mardi 19 mai 2009




Penser au décalage horaire, ça me fait toujours une sensation curieuse. & cette ligne téléphonique si ténue, si précaire qui nous relie, je la trouve particulièrement précieuse.

Banana Yoshimoto, N.P : roman




À Gasteiz il fallait se rendre jusqu'au Correos pour les interurbains : le bureau de poste était doté de trois cabines téléphoniques à taux préférentiels & tous les immigrants de la ville s'y agglutinaient en petites files d'attente diffuses mais traîtres, où tous les autres autour étaient toujours prêts à oublier qu'ils étaient arrivés après moi. Ça ne me dérangeait pas de me faire dépasser à l'épicerie par des petites vieilles convaincues que leur âge leur méritait un accès prioritaire à la caisse, mais au Correos c'était autre chose, je n'y allais qu'une fois aux deux semaines & je n'avais pas envie de me faire voler mon tour. Surtout pas par la mère de famille guinéenne qui était toujours là en même temps que moi & qui était capable de passer une heure & demie dans la cabine téléphonique, à faire circuler le combiné parmi ses quatre marmots de deux à sept ans.

Il y avait cinq heures de décalage entre Gasteiz & le Nouveau-Brunswick. Je les appelais vers quatorze heures trente, pour les surprendre dans le creux de l'avant-midi. Je me suis souvent demandée où allait ce temps qui nous séparait -- est-ce que c'est moi qui avais perdu cinq heures en traversant l'Atlantique? Est-ce que je les regagnerais à mon retour? Est-ce que nous continuions à vivre simultanément même si leur journée était toujours moins avancée que la mienne?

J'imagine que le décalage horaire, c'est un peu notre seule chance de voyager dans le temps. Mais c'est un drôle de concept, quand même.




J'ose espérer que le vrai prénom de Banana Yoshimoto n'est pas vraiment Banana, même si au fond c'est pas tellement de mes affaires. Je ne l'avais jamais lue avant hier, & j'ai flotté dans son roman toute la journée. Elle a des ellipses magnifiques, un poésie très douce, jamais mièvre, qu'on abandonne à regret. Plein de choses déroutantes dans ce livre, de l'inceste & des mensonges & des tristesses très pesantes, mais ça me laisse surtout l'impression d'être tombée dans le rêve de quelqu'un d'autre. C'est un roman comme un souvenir un peu irréel.




Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire