vendredi 15 mai 2009





À l'école, surtout à la polyvalente, j'étais bonne en mathématiques. Je comprenais tout trèstrès vite, je faisais ma pseudo-surdouée en commençant mes exercices avant que le prof ait terminé ses explications, je n'avais presque jamais de devoirs. Mais vers treize ans & demi j'ai fait comme tout le monde, j'ai commencé à réfléchir au genre de personne que je voulais devenir (d'ici deux ans et demi, disons) & tout de suite ça a été très clair : pas de place dans mon plan de vie pour les mathématiques. Moi j'allais être une fille de décisions irrationnelles & de grands élans d'enthousiasme, pas ingénieure ou comptable ou, je sais pas, doctorante en physique appliquée. (J'ajouterais actuaire, mais faut dire que j'ai entendu le mot actuariat pour la première fois il y a quatre ans. Doctorante je connaissais, par exemple.)

J'ai passé les trois années suivantes à faire enrager le prof de mathématiques (...le seul que j'ai eu en dixième-onzième-douzième années parce que c'était une petite polyvalente), décrochant allègrement des quatre-vingt-dix-huit point etcétéra tout en continuant de feindre un désintérêt monumental pour la matière. Alors que c'était pas vrai. Alors que j'aimais l'algèbre, beaucoup, & la trigonométrie, & cette satisfaction tout spéciale qui vous inonde lorsque l'équation est là, au bas de la page, enfin résolue. Alors que j'aimais les cours de mathématiques, même ceux qui s'étiraient en longues explications superflues, & beaucoup plus que les cours de chimie, & de biologie, & de français, infiniment plus que l'estie de cours prétentieux de monde contemporain où j'avais eu à écrire une dissertation sur la rétrocession d'Hong Kong à la Chine.

À l'université, à Québec, je me suis pitchée dans un baccalauréat où je devais choisir une concentration. & moi j'ai vu économie & je me suis dit, comme pour me rattraper, des chiffres! enfin!. (C'est une chose que je dois dissimuler depuis, la concentration en économie. Je travaille dans le milieu communautaire & ça y est tellement mal vu que c'en est épeurant.) Mais finalement les économistes sont de très mauvais mathématiciens, le plus qu'on faisait c'était dériver des équations & ça n'a pas grand-chose d'intéressant. Avec, en prime, des heures & heures à écouter de vieux (& de moins vieux) croûtons radotter sur la main invisible du marché & la beauté de la privatisation des services publics. Enthousiasmant.

Alors maintenant j'ai vingt-trois ans & je suis un peu triste, parce que c'est quand même assez probable que je ne refasse plus jamais de vraies mathématiques nébuleuses de toute ma vie. (Je ne parle pas ici d'estimer le prix d'une épicerie avant même de passer à la caisse.) C'est pas comme le tricot ou la littérature ou le vélo de montagne, les mathématiques. Les gens n'en meublent pas leurs temps libres. Il n'y a pas de clubs qui se rencontrent une fois aux deux semaines pour parler de leur amour des identités trigonométriques. (...j'en ferais déjà partie.) Les mathématiques ont jamais été démocratisées. Emprunte un manuel de maths 436 à la bibliothèque si ça peut te faire plaisir, mais ça s'arrête là. Comme c'est tellement sérieux, faut nécessairement que ce soit inaccessible.

Prochaine étape pour mieux canaliser ma frustration : je me pars une ONG.

(Mais sérieusement. Je me suis aperçue que, faute de pratique, il y a des grands trous dans les tables de multiplication que j'avais apprises avec application en troisième année du primaire. C'est irritant.)



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