dimanche 22 novembre 2009





Quand je suis assise près de la fenêtre ouverte, ouverte juste un peu parce que l'hiver ne fait encore que frôler Moscou, quand dans le fauteuil couleur gruau je replie sous moi mes jambes, quand j'enfouis mon nez dans la bonne odeur riche des pages d'un vieux livre, quand je ressasse des mots en regardant distraitement l'arbre qui frissonne près de la fenêtre -- souvent ça me prend, comme ça, souvent il y a un grand quelque chose qui m'inonde la poitrine, & je me dis : c'est tellement doux d'avoir quelqu'un à aimer.




Parce que je désespère pas encore tout à fait d'être un jour La Fille Qui Court Le Matin (malgré mes tendons d'Achille trop courts), je me lève tôt pour aller courir dans les escaliers de secours surchauffés de l'édifice où j'habite. Il y a douze étages mais les escaliers n'en couvrent que dix, & moi je les dévale à toute vitesse pour ensuite les remonter péniblement, gravir chacune des marches avec les mauvais souliers que j'ai traînés dans mes bagages. Ils peuvent presque passer pour des espadrilles, ces souliers, la forme vaguement aérodynamique & les semelles juste assez épaisses, mais en fait c'est ceux que je portais du temps où je travaillais à la boulangerie & les talons en sont encore blanchis de farine incrustée. (Donc capacité anti-dérapante : zéro.) Souvent j'écoute The National Parcs & toujours ça me ramène à cet été, au petit contrat de trois mois & demi, cinq dans une Communauto & toutes les vitres baissées, la musique trop forte & Juillet qui conduit d'une main, en regardant beaucoup trop souvent dans le rétroviseur. Mais moi je m'en apercevrai seulement au mois d'août.




En ce moment je me traîne dans Kamouraska, je me sentais mal de jamais avoir lu Anne Hébert ; au début j'étais pas certaine mais je m'habitue petit à petit, j'y vais très lentement pour ne pas briser le rythme des phrases. Pour l'instant c'est comme une nébuleuse d'images, je sais pas, des taches de couleur qui se fondent les unes dans les autres, les mots quelque part en dessous, le récit un peu entre les deux. Les pages sont juste assez rugueuses sous mes doigts.

Mais la semaine prochaine je commence War & Peace, finalement, miraculeusement, après presque des années & des années à attendre le bon moment la bonne édition la bonne traduction, ce sera extraordinaire & je dessinerai une étoile sur mon calendrier. (J'en dessinerai vraiment une.) Tolstoï, mon amour, viens m'entretenir du détail des guerres napoléoniennes & de toute l'ampleur des vicissitudes de la petite aristocratie russe! Des centaines & des centaines de pages, des milliers & des milliers de petits caractères, toi & moi on va s'aimer au moins jusqu'à Noël.



3 commentaires:

  1. J'ai pris mon petit-déjeûner (tardif) très longtemps avec toi, et j'ai tout lu, depuis le début. À certains moments je me suis demandé: est-ce que cette fille est ma soeur cachée? J'habite à Québec, on s'est jamais rencontrées, c'est très bizarre, et en même temps non, il y a plein de gens formidables qui nous passent à côté, on ne s'en aperçoit juste pas, il y en a trop, et on est déjà occupées à prendre soin de nos beaux amis.
    Bon Moscou, chanceuse... Je vais revenir ici avec plaisir.

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  2. Tu sais, j'adore Anne Hébert, je vais commencer un doc sur elle en septembre prochain. Tu devrais lire les fous de bassan. C'est meilleur. Ou Les enfants du sabbat. Non. Les Fous de bassan.

    Contente de te relire. Tu me manquais..

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  3. Véronique : C'est drôle, Québec. Dans ma tête c'est tout petit & j'y connais tout le monde, mais en même temps il y a toujours plein de gens à découvrir. J'ai hâte d'y revenir, même si Moscou, Moscou -- c'est quelque chose. ;)

    & lire tout depuis le début, merci merci!

    Audrée : En fait c'est parce que t'avais recommandé Les fous de bassan que j'ai décidé de lire Anne Hébert! Mais j'ai juste trouvé une copie de Kamouraska. Que j'aime bien jusqu'ici (quoique j'aime bien est pas le choix de mots le plus approprié, ce livre est tellement tout plein de douleur lancinante) -- mais un jour je reviendrai à Québec & je pourrai avoir accès à une vraie bibliothèque francophone! & je lirai Les fous de bassan!

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