jeudi 15 octobre 2009





L'automne se fane en jolies couleurs dans les parcs de Moscou mais il se fane quand même, on annonce de la neige pour mercredi & ça me rend heureuse parce que je n'ai pas encore acheté de parapluie. Il fait de plus en plus froid mais aujourd'hui, au coin de Tverskoï & Tverskaïa, il y avait encore des gens pour savourer avec une délectation toute moscovite des frites sans ketchup sur la terrasse du McDo.




À Moscou il y a une légende urbaine tenace. Tout le monde la connaît. Tout le monde se fait un plaisir de la transmettre aux touristes & aux nouveaux arrivants, de leur en murmurer le détail à l'oreille comme on le ferait avec un grand secret d'État. Ça va comme suit:

Les chiens errants prennent le métro.

Ils partent des banlieues où ils se terrent durant la nuit & accompagnent la foule compacte de l'heure de pointe du matin. Ils déjouent les gardes de sécurité encore à demi endormis & se glissent sous les tourniquets de métal. Ils dévalent les (interminables! vraiment interminables!) escaliers roulants en écrabouillant les orteils des babouchkas aux dents en or & aux foulards fleuris. Ils se laissent portés par la foule & se recroquevillent dans un wagon, sous un siège ou dans un coin mal éclairé. Inexplicablement, ils connaissent la station où ils doivent s'arrêter -- toujours une station dans le centre de la ville, là où les poubelles pleines des restaurants & les miettes des passants leur font de bons repas. Ils errent quelques heures dans les grandes artères, mangent à leur faim, puis reprennent le métro. Retournent dormir en périphérie, comme des millions de banlieusards russes.




Juillet m'envoie une photo via courriel: c'est à ça que je ressemble quand je parle de toi, qu'il m'écrit. Ok j'ai l'air un peu niaiseux, mais c'est attendri qui faut dire, ATTENDRI!!

(& ça c'est Juillet. Les deux points d'exclamation, pas trois parce que ce serait trop & pas un parce que ce serait pas assez, & puis cette façon très honnête & démonstrative & vivante d'être heureux. C'est comme -- la meilleure chose au monde, toujours.)




Quand je sors de mon cours de français, j'ai sur les doigts comme une seconde peau de craie blanche & dans la tête toutes les choses que mes élèves ne comprennent pas -- la popularité de Tintin (qui ne s'explique probablement pas en disant pour rire que c'est euuuuh un petit reporter au toupette crêpé qui entretient une drôle de relation avec un marin alcoolique?), la robe que je porte par dessus mes pantalons, ma façon de prononcer le mot mardi. Mes cheveux coupés tout croche, les mèches trop longues que j'attaque avec des ciseaux pour enfant au-dessus de l'évier de la salle de bains. Mes vingt-trois ans qui tirent sur les vingt-quatre & mes plans de carrière tellement flous qu'ils en sont inexistants & mes envies de vivre un vrai hiver ailleurs, le Pays Basque ça compte pas parce qu'il faisait que pleuvoir, & mon drôle d'accent en russe & mes déclinaisons ratées & qu'est-ce que je viens faire ici, de toute façon?

Ça ils me l'ont demandé dès le premier cours, pourquoi tu es venue ici? avec dans la voix toute une montagne d'incrédulité, & je leur ai répondu n'importe quoi. Vraiment n'importe quoi. La vérité c'est qu'en partant de Québec je pensais savoir pourquoi je venais, mais plus je m'installe, plus je m'ancre ici & plus je m'aperçois que jamais je l'ai su. Jamais jamais. Mais ça ne me chamboule pas. Parce que je me dis que peut-être je suis ici pour le découvrir, au moins un peu.




Ce qu'il y a de bien avec la vie ici, que je me disais l'autre jour, c'est qu'il est encore trop tôt pour que je puisse savoir ce dont je me souviendrai dans trois mois, deux ans, dix ans. Alors j'observe tout avec beaucoup d'attention, même le trèstrès petit.



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