& ce matin c'est l'heure du tag des boules à mites de Clarence, où il faut ressortir un vieux texte à prétention littéraire et le recopier avec un minimum d'explications contextuelles, pour le plus grand plaisir de tous et toutes.
& évidemment je vais tricher, & donner des explications contextuelles.
J'avais seize ans, c'était l'été 2002, & je passais mes journées à travailler dans un driving range de golf (je suis pas certaine de la traduction -- un terrain de pratique? un champ où taper des balles?). C'était dans le fin fond de McLeods, c'est-à-dire dans le fin fond du Nord du Nouveau-Brunswick, c'est-à-dire l'endroit où j'ai passé quinze ans de ma vie, c'est-à-dire un bout de territoire même pas assez densément peuplé pour obtenir le statut de village, alors j'avais à peu près quatre clients par jour & une petite télé en noir & blanc où je me souviens avoir suivi avec attention la Coupe du monde de soccer (tsé, l'année où la Corée du Sud a surpris tout le monde?) même si j'ai jamais aimé le soccer. Après avoir lu quarante-cinq livres en deux mois & demi, j'ai commencé une espèce de roman, que j'écrivais à l'encre violette (très importante, l'encre violette) sur des feuilles mobiles pour ensuite tout recopier très lentement à l'ordinateur durant mes jours de congé. J'ai réussi à étirer ça sur soixante-deux pages avant de l'abandonner à la mi-septembre. C'est en général très très ennuyant (je pense que je comprenais pas encore tout à fait le principe de l'intrigue) & pas mal abusivement mélodramatique, comme ici :
Peu importe la cause réelle de son état, ce n’est pas la première fois qu’elle exige mon support moral. Ma mère a un tempérament artistique, après tout, et elle lutte contre la mélancolie, les frivolités, les excès. C’est connu: une fois l’an, elle déprime, elle sombre jusqu’au fond de l’abîme et elle refuse de remonter. Si je suis chanceuse, ça se passe durant l’hiver, tandis que les premières neiges de décembre m’aveuglent et m’engloutissent au fond de ma semi-campagne. Malheureusement, à tous les deux ou trois étés, elle se décide au mois de juin et s’empresse ensuite de m’entraîner au fond du trou noir qui lui sert de repaire. Subitement, nous sommes deux à nous débattre contre les pluies torrentielles de l’angoisse et du désespoir, et ma mère s’arrange habituellement pour se recroqueviller sous le seul parapluie que nous possédons.
Avec les années, j’ai appris à m’éloigner, comme on évite le noyé pris de panique qui agrippe tout ce qui passe. Ce n’est pas la plus belle des images illustrant l’amour qui unit une fille à sa mère, mais c’est celle que les chagrins de la mienne m’inspirent. Si j’ai le malheur de m’approcher, de caresser sa joue du bout des doigts ou de lui murmurer quelques paroles de réconfort, je sais qu’elle m’enlèvera tout ce qui m’empêche de m’effondrer, tout simplement parce qu’elle ne peut pas faire autrement. Ce n’est pas qu’elle veule m’étouffer, non; c’est seulement qu’elle n’a pas assez d’énergie pour penser aux autres. Et quand on sait combien elle s’intéresse à ma vie et à mes rêves en temps normal, c’est facile d’imaginer à quel point elle devient égoïste lorsque sa vision s’assombrit. Malgré tous ses défauts, j’aime bien ma mère, mais c’est impossible d’aider quelqu’un qui veut vous écraser. Il n’y a qu’une fragilité apparente, dans ces cas-là, et aucune considération pour le sauveteur.
On voit que j'avais une belle appréciation des figures de style.