons. Mais la carte venait de Chine. Une tête de dragon, très grande, dorée, et un pont. À l’endos il n’y avait pas de signature parce que les signatures ont quelque chose de redondant, parfois, quand les boucles si caractéristiques des J traînent leurs pattes hors des marges pour s’accrocher à la poitrine & venir serrer le coeur, délicatement, du poids de toutes les tendresses inattendues du monde.

De temps à autre je pense à Juillet, qui n’écrit pas de cartes postales & qui ne va pas en Chine, & je suis triste de ne pas avoir vu toutes les choses que j’aurais pu voir avant. Mais le plus souvent je pense à Banana Yoshimoto, qui fait dire à un de ses personnages que mais qui voudrait d’un amour qui ne donne pas l’impression d’être le dernier?, & ça me console de tout ce qu’il pourrait rester à consoler.




J’envie les gens qui savent parler de livres de façon, je sais pas, de façon à leur rendre justice. C’est une chose que je n’ai jamais apprise & qui me manque, surtout quand je termine un recueil d’Alice Munro ou que je commence The Good Terrorist & que je sens qu’il y aurait des milliers de trucs à en tirer mais que tout ce dont je suis capable c’est de poser le livre sur mes genoux et de revoir dans ma tête les mots dans lesquels s’enroule le récit, en savourer les petites cruautés et les sonorités particulières, le rythme des phrases et des malheurs, des pointes, de ces épiphanies discrètes qui se coulent entre les lignes & réchauffent les mains qui, du bout des doigts, effleurent les caractères imprimés.




Je travaille douze heures par jour, littéralement, à essayer de coordonner deux départements en même temps, dans un environnement de travail tellement bordélique que c’en est ridicule. Mon contrat se termine à la mi-août & j’avais pensé accepter l’offre de prolongation mais finalement non, non, je peux pas continuer à me faire ça, à la mi-août il y a Kyoto qui débarque à Québec pour deux semaines & début septembre j’emménage avec Porcelaine & tout de suite après je pars pour la France, parce que j’ai trop d’argent en banque pour demeurer immobile & parce que là-bas il y a un garçon fraîchement revenu de Chine qui toutes les nuits règle son cadran à trois heures & téléphone, téléphone juste au moment où je pousse la porte de l’appartement, délivrée du travail, enfin, et gourmande de mots qui auraient vogué sur l’Atlantique & atterri dans mon salon, bons & doux & chauds dans le creux de l’oreille.



4 commentaires:

  1. Après chacun de mes passages ici, je soupire d'un très grand et très profond soupir parce qu'ils font tellement de bien, tes mots.

    "mais qui voudrait d’un amour qui ne donne pas l’impression d’être le dernier.." wow, juste et juste wow.

    RépondreSupprimer
  2. Oui, quand j'ai lu cette toute petite phrase-là j'ai comme eu l'impression que c'était quelque chose que j'essayais de m'expliquer depuis longtemps, pourquoi je me trompe toujours mais pourquoi je crois pas au cynisme amoureux, pourquoi chaque histoire est grande & belle & unique -- parce que sinon ça en vaut pas la peine, parce que moi je peux rien commencer en me disant que c'est médiocre & que ça passera, je veux dire, qui voudrait ça?

    & aussi je pense que j'avais besoin de lire une toute petite phrase comme ça, ces temps-ci. Je suis heureuse que toi aussi.

    RépondreSupprimer
  3. Amélie, tu es tellement inspirante et merveilleuse. Wow. Je manque de mots chaque fois.

    RépondreSupprimer
  4. Amélie. C'est tellement tellement gentil.

    RépondreSupprimer