vendredi 30 octobre 2009


C'est vendredi après-midi & il neige un peu, pas beaucoup, juste assez.

C'est vendredi après-midi & je ne travaille pas, alors je passe de longs moments à recopier les conjugaisons de verbes irréguliers russes dans un cahier quadrillé. J'ai acheté le stylo que j'utilise dans un kiosque en bordure de Tverskaïa, il fait des pâtés à tous les deux mots. Je forme encore un peu maladroitement les lettres de l'alphabet cyrillique, surtout parce que j'ai décidé de tout écrire en lettres attachées & que moi même en français, même avec l'alphabet latin, j'ai toujours eu l'écriture cursive récalcitrante, je m'applique mais mes doigts ne suivent pas, on dirait un garçon de huit ans & demi. Aussi parce que j'ai jamais été capable d'écrire sur les lignes. Je préfère faire semblant qu'elles n'existent pas & écrire n'importe où, entre les lignes, sur les lignes, dans les marges. Pas par esprit de contradiction; juste pour ne pas que mes mots étouffent.

C'est vendredi après-midi & il neige un peu, & il fait un peu gris, & je suis un peu triste. D'une tristesse rassurante de surface, une petite mélancolie pour jeunes filles de bonne famille. Je m'enroule dans un grand chandail de laine & je rabats le capuchon sur ma tête, sur mes cheveux mouillés qui sèchent en longs frisottis. Je fais comme si j'avais froid.

C'est vendredi après-midi & je m'ennuie de tous les gens que je ne reverrai plus jamais.




Avant de partir pour Moscou, j'ai acheté deux livres usagés -- Ce qu'il en reste, de Julie Hivon, & Putain. (Que j'ai terminé une journée avant la mort de Nelly Arcan. Alors je crois que je serai jamais capable de dire si j'ai aimé ou non.) Il y a Baloi qui m'a donnée un livre de détectives, parce qu'elle sait que j'aime beaucoup les histoires de détectives. & Juillet m'a prêtée la Trilogie des Fourmis parce que, bless his heart, c'est son livre préféré. & c'est le dernier que j'ai terminé, cette semaine, il y a quelque jours.

& j'ai rien contre Bernard Werber, rien du tout, mais après presque un mois passé dans les pages de ses histoires de fourmis & d'enquêtes boiteuses & de petites révolutions, après avoir coulé tout plein de temps à lire un peu comme on regarde un téléroman à l'intrigue convenue, la tête qui se laisse emberlificoter par d'autres pensées mais c'est pas trop grave, on finit toujours par revenir, on finit toujours par comprendre -- après tout un mois comme ça, je crois que j'avais oublié qu'il y a dans certains livres des mots puissants, des mots qui bercent & qui apaisent & qui attisent. Qu'il y a dans certains livres une chose qui fait un peu prétentieux, une chose que je ne saurai jamais décrire tout à fait, qu'il y a, au détour d'une phrase qui perce le coeur comme on crève une bulle de savon, qu'il y a la littérature.

J'ai emprunté Chambre avec baignoire au centre où j'enseigne le français. D'Hélène Rioux j'avais seulement lu Mercredi soir au bout du monde, que j'avais aimé mais pas adoré, mais dans ce roman d'elle il y a quelque chose, quelque chose qui tombe juste à point. Elle a des descriptions incroyables, des phrases qui ne finissent pas, des mots serrés qui regorgent de détails, qui envahissent toutes les marges -- mais aussi autre chose. Une histoire pas très joyeuse qui deviendra sûrement très triste d'ici peu, on le sent venir. Une atmosphère lourde de petites angoisses accumulées. Mais une façon si riche de se perdre dans le quotidien, un humour si subtil & si amer, si délicat aussi, que ça me fait du bien. Pour aucune autre raison que parce que c'est bien écrit, ça me fait du bien. & c'est une chose que j'avais oubliée.


J'avais dit que son sourire, c'était quelque chose de très précieux, ça se voyait tout de suite qu'il ne le gaspillait pas. J'en connaissais qui l'avaient toujours fendu jusqu'aux oreilles, & ça me tuait. Le sourire dentifrice, aseptisé, aromatisé à la menthe poivrée ou à la gomme balloune, le sourire relations publiques, relation d'aide, relation de couple. Plein de bonnes intentions, pavé comme l'enfer, insupportable.


C'est fou comme j'avais oublié.




Ce que j'aime de la langue russe, exemple numéro cent trente-deux:

Des bonbons ça se dit конфеты, kanfiéti, & prononcé un peu mal & un peu trop vite on dirait presque confettis.



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